Saillans, une Expérimentation de la Démocratie Participative


En 2014, le village de Saillans, situé au pied du Vercors et peuplé de 1300 habitants, se lance dans une expérience de gouvernance locale inédite. Un film et un livre racontent cette expérience.

Maud Dugrand a un parti pris fort : elle pense qu’il n’y a pas d’autre choix face à des maires et élus « tout puissants, méprisants », cumulant les mandats et fermés à la participation des citoyens alors que le documentaire de Dorine Brun et de Sarah Jacquet immerge le spectateur au plus près de l’expérience sans prendre parti.

 

L’origine de cette expérience date de 2010 lorsque surgit l’idée de l’installation d’une enseigne Casino en dehors du village, mettant en péril les commerces locaux. Les citoyens contre veulent lancer une consultation en vue d’un référendum qui requiert 10% des électeurs. Les élus, qui eux sont pour, votent à bulletin secret pour l’implantation de ce supermarché ce qui est perçu par les citoyens opposés au projet comme une trahison. Pendant dix-huit mois, ces derniers vont exprimer leur mécontentement et se battre contre cette implantation ce qui aboutira à l’abandon par l’enseigne Casino de l’installation du supermarché.

 

Vers une liste citoyenne

Dès 2012, des habitants du village commencent à évoquer la possibilité d’une démocratie participative. En 2013, une réunion publique est organisée, 150 personnes se regroupent et se divisent autour de 10 thèmes qui concernent la commune. D’autres réunions auront lieu et une liste citoyenne se constitue, elle se nomme « Autrement pour Saillans… tous ensemble ». Lors de sa construction, le schéma habituel plaçant le maire au centre de la vie locale est renversé, le programme est le fruit d’une démarche de coconstruction et l’équipe travaille sur une charte définissant ses valeurs.

« Nous nous engageons à construire une nouvelle politique locale, à trouver les équilibres justes en matière sociale, écologique et économique par l’usage d’une politique participative, à impliquer les Saillansons dans les choix et les projets en facilitant les échanges entre élus et citoyens, en offrant la parole à tous (…), à informer les Saillansons des enjeux politiques et leur permettre l’accès à la formation et aux outils de gouvernance, à définir et créer des moyens d’un mieux vivre ensemble, à favoriser les échanges en s’appuyant sur la diversité et la richesse de la population »

Il était nécessaire d’avoir un maire pour des raisons légales. Néanmoins, dans l’optique d’équilibrer les pouvoirs, une idée de fonctionnement collégial des élus apparait. Le but est alors que chaque compétence soit administrée par deux ou trois conseillers municipaux mais également qu’à la tête de l’exécutif, le maire et le premier adjoint fonctionnent en binôme. De plus, un comité de pilotage est organisé une fois par semaine pour donner la parole aux habitants. Ainsi, le conseil municipal fera office de chambre d’enregistrement des décisions prises en concertation avec la population.

Le 23 mars 2014, la liste « Autrement pour Saillans…tous ensemble » emporte la mairie dès le premier tour avec 56,8% des voix pour 80% de participation. Ce taux élevé de voix s’explique par une diversité des candidats et une mobilisation de réseaux préconstitués.

Une fois élue, son but est de mettre en place un fonctionnement en dehors de la personnalisation et la centralisation du pouvoir, et visant la collégialité et la participation. L’élan de participation continue de plus belle avec cette victoire et laisse place à une réorganisation du travail, de ce fait 250 citoyens se partagent sept commissions créées pendant la campagne et administrées chacune par un binôme de conseillers municipaux. Enfin, chacune d’entre elles créent également des groupes action projet (GAP) prioritaires. La première mesure décidée à l’unisson fut celle des indemnités dont la répartition était effectuée selon le temps dédié au projet.

Après avoir eu 250 Saillansons ayant participé à l’expérience, l’assiduité aux réunions s’est fortement réduite. Mais la refonte du PLU (plan d’aménagement) aura remobilisé jusqu’à 400 habitants.

 

Pour quels résultats

Cette expérience permet un changement de rapport au pouvoir des femmes en politique car ce sont elles qui ont été majoritairement présentes dans les dispositifs de participation, elles ont su davantage montrer écoute, attention à l’autre, partage de la parole. On est frappé dans cet excellent documentaire de la formidable capacité d’écoute des habitants qui participent à l’expérience.

A noter aussi que les minorités sont mieux représentées dans un système de participation comme celui-ci où leur singularité peut enfin s’affirmer.

Ce projet contient néanmoins des contraintes, notamment autour du rôle du maire. Celui-ci représente en France une dimension symbolique forte et prégnante. De ce fait, la désacralisation de cette fonction s’avère compliquée et notamment pour les plus anciennes générations. Selon Maud Dugrand, le clientélisme banal d’une commune (il est courant de s’adresser au maire pour x raisons et de manière individuelle) est délégitimé et bousculé dans une situation où les compétences du maire sont partagées. Les demandes sont alors réorientées vers les élus compétents ou devant les dispositifs d’expression ce qui génère distance et exclusion.

Un autre obstacle relevé par Maud Dugrand concerne les divisions sociales et la difficulté que représente le consensus entre elles. Ce sont souvent les retraités et citoyens au fort capital culturel qui s’investissent dans ces dispositifs. On voit d’ailleurs très bien dans le documentaire un clivage entre néoruraux et habitants anciens. Ces derniers sont très peu présents dans les réunions.

Et bien sûr le temps disponible est un critère d’exclusion forte comme le dit l’auteur : « L’inégalité d’accès à la parole et à l’agir politique se couple également au temps possible à consacrer à la citoyenneté dans une société contrainte par le travail », même si le temps est aussi le temps que l’on souhaite consacrer (des mères de familles qui travaillent se sont aussi investies).

En mars 2020, la nouvelle équipe élue en 2014 sur ce projet n’a finalement pas été réélue (de peu) et les Saillansons ont choisi de revenir à une équipe classique.

 

Pour conclure, nous pouvons dire que Saillans constitue un bon exemple de démocratie participative locale avec ses côtés très positifs : prise de décision partagée, rencontre et échanges intenses entre habitants, et ses limites : nécessité d’y consacrer beaucoup de temps, recherche du consensus complexe et frustrante, pouvoir à ceux qui vont vraiment aux réunions. A la fin et paradoxalement on se demande si ce système n’a pas une forte ressemblance avec l’élection classique qui donne le pouvoir à peu de gens qui y consacrent leur temps. La vraie et forte différence est que le pouvoir est plus largement partagé et que tous ceux qui le souhaitent y ont accès.

 

Commune Commune, film de Dorine Brun et Sarah Jacquet

La Petite République de Saillans, expérience de démocratie participative, Maud Dugrand, éditions du Rouergue

Maud Dugrand est journaliste pour le magazine Siné  ainsi que pour le journal Le Monde.


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