Démocratie participative locale, l’exemple du Parti Socialiste


La démocratie participative locale fait l’objet de ce que l’auteur qualifie « d’investissements cycliques » comportant des phases d’enchantement et de désenchantement, d’investissement et de désinvestissement. Selon le contexte historique, la valeur symbolique des vertus de la démocratie locale sont interprétées différemment. Ce chapitre nous offre un exemple de la perception et de la pratique de la démocratie locale dans les années 1970 via le cas du Parti Socialiste.

 

L’importance du contexte

Bien qu’il n’existe aucune trace juridique de démocratie locale pour la période des années 70, cette décennie a été marqué par un fort investissement. Durant cette période, le local est sous le feu des projecteurs et est conçu comme lieu d’expérimentation démocratique et cela notamment à la suite des évènements de mai 68. En effet, le contexte historique de cette période était propice à un tel élan de participation avec notamment une humeur « anti-institutionnelle » ainsi que l’émergence de nouvelle causes mobilisatrices.

C’est donc à gauche comme à droite de l’échiquier politique que se dessine un discours participatif. L’espace politique se voit influencé par les groupes écologistes et le nouveau Parti Socialiste, crée en 1969 et refondé en 1977. Sur le plan citoyen, des comités de quartier, des commissions extra-municipales et les premières véritables expériences de référendum illustrent la démocratie participative locale.

Au début des années 70, le PS inaugure un nouveau cycle de politisation de la question locale avec d’un côté une activation de l’enjeu municipal par un contexte historique de mobilisation et d’un autre côté un volontarisme inédit de la part du discours municipal. Cette situation s’illustre notamment au sein de son programme municipal de 1977. Ce dernier est grandement basé sur le local qui sera d’ailleurs le mot d’ordre mais également sur le fait que ce dernier apportera un cadre de vie permettant à chacun de réaliser ses besoins individuels et collectifs.

C’est dans ce contexte que le local « est à nouveau conçu discursivement comme un lieu de contre-pouvoir et de revendication mais aussi d’innovation et d’expérimentation sociales ». A cette échelle, le mouvement social peut enfin s’exprimer et le PS en profite pour reconstruire son crédit politique et idéologique perdu lorsque François Mitterand avait pris la tête du parti. Dans ce contexte local, le Parti Socialiste se dessine comme « parti des classes moyennes », il offre un espace politique, des pratiques sociales et un discours adaptés à certains groupes sociaux, ce qui participera à la solidification de ces classes . Le parti propose également une figure de « maire animateur » qui rompt avec la figure d’un maire distant et éloigné de ses citoyens.

Les idées affichées par le Parti Socialiste ont rencontré de la résistance à l’intérieur même du parti, résistance envers cette division du pouvoir entre citoyens et élus. En réponse, le parti a prôné les avantages de l’autogestion et l’enrichissement qu’elle peut apporter à la démocratie représentative.

 

« Les classes moyennes font le local qui les fait en retour »

La question municipale est repensée et de cette façon elle vient mobiliser la démocratie locale. Le thème de l’autogestion qui apparait en 1974 semble devenir le mot d’ordre à cette échelle, bien que le concept reste toujours flou. Dans l’ouvrage, l’autogestion communale est conçue comme « une prise en charge par tous les citoyens du vécu de la commune dans le cadre d’institutions dont en dernière instance la nature et les formes de coordination seront décidées par les communes elles-mêmes  ». Premat en 2006 dira que ce terme a été inventé pour se démarquer de la participation qui se veut être une notion plus de droite que de gauche.

La démocratie locale se voit dorée de nombreux outils tels que, en matière de concertation, des commissions extra-municipales et des conseils de quartiers. Le but de ces outils est de décentraliser la gestion des quartiers par le développement de corps intermédiaires libres et démocratiques.

