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Populisme contre Démocratie


Publié le 30 mai 2022. Mis à jour le 08 octobre 2024. 

Yascha Mounk, The People vs. Democracy. Why our Freedom is in Danger and How to Save it, Harvard University Press, 2018

Professeur de Sciences politiques à Harvard, le politologue allemand Yascha Mounk a publié plusieurs ouvrages sur la démocratie, le libéralisme politique et le populisme. Journaliste indépendant, il a également écrit pour le New York Times, le Wall Street Journal, Slate et Die Zeit.
Dans cet ouvrage paru en 2018, Yascha Mounk s’interroge sur les causes de la montée du populisme et la perte de confiance envers nos démocraties libérales. C’est un tableau sombre que le journaliste dresse ici : en Italie, en Hongrie, aux Etats-Unis ou en Turquie, les populistes sont déjà au pouvoir et restreignent les libertés individuelles et les droits fondamentaux. Mais comment expliquer la perte de confiance des citoyens et citoyennes envers les institutions et les gouvernements ? Le populisme est-il compatible avec la démocratie ? La vague populiste durera-t-elle dans le temps ?

Renée Fregosi, Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates, Éditions du Moment, 2016

Renée Fregosi est philosophe et politologue française. Spécialiste de l’Amérique latine, elle est directrice de recherche en science politique à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Dans Les nouveaux autoritaires, elle constate la montée d’une nouvelle forme d’autoritarisme qui prend partout son essor, de la Russie au Venezuela, en passant par la Turquie et la Hongrie. Ces régimes autoritaires qu’elle qualifie de démocratures sont des régimes hybrides qui mêlent des éléments de démocratie (des élections) et de dictature (restriction de la liberté de presse).

 

La démocratie libérale est-elle en crise ?

Le populisme tend à opposer les élites politiques, mais aussi économiques et culturelles, au « peuple » dont il revendique connaître la volonté unique et souveraine – et ce bien que l’idée populiste ne propose pas concrètement une amélioration de la démocratie et que ses leaders soient bien souvent issus de ces mêmes élites. Depuis une vingtaine d’années, des partis jusque-là considérés comme marginaux, s’inscrivant dans la rhétorique populiste, tels le Rassemblement National en France ou l’AFD en Allemagne, font désormais partie intégrante du paysage politique. Yascha Mounk explique leur ascension par deux éléments.

Tout d’abord, les phénomènes croisés de mondialisation et de tertiarisation des économies ont fortement accentué les inégalités sociales et économiques dans les pays dit « développés ». Cela a généré, pour des franges entières de la population, un fort sentiment d’injustice ainsi qu’une certaine rancœur à l’égard des institutions libérales, politiques et économiques, qui les gouvernent.

« Les gens ordinaires ont depuis longtemps l’impression que les politiciens ne les écoutent plus au moment de prendre leur décision. Ils sont sceptiques pour une raison : cela fait longtemps que les riches et les puissants possèdent un degré inquiétant d’influence sur les politiques publiques. Le jeu de chaises musicales entre le monde des lobbies et celui du Parlement, le rôle démesuré joué (aux Etats-Unis) par les donations privées dans le financement des campagnes, les honoraires de conférencier payés aux anciens hommes d’État, et les liens étroits entre la politique et l’industrie ont délogé le peuple de la prise de décision en matière de politiques publiques ».

Yascha Mounk

Profitant de ce sentiment d’injustice, les partis populistes, à droite comme à gauche, ont commencé à proposer un discours opposant le peuple dépossédé de tout pouvoir et les élites qui ne se soucient plus des gens ordinaires. Le point de départ de ce discours est la critique du système représentatif, qu’ils dénoncent comme dirigé par des technocrates qui accaparent le pouvoir et ne comprennent pas le peuple – tandis qu’eux en seraient les « vrais » représentants.
En 2016, Donald Trump affirme ainsi dans son discours à Charlotte : « J’ai décidé de faire campagne afin de rendre notre gouvernement au peuple ». Bernie Sanders, lui aussi, a annoncé à plusieurs reprises vouloir gouverner pour « tous les citoyens américains » et pas seulement pour le fameux « 1% les plus riches ».

Risque de glissement autoritaire

S’il pose une critique de la démocratie représentative véritablement intéressante, le risque que le populisme tende vers la dictature est réel. Le 06 janvier 2021, les partisans les plus radicaux de Donald Trump ont pris d’assaut le Capitole, accusant les institutions d’avoir truqué les élections présidentielles. Cet évènement est loin d’être anecdotique. Aujourd’hui, près d’un.e citoyen.ne étasunien.ne sur quatre considère la démocratie comme un mauvais système politique. De l’autre côté de l’Atlantique, le constat n’est pas différent : en 2017, près de 57% des citoyens et citoyennes de l’Union européenne n’avaient pas confiance en leur gouvernement, selon l’institut de sondage Gallup.

