La Démocratie ou l’Intelligence du Nombre


L’intelligence collective repose sur une idée très simple : pour prendre de bonnes décisions, il faut s’appuyer sur un groupe d’individus aux opinions diverses, et non pas compter sur l’avis d’un expert ou d’un petit groupe. C’est ce que souligne James Surowiecki dans son livre.

Confronter des opinions contradictoires pour prendre de meilleures décisions

Selon lui, pour prendre de bonnes décisions, il faut confronter l’opinion d’individus n’ayant pas le même âge, la même religion, ou encore la même profession. De cette confrontation d’expériences et d’idées, va naître une opinion générale pragmatique et intelligente.

Afin d’étayer son propos, Surowiecki nous raconte une anecdote. En 1906, un célèbre statisticien s’est rendu à un concours durant lequel il fallait deviner le poids d’un bœuf. Prenant en compte l’avis des experts, le statisticien annonce un poids qui ne correspondait pas du tout à la réalité. Après, cette expérience décevante le statisticien a décidé de calculer la médiane de tous les poids qui ont été annoncés par la foule. Il se rend alors compte que la médiane correspond effectivement au poids du bœuf.

Logiquement, plus le groupe est nombreux, plus les réponses apportées à un problème seront intelligentes. En effet, plus les points de vue sont différents et plus les débats seront nombreux. À l’issu de ces débats, on sera alors tout à fait capable de prendre la meilleure décision. On évitera ainsi d’opter pour des compromis rapides qui ne satisfont qu’une partie des citoyens.

A l’inverse dans un groupe restreint, il y a toujours un individu qui va influencer les autres. Cette personne va progressivement monopoliser la parole et se considérer comme leader. Or, ce leader autoproclamé ne propose pas forcément des bonnes idées pour le groupe et peut même tromper les autres.

 

Pour justifier son argumentation, l’auteur prend l’exemple du débarquement de la baie des cochons organisé par l’armée américaine en 1961 pour renverser Fidel Castro. Selon James Surowiecki, cette opération a été organisée par un groupe d’experts américains ayant le même point de vue.  Ces experts avaient la certitude que l’opération allait être une réussite mais ce ne fut pas le cas et Fidel Castro n’a pas été renversé.

Ce que l’on peut retenir d’une telle expérience, c’est que tous les experts pensent de la même façon alors qu’une foule d’individus va proposer une multitude d’idées et une multitude de points de vue. Certes, au sein du groupe certains vont proposer de mauvaises idées. Mais avec ces multiples points de vue et perspectives, le groupe va facilement écarter les mauvaises idées.

 

Confronter des opinions contradictoires permet de prendre de meilleures décisions. Néanmoins, il semble important d’observer les conditions qui garantissent une bonne prise de décision collective.

 

Faire émerger une pensée intelligente

Dans un groupe, il n’est pas facile de faire en sorte que chacun s’exprime librement. Certains individus vont refuser d’exprimer ce qu’ils pensent véritablement. Ils vont souvent décider de suivre « la doxa », c’est-à-dire l’opinion partagée par le plus grand nombre, pour ne pas se faire d’ennemis et s’intégrer au groupe. Un tel comportement va largement affaiblir la diversité des opinions au sein du groupe puisque personne ne va véritablement oser s’exprimer par peur d’être stigmatisé.

 

Ce phénomène est d’autant plus fort, lorsqu’il existe une hiérarchie au sein du groupe. En effet, lorsqu’il existe une hiérarchie claire, seul certains membres du groupe seront autorisés à parler. Autrement dit, les individus les plus hauts placés dans la hiérarchie pourront orienter la discussion et partager leurs opinions tandis que le reste du groupe suivra par peur d’être rejeté. L’auteur mentionne l’accident de la navette spatiale Columbia en 2003. Avant même le lancement de la navette, certains ingénieurs ont estimé que la navette n’était pas viable. Cependant, les directeurs de la NASA ont limité les investigations et ont demandé aux ingénieurs de ne rien dire. Les résultats furent catastrophiques et la navette s’est désintégrée en vol le 1er février 2003.

 

Selon l’auteur pour éviter la propagation de pensée irrationnelle, il est absolument nécessaire que chaque individu pense de façon indépendante.  En effet, si tel n’est pas le cas, les membres du groupe finissent par partager les mêmes opinions. L’algorithme de Facebook en est un bon exemple : en rapprochant des personnes qui partagent les mêmes opinions, des discours racistes ou homophobes finissent par se propager largement. Il est donc absolument nécessaire que chacun dispose de ses propres sources d’information pour pouvoir penser librement.

 

Ainsi, pour que lintelligence collective existe il faut encourager les membres du groupe à prendre la parole librement, combattre toute forme de hiérarchie et faire en sorte que chaque individu puisse penser de façon indépendante. Encore faut-il parvenir à faire ressortir lopinion de la foule de façon efficace ?

 

Comment extraire l’opinion collective ?

Lorsque l’on évoque la démocratie directe, les mêmes critiques semblent revenir inlassablement. On nous rappelle que la démocratie directe n’a existé qu’en Grèce dans une société où les citoyens étaient très peu nombreux. Ainsi, on pourrait s’interroger : la démocratie directe est-elle possible dans une société composée de 66 millions d’individus ?

 

James Surowiecki apporte ici une réponse claire. Il explique que dans une société, chaque membre doit pouvoir s’exprimer librement auprès de ses amis, sa famille, ou bien dans des associations. Il existe donc une multitude de sous-groupe dans lesquels l’individu peut facilement et librement s’exprimer.

Cependant, à l’issu de ces discussions privées, il est absolument nécessaire de mettre en commun ces différentes opinions dans un lieu central.  Il faut donc trouver un moyen pour compiler toutes les opinions et en faire une opinion générale.

Lorsque les informations ne sont pas centralisées, la prise de décision ne peut pas être bonne. C’est précisément ce qu’il s’est produit avant l’attaque du World Trade Center. Les employés de la NSA, du FBI et de la CIA ne sont pas parvenus à prédire l’attaque car il n’y avait pas de figure centrale capable d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui allait se produire alors que les informations étaient là.

 

Un dernier point intéressant est que l’auteur pense même que les différentes opinions vont naturellement se coordonner à condition que les individus n’agissent pas uniquement pour défendre leur intérêt personnel.

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En conclusion, à travers des exemples concrets, James Surowiecki affirme à la fois la supériorité d’un groupe nombreux et diversifié sur une petit groupe mais aussi l’importance des avis contraires et iconoclastes qui permettent à la collectivité de mieux réfléchir.

Ainsi, défendre la démocratie, c’est avant tout accepter le dissensus, promouvoir le débat d’idées et faire émerger une pensée pragmatique de ces débats.

 

La Sagesse des Foules

James Surowiecki, éditions JC Lattès

Diplômé de l’université de Yale, James Surowiecki est un journaliste américain qui écrit des articles économiques et financiers pour le New Yorker.

En 2004, il publie The Wisdom of Crowds : Why the Many are Smarter than the Few and How Collective Wisdom Shapes Business, Economics, Society and Nations, ouvrage majeur qui prône, preuves à l’appui, les mérites de l’intelligence collective.


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