La Démocratie Continue en 6 Thèses


La démocratie continue est un concept crée par Dominique Rousseau que l’auteur illustre dans ce livre par 6 thèses structurantes.

Dans son introduction, l’auteur insiste sur l’importance du rôle que le citoyen doit jouer dans un régime politique démocratique. Dans certaines démocraties représentatives modernes comme la France il a été relégué à son simple rôle d’électeur, avec la « démocratie continue » le citoyen jouera le rôle qu’il est supposé jouer en étant au cœur de la politique. On parle donc d’un régime politique où les citoyens reprennent leur rôle. Une démocratie en action où tous les corps politiques qui composent le régime agissent.

 

Les droits de l’homme sont le code d’accès à la démocratie.

Les droits de l’homme sont ce qui permet de créer un citoyen démocratique.

Pour comprendre ce qu’est un citoyen, l’auteur commence par revenir sur la définition du peuple. Il reprend celle que donne Cicéron, en distinguant la foule du peuple. Le peuple est une association politique d’individus. Le peuple est la référence de tous les systèmes politiques, c’est une création artificielle qui permet de créer les droits et ainsi la Constitution. Mais le peuple n’est pas un être abstrait de la Constitution. La Constitution confère au peuple des droits qui le changent en citoyen. Et ces droits se modifient et s’agrandissent en permanence.

L’auteur rappelle que la démocratie se construit sur les droits de l’homme, qui permettent d’écrire la Constitution. La Constitution est un acte vivant, un espace ouvert à la création continue des droits. Elle n’est pas morte et arrêtée, comme dans d’autres régimes.

 

La notion de citoyen démocratique ayant été défini, l’auteur donne ensuite l’autre condition pour avoir une démocratie continue, qui est un espace public démocratique.

L’espace public démocratique se crée grâce aux droits de l’homme, cœur de ce régime politique. Les droits mettent les hommes en relation les uns avec les autres. L’espace public est un espace commun qui permet de relier les individus ensemble. Les droits permettent d’avoir un espace de rencontre où le peuple peut exercer ses droits et échanger. Les droits de l’homme sont un espace public ouvert qui implique l’échange des individus pour construire quelque chose de commun à tous. Pour que les individus construisent quelque chose de commun, il faut qu’ils se regroupent autour d’une notion forte et abstraite (l’auteur lui parle d’instrument), comme la religion, la Nation, l’Etat ou encore les classes sociales. Mais de nos jours, ces instruments ne fonctionnent plus.

Cependant, l’auteur dit qu’il est important que l’individu soit épanoui pour qu’il construise avec d’autres. Il reprend une citation de Marx, « le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous. », pour expliquer l’importance d’avoir des individus qui se développent dans de bonnes conditions pour qu’ils puissent se rassembler et construire un espace commun.

Dans la démocratie continue, l’individu n’est pas défini par un seul trait. Il est une multitude de choses qui se définit par les différentes sphères d’activités qu’il occupe. Quelques exemples de traits qui peuvent définir un individu : il peut être étudiant, travailleurs, consommateur, parent, malade, électeur, croyant etc… L’individu a toujours plusieurs traits qui le définissent, contrairement à celui du système représentatif où son seul trait de définition est celui d’être électeur.

 

Les citoyens ne sont pas dans le corps des représentants

Dans cette deuxième thèse, l’auteur fait une comparaison directe entre la démocratie représentative et la démocratie directe, afin d’établir les défauts des deux régimes.

La démocratie représentative est construite sur le principe de souveraineté nationale, et fonctionne par mandat représentatif. Le défaut de ce régime est qu’il est d’inspiration monarchique.

La démocratie directe est construite sur le principe de souveraineté du peuple, et fonctionne par référendum et par mandat impératif. Les défauts de ce régime sont multiples. Il y a d’abord une idéalisation du référendum qui caricature l’acte de voter. Il est utilisé pour manipuler, diffuser de fausses informations et « activer les instincts primaires ». Cela signifie qu’il donne l’illusion de participer. Lors d’un référendum, il peut y avoir l’utilisation d’arguments mensongers qui permet de manipuler les électeurs. La manipulation passe aussi par l’appel aux émotions des électeurs pour qu’ils votent par instincts et émotions plutôt qu’avec la raison, la réflexion (à noter que ces affirmations de l’auteur sont souvent discutées par les partisans de la démocratie semi-directe qui affirment que la simple représentation a les mêmes défauts intrinsèques).

