Face à la crise de la représentation, la participation est une alternative curieusement peu envisagée. Mais la tendance peut peut-être s’inverser, car les études s’additionnent et les pratiques se multiplient à l’échelle locale. Ce livre en témoigne et propose une étude sur les outils de notre époque afin de démocratiser la participation.
« Entre fantasmes idéologiques et réalités sociales », cet ouvrage se concentre sur une application concrète des outils digitaux dans le processus de décision participatif dans la ville d’Angoulême, avec onze études de cas étalées sur deux ans.
L’outil digital
Les auteurs de l’ouvrage définissent la « démocratie participative digitale » comme « l’utilisation de la technologie digitale pour les actes citoyens ». La « technologie digitale » serait la « mobilisation d’applications informatiques portables ».
L’outil digital répondrait à plusieurs objectifs :
- « renouveler les processus de concertation et contribution citoyenne » ;
- « attirer de nouveaux publics » (jeunes, quartiers prioritaires, acteurs de la ville, commerçants) ;
- La transparence des concertations ;
- L’attribution d’un rôle de coproduction aux citoyens.
Les auteurs ont noté une volonté chez les citoyens de participer à la vie en communauté à l’échelle du quartier ou de la ville, malgré un leur perte de confiance dans les institutions publiques.
Les méthodes de participation
Selon les sources du livre, avant même l’apparition des technologies numérique, la participation publique était considérée comme un instrument de légitimation des choix et des projets entrepris par les élus ou les institutions. L’acte de participation ferait l’objet de stratégies manipulatrices comme la théorie de l’engagement : technique consistant à convaincre un individu d’agir pour une cause ou un projet.
Parmi les usages qui existent déjà concernant le fonctionnement participatif, les auteurs pointent du doigt deux éléments centraux pour les méthodes digitales :
- La manière de participer : le degré de participation en plusieurs étapes : information ; consultation ; collaboration ; délégation de pouvoir aux citoyens ;
- Les acteurs : publics ; économiques ; académiques (chercheurs, universitaires…) et les citoyens.
Le numérique serait un moyen de participation est contrasté : certains pensent qu’il est bénéfique pour l’expression, qu’il amène du dialogue, surtout dans un contexte d’abstention. D’autres y voient un outil d’exclusion et de favoritisme.
Il est intéressant de noter que quelques pratiques participatives non digitales qui ont été testées dans plusieurs villes dans le monde : New York, Amsterdam et Montréal.
La ville d’Amsterdam aurait développé, dans des quartiers abandonnés, une zone d’expérimentation de l’économie circulaire et d’auto-constructions, impulsées par des habitants. L’expérience aurait été un succès.
La Civic tech : un outil digital au service de la participation
La Civic tech est présentée comme « l’usage de la technologie dans le but de renforcer le lien démocratique. Elle englobe toute technologie permettant d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique, ou de rendre le gouvernement plus accessible, efficient et efficace. » En d’autres termes, ce sont des outils numériques contenant des méthodes participatives de prise de décision collective. Cet outil numérique permettrait un gain de temps et des économies de matériels de réunion.
Les acteurs de la Civic tech seraient principalement des start-uppers, des entrepreneurs, des sociétés de communication, des éditeurs de logiciels ou encore des intégrateurs.
La Civic tech servirait plusieurs enjeux :
- Le renforcement de la transparence de l’action publique ;
- La valorisation du travail de la collectivité ;
- L’amélioration de l’adhésion des citoyens aux décisions ;
- Atteindre des publics qui ne participent pas actuellement ;
- L’amélioration de la qualité des décisions grâce au bénéfice de l’expertise des citoyens ;
- Le renforcement de l’efficacité de l’action publique ;
- L’évaluation de l’action publique.
Dans l’ensemble, ces outils digitaux seraient bien accueillis par les institutions et autres structures : selon la Knight Foundation, le nombre d’acteurs de la Civic tech aurait augmenté de 23% entre 2008 et 2013, à l’échelle mondiale.
Selon l’ouvrage, les collectivités publiques se servent des Civic tech à plusieurs fins :
- La numérisation des informations et des services relatifs à l’identité, aux démarches administratives mensuelles ou annuelles etc. ;
- La diffusion des informations à destination des citoyens, mais aussi des acteurs de la collectivités afin d’organiser et de développer de nouveaux services ;
- La mise à disposition des moyens numériques de participation à destination des citoyens ;
- Faciliter la prise de décision et le lancement des actions de manière immédiate et différée.