Certains chercheurs et certaines chercheuses, loin de s’alarmer, considèrent que la diversification du paysage politique est le signe d’une démocratie en bonne santé, plurielle et prompte à faire émerger de nouvelles idées, menant à une meilleure représentation de la population. Mais d’autres estiment au contraire que la montée des populismes est le reflet d’une démocratie malade. Pour Yascha Mounk, l’électorat s’est radicalisé, notamment les plus jeunes : au deuxième tour des élections présidentielles françaises de 2017, un jeune sur deux a voté Marine Le Pen, contre 1/5 des personnes plus âgées.

 

Vers l’essor des démocratures ?

Pour Yascha Mounk, la démocratie représentative n’a jamais réellement satisfait les populations. Les décisions ont toujours été prises par des élites politiques de centre droit ou centre gauche qui se sont alternées au pouvoir depuis 1945, et ce système n’a perduré qu’avec l’essor économique.

« Aussi longtemps que le système fonctionnait à leur avantage, la plupart des individus ont cru qu’en dernière instance les politiciens se rangeaient de leur côté. « Je ne suis pas certain de pouvoir faire confiance aux hommes politiques, auraient-ils dit, mais je suis deux fois plus riche que l’était mon père, et mes enfants le seront probablement deux fois plus que moi. Laissons-leur le bénéfice du doute… »

Mais la récession de 2008 a rebattu les cartes. Le système a cessé de fonctionner au bénéfice de la majorité, et des mouvements politiques ont prospéré grâce à une rhétorique de « retour au peuple ». Des démagogues comme Donald Trump ou Viktor Orbán proposent de supprimer les intermédiaires (notamment les médias) et laisser le peuple dialoguer directement avec son dirigeant, seul à même de comprendre les souhaits de l’électorat. 

« L’histoire de la désillusion des citoyens à l’égard de la politique est ancienne ; elle a désormais pris une forme inquiète, frustrée, méprisante même. Le système des partis avait l’air figé ; aujourd’hui, les populismes autoritaires ont le vent en poupe tout autour du monde, de l’Amérique à l’Europe, de l’Asie à l’Australie. Les électeurs ont toujours exprimé leur dégoût à l’égard de certains partis, hommes politiques ou gouvernements ; à présent, la plupart d’entre eux sont lassés de la démocratie libérale elle-même ».

Le populisme risque de déboucher sur la démocratie illibérale, puis sur une forme d’autoritarisme, voire de dictature. En Russie, au Venezuela, en Turquie, mais également dans des pays autrefois considérés comme démocratiques tels que la Pologne ou la Hongrie, des « démocratures« , selon le terme de la chercheuse Renée Fregosi, se mettent en place. Ces régimes ne respectent les principes démocratiques qu’en apparence : les élections sont en théorie libres mais contrôlées par le pouvoir ; les opposant.es sont parfois emprisonné.es avant les élections, et le dépouillement des urnes est rigoureusement surveillé, voire truqué. Le gouvernement est mené par un leader charismatique, qui détient la majorité des pouvoirs. A titre d’exemple, 80% des médias hongrois sont contrôlés par le gouvernement de Viktor Orbán. 

 

Comment lutter contre le populisme ?

 

Éduquer les citoyens

Pour Yascha Mounk, l’éducation civique est essentielle pour faire rempart aux idées autoritaires. Devant la montée de l’idéal nationaliste, le journaliste rappelle que celui-ci a conduit à deux guerres mondiales, et qu’une organisation comme l’Union Européenne, aujourd’hui fortement critiquée, a concrétisé une certaine forme de paix.

Réparer l’économie

Si l’électorat se tourne vers le populisme, c’est essentiellement qu’il est inquiet. Les Etats doivent donc garantir aux populations l’amélioration de leur situation économique, et le partage équitable des gains de la mondialisation. A ce sujet, l’augmentation du prix du logement dans les grandes villes et leur progressive gentrification illustre bien la stagnation du niveau de vie : les locataires de Londres dépensent par exemple 72% de leurs revenus en loyers. Yascha Mounk considère que l’accès au logement est le premier chantier auquel les gouvernements doivent s’attaquer. Il suggère ensuite de rénover le système éducatif dans son ensemble, pour mieux préparer au monde du travail et à l’ère du numérique. L’Etat doit également encourager la création d’entreprise. Enfin, l’auteur préconise de faire participer davantage les citoyens à la prise de décision politique. 

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On voit bien ici que les solutions proposées sont somme toute assez réduites, et que le passage à plus de démocratie participative, délibérative et directe est évacué rapidement en fin d’ouvrage. C’est peut-être pourtant la piste de réflexion la plus riche de sens, et c’est d’ailleurs ce que propose John Matsusaka dans son ouvrage Let the people rule. En laissant le peuple décider directement, aucun leader, tout charismatique qu’il soit, ne pourrait plus se proclamer comme son « vrai » représentant…


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