L’autre défaut est la souveraineté populaire, qui signifie que le pouvoir est dans un seul corps politique, le peuple. Cette souveraineté est un problème car elle signifie qu’il ne peut pas avoir de contrôle sur ce corps politique. Et elle suppose que ce corps politique agit bien, en tout cas qu’il ne peut pas mal faire.

Ces deux régimes politiques ont un défaut en commun, qui est de se construire sur la réduction des corps en faveurs de l’unité du corps, ils rejettent l’idée d’écart et d’autonomie des corps. Cela signifie que l’individu s’efface pour faire la place au corps politique. Et ces individus sont fusionnés dans le corps politique, ils ne peuvent pas s’en distinguer.

La démocratie repose sur le principe de la représentation-écart, qui est la distinction entre les représentants et le peuple. La démocratie continue veut faire la distinction entre les deux corps. Le corps des citoyens et le corps des individus n’ont pas les mêmes tâches à accomplir.

Dans le cas d’une représentation-fusion, le corps des citoyens étant le même que celui des représentants, le corps des citoyens doit juste accomplir l’action de se taire.

Alors que dans le cas d’une représentation-écart, le corps des citoyens étant différent que celui des représentants, le corps des citoyens doit agir, parler et vouloir (exercer ses droits, et accomplir ses autres tâches).

Pour permettre aux citoyens d’accomplir leurs tâches et maintenir l’écart entre les deux corps, il faut construire l’espace et les moyens qui vont permettre cela. Il y a deux espaces qui permettent de maintenir l’écart : il y a celui de la Loi, et celui de la Constitution. Il ne peut pas y avoir de fusion entre ces deux espaces, qui permettent aux deux corps d’accomplir leurs tâches et maintenir l’écart entre les deux.

 

Les citoyens concourent personnellement à la fabrication de la loi

Dans la troisième thèse l’auteur affirme qu’il faut rompre avec le régime représentatif, car le peuple est dépossédé de son droit. Son pouvoir d’agir est enlevé au peuple en valorisant la parole des représentants plutôt que celle du peuple. Cela va même plus loin car la parole des représentés est tue. L’auteur développe l’exemple des gilets jaunes, comme moment où le peuple reprend son droit et pouvoir de citoyen. Il y avait une distance entre les représentés et les représentants, alors les représentés se sont manifestés sur la place publique pour échanger, parler, et débattre. Le peuple reprend son statut de citoyen qui avait été effacé et remplacé par le terme « gens ». En-dehors des moments de votes, d’élections, les citoyens ont menés une action continue.

La démocratie continue reconnaît les citoyens comme étant plus que de simples électeurs. Il faut reconnaître, d’après l’auteur, la compétence normative des citoyens afin qu’ils puissent entrer dans la sphère de production normative et des politiques publiques. L’auteur reprend des articles de la Déclaration de 1789 pour redonner aux citoyens leurs droits, notamment celui de participer à l’élaboration des lois. Les citoyens n’ont pas besoin de représentants, ils peuvent s’exprimer librement même contre ces représentants. Ils ont le droit de contrôler et de faire des réclamations aux représentants. Mais l’interprétation de la Déclaration a été faite en faveur des représentants, et de la Nation. Les représentés et les représentants ont été fusionné en un seul et même corps, ce qui a permis de faire disparaître le peuple dans ce processus.

 

La justice n’est pas un pouvoir de l’État mais un pouvoir de la démocratie.

La justice a des fonctions démocratiques. Il existe dans la société trois espaces : civil, public et politique. La justice c’est l’articulation entre les trois espaces. Elle a un rôle de passeur et participe à une société plus souple, ouverte et démocratique. La justice a le pouvoir d’équilibre et de mesure dans l’élaboration de la norme.

La légitimité du pouvoir de la justice est remise en question, car il n’est ni élu, ni issu d’un suffrage. Il n’est donc pas légitime ni démocratique. Pour légitimer le pouvoir judiciaire, l’auteur se réfère à la théorie sur la légitimité procédurale qui dit qu’une décision est considérée comme légitime par la société quand la procédure de fabrication a respecté certaines règles comme la transparence des opinions, le contradictoire, l’impartialité, l’argumentation et la délibération. L’auteur affirme que c’est ce qu’il faut pour légitimer le pouvoir judiciaire avec quatre règles à suivre :

  1. L’obligation de motiver les jugements, qui permet d’exposer le processus argumentatif qui a conduit à retenir une interprétation (de loi) plutôt qu’une autre.
  2. Le principe contradictoire, qui permet un échange d’arguments entre les parties. Cela permet aussi d’exposer et de défendre des arguments avec une égalité des armes.
  3. La publicité des débats judiciaires, qui permet à la sphère de la justice de s’ouvrir et de communiquer avec d’autres sphères.
  4. La collégialité, qui permet la discussion des décisions de justice. Le jugement doit être une confrontation entre les magistrats, qui devraient chacun pouvoir discuter d’un jugement avant de rendre ce jugement.

