Populisme contre Démocratie


Yascha Mounk dresse un constat: la démocratie libérale s’étiole peu à peu au profit du populisme.  Sur fond de ressentiment social, monte une vague populiste qui déstabilise les démocraties du monde entier. En Italie, en Hongrie, aux États-Unis ou en Turquie, les populistes sont déjà au pouvoir. Or, cette vague populiste constitue une menace pour la démocratie puisque ses dirigeants sapent -pour lui- les droits fondamentaux des citoyens et restreignent constamment les libertés individuelles.  Ainsi, face à cette montée en puissance du populisme, Yascha Mounk s’interroge : comment expliquer la perte de confiance des citoyens dans leur gouvernement ? Le populisme est-il compatible avec la démocratie ? Cette vague populiste pourra-t-elle durer dans le temps ?

 

La démocratie libérale est-elle en crise ?

Depuis une vingtaine d’années, des partis jusque-là considérés comme marginaux, tels le Rassemblement National en France ou l’AFD en Allemagne, font désormais parties intégrantes du paysage politique.

Comment expliquer une telle montée en puissance du populisme ? Yascha Mounk apporte deux réponses à cette question.

– Premièrement, du fait de la mondialisation et de la tertiarisation des économies, les inégalités ont fortement augmenté dans les pays développés. Ce renforcement des inégalités a généré chez certains citoyens un sentiment d’injustice et une certaine rancœur à l’égard des institutions libérales qui les gouvernent, qu’elles soient politiques ou économiques.

« Les gens ordinaires ont depuis longtemps l’impression que les politiciens ne les écoutent plus au moment de prendre leur décision. Ils sont sceptiques pour une raison : cela fait longtemps que les riches et les puissants possèdent un degré inquiétant d’influence sur les politiques publiques. Le jeu de chaises musicales entre le monde des lobbies et celui du Parlement, le rôle démesuré joué (aux Etats-Unis) par les donations privées dans le financement des campagnes, les honoraires de conférencier payés aux anciens hommes d’État, et les liens étroits entre la politique et l’industrie ont délogé le peuple de la prise de décision en matière de politiques publiques ».

 

– Deuxièmement, profitant de ce sentiment d’injustice qui animait les citoyens, les partis populistes aussi bien à droite qu’à gauche ont proposé un discours visant à opposer un peuple dépossédé de tout pouvoir et des élites qui ne se soucient plus des citoyens ordinaires. Le point de départ de tous les populistes est de critiquer la démocratie représentative. Selon eux, la démocratie représentative est un système dirigé par des technocrates qui accaparent le pouvoir et ne comprennent pas le peuple. En conséquence, les populistes comme Trump ou Mussolini se présentent comme les « vrais » représentants du peuple.

 

En 2016, Donald Trump a expliqué dans son discours à Charlotte : « J’ai décidé de faire campagne afin de rendre notre gouvernement au peuple ». Bernie Sanders a lui aussi annoncé à plusieurs reprises vouloir gouverner pour tous les citoyens américains et non pas seulement pour les fameux « 1% les plus riches ».

Même si le populisme est par essence démocratique, le risque qu’il se transforme en dictature existe. D’ailleurs, le 7 janvier dernier les partisans de Donald Trump ont pris d’assaut le capitole accusant les institutions américaines d’avoir truqué les élections. Cet événement n’est pas anecdotique. Il a traduit la perte de confiance d’une partie des citoyens américains dans leurs institutions démocratiques. Alors que dans les années 1960, la majeure partie des citoyens américains faisaient confiance à leurs dirigeants et aux institutions démocratiques, aujourd’hui, près d’un citoyen sur quatre considère la démocratie comme un mauvais système politique.

 

En Europe, le même constat peut être fait. En 2017, selon l’institut de sondage Gallup, près de 57% des citoyens de l’Union Européenne déclaraient qu’ils n’avaient pas confiance en leur gouvernement.