Pour les représentants et la société civile, la Civic tech est un outil de mobilisation citoyenne et une source d’opinion publique. De plus, la Civic tech serait capable d’organiser l’action locale, de faciliter l’émergence d’idées et elle serait également un moyen efficace de communiquer les besoins matériels, financiers et humains pour la réalisation des projets.
Afin d’illustrer l’impact de cet outil digital sur la vie publique, les auteurs dressent une liste exhaustive des « propositions de valeur civique » (actions entreprises par les collectivités) réalisées grâce aux Civic tech. Parmi ces réalisations, figurent des plateformes de publications de données ouvertes (Open Data), des outils de collecte publique, des forums de voisinage et civiques, des services d’alerte (notification au sujet du territoire à destination des résidents), l’idéation (partage des idées d’innovation), la décision collective (correspondant aux attentes des citoyens)…
Emily Metais Wiersch explique le fonctionnement des Civic tech en dressant une frise d’implication citoyenne dans la collectivité :
- Prendre connaissance (sondages ; présentation de projets…) ;
- Commenter (réponse rapide) ;
- Participer (réponse développée, argumentée) ;
- Voter (présenter et défendre ses idées) ;
- Proposer (présenter un projet structuré) ;
- Entériner (vote et allocation du budget) ;
- Apporter des ressources (mobilisation et gestion des moyens)
La réussite de ce processus dépend en grande partie de son encadrement par un « community manager » ; de la prise en main de la Civic tech par les acteurs ; de l’implication de la collectivité tout au long du processus (informations, ressources humaines et matérielles).
Quelques applications des pratiques digitales
Les budgets participatifs, initiative venue du Brésil (Porto Alègre) et répandue en France depuis 2014, se digitalisent de plus en plus. Les auteurs ont pu observer qu’en moyenne 5% du budget est négocié via cette méthode participative, parfois 10% et même jusqu’à 15% dans certaines collectivités.
Cependant, plus de la majorité des collectivités effectuant des actions participatives digitales seraient doublées de réunions présentielles. Le digital ne semble donc pas remplacer mais plutôt assister la démocratie participative. En ce sens, l’Open Data (ouverture publiques de données) semble être un indicateur de l’utilisation et de la diffusion des Civic tech. Les auteurs répertorient dix pays rendant accessibles publiquement entre 67% et 90% de leur données:
- Taïwan
- L’Australie
- La Grande Bretagne
- La France
- La Finlande
- Le Cananda
- La Norvège
- La Nouvelle-Zélande
- Le Brésil
- L’Irlande du nord
En France, les plateformes de Data ouvertes sont répandues, comme à Bordeaux, Lyon, Toulouse, Poitiers, en Région Ile-de-France ou dans le Nord-Pas-de-Calais (Hauts -de-France). Des villes telles que Caen ou Dunkerque ont réalisé des projets de e-collectivités, répondant à des objectifs d’informations, de dialogue et de dématérialisation des démarches administratives. Les outils digitaux ont également été utilisés à Bordeaux, en Haute-Garonne, ou encore dans le Lot, pour impliquer les citoyens, recueillir leurs opinions et les faire débattre.
Il convient de noter que l’outil digital ne règle pas les difficultés de budget et les conditions d’application des solutions. La solution trouvée doit nécessairement créer une nouvelle fonctionnalité ou en améliorer une existante, et elle doit s’inscrire dans le quotidien des acteurs de la ville, de manière durable et stable.
Selon les auteurs, il serait pertinent de créer des outils transversaux afin de mutualiser les informations et les démarches entre chaque échelon territorial.
L’étude de cas d’Angoulême
D’après l’interview de Denis Debrosse, conseiller municipal délégué aux relations citoyennes de la ville, les premiers projets participatifs se sont développés lors d’Opération de Renouvellement Urbain (ORU). Malgré la méfiance des citoyens au début, les démarches participatives ont fonctionné.