« Le local est analysé et présenté à la fois comme un lieu d’inertie favorisant la reproduction des rapports sociaux et, potentiellement, une expérience porteuse de nouveaux rapports sociaux, de recherche de nouvelle formes de vie sociale et un laboratoire d’expérimentation sociale »

 

Le cas de la ville de Roubaix

Cette ville, socialiste depuis 1893, est présentée comme un laboratoire de démocratie locale à l’instar d’autres villes en France où s’est inscrit à cette période un nouveau cycle historique et générationnel de gouvernement municipal.

Avec les élections municipales de 1977, la continuité sociale prévaut et la nouvelle équipe amène une conception renouvelée de l’action municipale qui inscrit à son agenda l’action économique et la démocratie locale. Le but est de se détacher d’une dépendance trop grande envers l’institution municipale grâce à une grande autonomie de la société civile locale. De ce fait, un appel généralisé à la participation est lancé et les citoyens sont donc invités à formuler leurs besoins et demandes ainsi qu’à dialoguer entre eux. Le mot d’ordre est celui de la responsabilisation de la population mais aussi de la reconstruction du lien représentatif. Cependant, l’élu reste le garant de l’intérêt général et garde un rôle d’arbitre dans les instances de participation.

Pour mettre en forme la démocratie de concertation et de délibération voulues par les nouveaux élus, diverses technologies politiques sont choisies telles que les comités de quartier et les questionnaires. Pour assurer la transparence, le journal municipal Vivre à Roubaix est créé en octobre 1977 et se voit compléter un an plus tard par le Centre d’information municipale dont le but est de fournir un éventail d’informations à la population.

Pour permettre aux citoyens de prendre part au processus décisionnel, douze commissions extra-municipales sont créés, dirigées par des adjoints et représentant chacune des domaines essentiels de la vie sociale. Organes de consultation et de proposition, les décisions prises au sein de ces commissions sont ensuite discutées par chaque commission municipale avant d’être présentées au conseil municipal.

Cependant ces commissions setont peu concluantes due à un nombre de réunion trop faibles. Les conseils de quartiers et leur but consultatif eux ne rencontreront pas non plus de véritable succès. En effet, le risque exprimé est que ces derniers viendraient saturer l’agenda municipal par des problèmes habituellement cachés. De plus, le pouvoir municipal contrôle ces conseils pour éviter qu’ils ne deviennent des contre-pouvoir trop puissants. Cette situation s’observe à Roubaix et partout dans les villes socialistes après les élections municipales de 1977.

Deux problèmes sont alors observés, d’une part un manque de participation de la part de la population et d’une autre part une démocratie participative qui se voit balisée par les élus. Alors, même si la municipalité ne concède à la population qu’une faible part de pouvoir, celle-ci ne la saisit pas pour autant et ce malgré les outils mis à sa disposition. Concernant la faible participation des citoyens, elle peut être expliquée par le coût social qu’elle représente et le capital culturel qu’elle requiert et cela notamment de la part de la population ouvrière.

 

Désinvestissement et inflexion du discours national

Après la victoire électorale du discours socialiste en 1977, on observe tant sur le plan national que local des difficultés. Certains élus observent que c’est la « petite bourgeoisie locale » qui profite du partage du pouvoir municipal. Alors, face à un faible taux de participation, les maires retournent vers les anciennes pratiques. La question de la démocratie locale est abandonnée pour celle de la décentralisation, sujet sur lequel les élus sont au premier plan. En 1983, la campagne électorale du parti socialiste ne se construit plus sur la thématique participative et se tourne alors vers la qualité de la gestion municipale. Dans les années 1980, les villes socialistes convergent vers des modèles managériaux, loin du discours local de la décennie dorée.

L’auteur affirme que le discours participatif du Parti Socialiste pendant les années 1970 était en vérité plus un discours de subversion, c’est-à-dire la volonté de renverser des équilibres politiques établis qu’une intention réelle.

 

La démocratie participative : histoire et généalogie, chapitre 3, Rémi Lefebvre, éditions La découverte.

Rémi Lefebvre est professeur de science politique à l’université Lille-2 et chercheur au CERAPS. Ses travaux portent sur la sociologie des partis politiques, la démocratie participative, le métier politique et les mobilisation électorales.


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