Face à de tels chiffres, peut-on considérer que la démocratie est en crise ? En réalité, deux interprétations coexistent.

Certains chercheurs estiment que la diversification du paysage politique est le signe d’une démocratie qui fonctionne bien car si de nouveaux partis politiques apparaissent, on peut penser que de nouvelles idées vont émerger et que le système sera plus représentatif de la population.

Mais, on peut aussi estimer que la diversification du paysage politique et plus particulièrement la montée en puissance des partis populistes est le reflet d’une pathologie de la démocratie. Selon  Mounk, l’électorat s’est radicalisé, notamment les plus jeunes. Par exemple, au deuxième tour des élections présidentielles de 2017 en France, près d’un jeune sur deux a voté pour Marine Le Pen contre un cinquième des personnes plus âgées.

 

Vers l’essor des démocratures ?

  1. Mounk souligne que la démocratie représentative, telle qu’elle a fonctionné depuis 1945, était loin de satisfaire les électeurs, dans la mesure où les décisions étaient prises par une élite politique représentant des formations politiques de centre droit ou de centre gauche, alternant au pouvoir. Cette alternance a pu se perpétuer pendant des décennies grâce à l’extraordinaire essor de l’économie.

« Aussi longtemps que le système fonctionnait à leur avantage, la plupart des individus ont cru qu’en dernière instance les politiciens se rangeaient de leur côté. « Je ne suis pas certain de pouvoir faire confiance aux hommes politiques, auraient-ils dit, mais je suis deux fois plus riche que l’était mon père, et mes enfants le seront probablement deux fois plus que moi. Laissons-leur le bénéfice du doute… »

 

Depuis la grande récession de 2008, le système a cessé de fonctionner au bénéfice de l’ensemble de la population et les mouvements extrémistes ont prospéré en exposant une autre vision de la démocratie reposant sur l’appel au peuple. Pour les démagogues comme Donald Trump ou Viktor Orbán, il faut écarter les intermédiaires, élus ou médias, et laisser le peuple dialoguer directement avec le dirigeant, seul à même de comprendre les vœux des électeurs.

 

« L’histoire de la désillusion des citoyens à l’égard de la politique est ancienne ; elle a désormais pris une forme inquiète, frustrée, méprisante même. Le système des partis avait l’air figé ; aujourd’hui, les populismes autoritaires ont le vent en poupe tout autour du monde, de l’Amérique à l’Europe, de l’Asie à l’Australie. Les électeurs ont toujours exprimé leur dégoût à l’égard de certains partis, hommes politiques ou gouvernements ; à présent, la plupart d’entre eux sont lassés de la démocratie libérale elle-même ».

 

Dans cet affrontement entre démocratie libérale et populisme, le risque majeur de la démocratie illibérale est de déboucher sur une forme d’autoritarisme et ou de dictature. En Russie, au Venezuela, en Turquie, mais également dans des pays autrefois considérés comme démocratique tels que la Pologne ou la Hongrie, des « démocratures » se mettent en place. Ce sont des régimes politiques respectant les principes de la démocratie, mais seulement en apparence. En fait, il s’agit de systèmes hybrides dans lesquels les citoyens peuvent voter librement. La constitution est donc démocratique. Néanmoins, les élections sont contrôlées par le pouvoir en place. Par exemple, dans ces régimes, les opposants sont parfois emprisonnés avant les élections et le dépouillement des urnes est contrôlé par les membres du parti au pouvoir.

 

Renée Fregosi précise que ces régimes, parmi lesquels on retrouve des pays comme la Russie ou la Turquie, sont dirigés par un leader charismatique craint de tous et détenant tous les pouvoirs. Ainsi, bien que « les règles du jeu » soient démocratiques, les gouvernants peuvent agir de manière inorthodoxe et alors pervertir la notion même de démocratie. En Hongrie par exemple, près de 80 % des médias sont contrôlés par le gouvernement de Viktor Orban.