À la suite de ceci, l’auteur propose une refondation radicale de la justice. Il propose de mettre fin au dualisme juridictionnel en supprimant le Conseil d’État, car il est à la fois juge de l’administration et conseiller du gouvernement. Ce conseil exerce deux fonctions qui devraient être séparées, c’est pour cela qu’il devrait être supprimé.

Et il propose la création d’un procureur général de la République, qui serait désigné à la majorité des trois cinquièmes par le Parlement, il serait chargé de conduire la politique pénale, de diriger la police judiciaire, de surveiller l’impartialité de l’instruction et des enquêtes, et il devrait rendre compte de sa politique devant les assemblées parlementaire.

Il propose dans cette refonte de la justice, la création d’un Conseil supérieur de la justice, qui doit être à distance des conflits, car il faut du temps et de l’espace pour juger. Ce conseil doit être à l’écoute de la société, et il doit être à l’abri des passions, car l’impartialité et l’éthique professionnel sont nécessaire. La justice ne doit pas faire partie du gouvernement, car il n’est pas impartial. Pour séparer la justice du gouvernement il suggère que le ministère de la Justice devienne le ministère de la Loi, dont le rôle sera de contrôler la qualité rédactionnelle et juridique des projets soumis à la discussion parlementaire et de contrôler leur compatibilité avec la Constitution, la législation européenne et les traités internationaux. Il propose aussi la création d’une Cour constitutionnelle.

 

Il conclut cette thèse en insistant sur le fait que la justice est une des bases de la démocratie. C’est ce qui la distingue d’autres régimes. Il affirme que « les sociétés sont entrées dans l’ère démocratique lorsqu’elles ont posé les règles du procès équitable et du tribunal neutre et impartial ; les sociétés sortent de l’univers démocratique lorsqu’elles réduisent l’indépendance de la justice. »

 

Le président doit être déconnecté et le Parlement reconnecté.

Pour cela, il commence par évoquer le besoin de lever l’équivoque constitutionnelle de la Ve République. Il montre que les cohabitations politiques, le quinquennat et les élections législatives ne font que créer des désaccords au sommet de l’État et affaiblir l’exécutif. Il revient sur l’histoire de la Ve République afin de montrer que la structure de celle-ci est porteuse de conflits au sommet de l’État. Le problème au sommet de l’État, c’est qu’il y a deux personnes à la tête du gouvernement (le président et le Premier ministre), ce qui est source de conflits politiques.

Comme solutions à ce problème, l’auteur propose plusieurs actions : d’abord que l’Assemblée nationale soit élue à la proportionnelle, mettre en place un contrat de législature entre le Premier ministre et les députés, puis exclure le président de la République du Conseil des ministres. Et enfin, créer une assemblée des citoyens.

 

La Constitution doit être réécrite

Dans cette courte thèse, l’auteur propose d’abord d’avoir un processus de réécriture de la Constitution qui suivrait plusieurs étapes. Ce processus serait plus démocratique.

Il faudrait d’abord des assemblées décentralisées dans tout le pays pour recueillir des propositions de citoyens. Ensuite, un comité rédigera de nouveaux articles sur la base des propositions faites par les citoyens. Et il rédigera un argumentaire expliquant l’esprit de ces nouvelles dispositions. Puis, ce travail sera soumis à la discussion d’une commission mixte paritaire. Et enfin, le comité devra proposer et expliquer une réécriture de tout ou en partie de la Constitution. Une fois celle-ci rédigée, elle sera soumise à un référendum.

L’auteur finit en proposant plusieurs réécritures d’articles de la Constitution. Il reprend des articles de la constitution qu’il réécrit ou dans certains cas il indique qu’il faut supprimer l’article.

 

En conclusion, l’intérêt de la théorie de la démocratie continue est qu’elle apporte des propositions nouvelles pour faire évoluer nos institutions en empruntant à de nombreux courant comme la démocratie participative, la démocratie à la Suisse ou la refonte du rôle du Président.

 

6 thèses sur la démocratie continue, éditions Odile Jacob.

Dominique Rousseau, est professeur de droit constitutionnel à Paris-I-Panthéon-Sorbonne, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, président du conseil scientifique de l’Association française de droit constitutionnel. Il a été membre du Conseil supérieur de la magistrature de 2002 à 2006. Il est membre du tribunal constitutionnel de la principauté d’Andorre.


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