Se fondant sur son expérience de directeur d’hôpital pour illustrer le fonctionnement de la Civic tech d’Angoulême, Denis Debrosse explique qu’il a choisi de diriger l’hôpital en « manageant ». Il tire quatre « facteurs » de son expérience : mission, organisation, gestion et évaluation. Il précise également que ces facteurs doivent servir de point de repère à trois sphères de la vie publique : le citoyen, le politique et l’administration.
Denis Debrosse revient ensuite sur l’utilisation de l’application pour animer des séances de travail collaboratives : “Workshop factory/Mob-up”. Cette application était à l’origine destinée à des entreprises, dans un objectif de management. Elle a été utilisée pour des conseils citoyens, des projets d’aménagement urbain, des ateliers santé ville… Ce dispositif a permis aux citoyens de travailler collectivement et de faire émerger des propositions.
Conseil local de santé mentale utilisant l’outil Workshop.
Ce projet a réuni des citoyens, des bénévoles, des experts de santé, des médiateurs… afin de permettre l’amélioration de la santé mentale de la population. L’outil a permis des échanges de points de vue entre les différents acteurs, de telle manière que la décision prise in fine s’est avérée différente de ce que les professionnels de santé avaient initialement imaginé. La décision a inclus différentes dimensions et les avis se sont échangés dans la bienveillance et l’écoute.
Les beaux jours, dispositifs ludiques de loisirs annuels.
L’outil digital (Workshop) a permis aux utilisateurs d’approfondir leurs connaissances sur les dispositifs et de prendre conscience des contraintes matérielles et budgétaires pesant sur la collectivité. L’outil prévoit la production d’un document récapitulatif en fin d’atelier.
Conseil citoyen d’Angoulême.
L’outil Workshop a également servi lors de l’établissement de conseils citoyens, par les citoyens. L’outil digital a été utilisé avec enthousiasme et le projet de renouvellement urbain a fait l’objet de décisions publiques, grâce à l’établissement de conseils de quartiers. Cependant, l’implication des partenaires n’a donné aucune suite dans les mois qui ont suivi et ce sont finalement tournés vers d’autres choix de projet.
Un outil digital est donc efficace car il facilite la communication entre les acteurs et les citoyens, mais il ne garantit que la méthode. La démarche participative doit ensuite être respectée par tous les acteurs.
Les auteurs ont remarqué que l’application Workshop Factory parvient à faciliter la communication entre les participants et fournit des méthodes de construction de projets efficaces. Néanmoins, un manque de communication ou de compétence technique pour utiliser l’outil peuvent engendrer des contre-temps et des incompréhensions entre les participants.
Cette étude des outils digitaux a permis aux auteurs de définir deux enjeux capitaux pour le développement de la démocratie participative digitale : l’accès aux informations et la participation. Les collectivité publiques sont les actrices principales de l’accès à l’information, via les Big Data : elles sont donc cruciales. La participation des acteurs et des citoyens l’est tout autant. L’accès à l’information permet la concertation (donner son avis lors d’événements ou pour des évaluations) et la participation permet la co-construction (donner un rôle actif aux acteurs, avec des tâches précises).
En résumé, et pour reprendre une citation de l’Institut de la concertation (2016) utilisée par les auteurs : « l’outil, qu’il soit numérique ou non, ne résout rien à lui seul ; il doit être choisi pour être au service d’une stratégie plus globale de participation ». En d’autres termes, l’outil digital est un élément pertinent et efficace pour la démocratie participative à condition que les participants soient impliqués et que le projet bénéficie à l’ensemble des acteurs de la collectivité.
Démocratie participative digitale. Angoulême expérimente les projets participatifs digitaux, éditions EMS Management et société, 2019.
Jean-Marie Peretti est professeur et chercheur en ressources humaines. Il est Président de l’Institut International d’Audit Social (IAS) et Directeur de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Corse. Il enseigne actuellement à l’ESSEC et à l’université de Corse. Il est également rédacteur en chef de « Question(s) de Management ».
Soufyane Frimousse est Président de la commission « Audit social au Maghreb » de l’IAS. Il est également maître de conférences, docteur et habilité à diriger des recherches en Sciences de Gestion à l’Université de Corse et l’Université de Montpellier 3. Il est par ailleurs chercheur associé à l’Essec Business School de Paris et rédacteur en chef adjoint de la revue « Questions de Management ».