 

Comment lutter contre le populisme ?

Les chercheurs apportent des propositions de réponses pour lutter contre l’essor des « démocratures ».

 

Éduquer les citoyens

Il est difficile de se rappeler que l’UE était jadis considérée comme un modèle d’organisation politique. Aujourd’hui les habitants des pays européens sont plus attachés à leurs cultures nationales qu’aux valeurs de l’UE. Afin de lutter contre le nationalisme, Yascha Mounk rappelle aux citoyens que le nationalisme a conduit à deux guerres mondiales et qu’une organisation comme l’Union Européenne a, au contraire, rendu possible -selon lui- la paix. Il est donc important de garder en mémoire que l’éducation civique est un rempart contre les idées autoritaires.

 

Réparer l’économie et faire des référendums

Si les citoyens votent pour des populistes, c’est essentiellement parce qu’ils sont inquiets pour leur l’avenir, la mondialisation et la tertiarisation de l’économie ayant entraîné la suppression de nombreux emplois. Pour mettre fin à cette vague populiste, les Etats doivent donc garantir à leur population que leur situation économique va s’améliorer. Les gains de la mondialisation doivent être partagés plus équitablement.

L’augmentation du prix du logement dans les grandes villes atteste que le niveau de vie n’a pas augmenté. Les locataires de Londres dépensent 72% de leurs revenus en loyer. Yascha Mounk préconise donc la diminution des prix des logements ce qui revient en fait à augmenter le nombre de logements.

Il suggère également de réformer le système éducatif dans son ensemble pour mieux préparer les citoyens au monde du travail auquel ils seront confrontés à l’ère du numérique.

Enfin, il estime que les gouvernements doivent mettre en place un filet de sécurité qui favorise la création de nouvelles entreprises.

Et enfin faire participer les citoyens à la prise de décision politique

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Vivre en démocratie est un privilège, il faudrait donc chaque jour veiller à protéger ce système politique. Pourtant les réponses visant à lutter contre le populisme semblent bien limitées.  Les livres sur le sujet passent l’essentiel de leurs pages à décrire un phénomène, il leur reste un peu d’espace à la fin pour chercher des solutions. Education, construction de logement, on voit bien que les auteurs passent peu de temps à réfléchir aux solutions. L’éducation certes, mais c’est un argument qui peut aussi être mal compris et favoriser le populisme. Alors comment lutter alors contre le populisme ?

Dans son ouvrage Let the people rule, John Matsusaka propose une solution intéressante. L’auteur propose d’inclure les citoyens dans le processus de décisions politiques en instaurant une dose de démocratie directe dans nos systèmes. Et en effet, organiser régulièrement des référendums permettrait de lutter contre les figures populistes qui ne pourraient plus dire « je suis le vrai représentant du peuple » puisque le peuple pourrait s’exprimer directement par référendum.

 

 The People vs. Democracy (2018), Why our Freedom is in Danger and How to Save it,

Yascha Mounk, Harvard University Press

Professeur de Sciences politique à Harvard, le politologue allemand Yascha Mounk a publié plusieurs ouvrages sur la démocratie, le libéralisme politique et le populisme. Journaliste indépendant, il a également écrit pour le New York Times, le Wall Street Journal, Slate et Die Zeit. 

 

Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates, Renée Fregosi, Éditions du Moment

Renée Fregosi est une philosophe et politologue française. Spécialiste de l’Amérique latine, elle est directrice de recherche en science politique à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.

Dans cet essai paru en 2016, Renée Fregosi défend une thèse simple : de la Russie au Venezuela, en passant par la Turquie et la Hongrie, une nouvelle forme d’autoritarisme est en train d’apparaître. Ces régimes autoritaires qu’elle qualifie de démocratures sont des régimes hybrides qui mêlent des éléments de démocratie, comme la tenue d’élections et des éléments de dictature comme la restriction de la liberté de la presse.


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