Par Raul Magni-Berton, professeur de science politique à l’IEP de Grenoble.
Publié le 13 février 2021. Mis à jour le 25 septembre 2024.
Ou comment la démocratie directe tend à rendre la dépense publique plus adaptée aux besoins des collectivités et des citoyens.
La démocratie directe permet-elle d’économiser l’argent public ?
Les travaux sur la démocratie directe menés depuis une quarantaine d’année aboutissent à quelques conclusions qui font consensus. Parmi les plus importants : la démocratie directe réduit le niveau des dépenses publiques.
Par « démocratie directe », il faut entendre deux institutions particulières : le référendum obligatoire, qui consiste à ratifier obligatoirement des décisions par voie référendaire sur un certain nombre de sujets, et le référendum d’initiative populaire (ou citoyenne), qui permet de déclencher un référendum à la suite de la récolte d’un certain nombre de signatures.
En 1979, deux économistes, Romer et Rosenthal, soulignent que les citoyens et citoyennes qui actent du niveau de dépenses publiques par référendum sont également contribuables et potentiel.les bénéficiaires de ces services. Leur motivation sera donc de bénéficier des meilleurs services possibles, au moindre coût ; au contraire des représentants et représentantes qui ont davantage intérêt à satisfaire, via des ressources publiques, leurs clientèles électorales. Ainsi, tant que cela ne se remarque pas, ils auraient intérêt à être un peu plus dépensiers.
Au final, donc, la démocratie directe permettrait de dépenser un peu moins, pour des services publics d’égale qualité. Cette thèse, cependant, est parfois considérée comme trop optimiste, puisqu’elle suppose que les votants et votantes soient bien informé.es et rationnel.les. On peut considérer, au contraire, que si le lien entre impôts et services publics et mal compris, la tendance sera plutôt de voter pour une réduction des taxes, sans se rendre compte de l’impact sur les services publics.
Le cas de l’Illinois : une meilleure adaptation des services aux besoins
Pour trancher ce débat, il faut être capable de mesurer la qualité et les coûts des services publics entre situations similaires, mais en ajoutant ou retirant la variable du référendum.
C’est ce qu’a récemment fait le politiste américain Michael Sances, en utilisant le cas de l’Illinois. Aux Etats-Unis, les services de protection contre les incendies sont gérés indépendamment des autres services et se financent grâce à des taxes spécifiques sur les propriétés. Or, dans les années 1990, environ la moitié des comtés[1] de l’Etat de l’Illinois a exigé que toute augmentation de la taxe pour ces services[2] soit ratifiée par référendum (il s’agit donc d’un référendum obligatoire), offrant ainsi la possibilité de comparer les comtés qui l’utilisent à ceux qui ne l’utilisent pas. Mieux encore, il est possible de comparer les mêmes comtés avant et après l’introduction du référendum obligatoire.
Que nous disent ces données ? La taxation est-elle plus faible lorsque le comté exige un référendum face à toute augmentation de la taxation ? La réponse est oui : si avant l’introduction des référendums la taxation était similaire dans tous les comtés, après leur introduction l’augmentation de la taxation est inférieure de 40% dans les comtés qui utilisent le référendum obligatoire. Pour autant, les services se dégradent-ils ? Il est possible d’évaluer la qualité du service de protection contre les incendies en comptant le temps écoulé entre un appel d’urgence et l’arrivée des pompiers, disponible dans les rapports d’intervention. Et, effectivement, ce laps de temps augmente légèrement (de 27 secondes en moyenne) là où il y a référendum. Cela signifie, donc, que le référendum conduit à beaucoup moins de taxes, mais également parfois à l’acceptation d’une relative moins bonne qualité du service.
L’auteur montre par ailleurs que les votants sont rationnels. En effet, le référendum ne conduit pas toujours à une diminution des taxes sur la protection contre les incendies. Dans les zones où la chance d’incendie est faible, la taxation et la qualité du service tendent à diminuer. En revanche, là où les incendies sont plus fréquents, la taxation et la qualité du service restent élevés même après l’introduction du référendum. Ainsi, semble-t-il, les électeurs ne sont pas si mal informés que cela, et l’existence du référendum entraine des choix mieux adaptés aux circonstances.
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Ce résultat est important car il contredit la vision pessimiste basée sur l’ignorance des électeurs. Il modère aussi la vision de Romer et Rosenthal : les votants semblent faire des choix plus subtils que le simple maintien des services publics au même niveau mais à moindre coût. Le référendum obligatoire ne produit donc ni choix irresponsables ni une efficacité plus grande des services publics.
Il produit, en fait, une autre forme d’efficacité : une plus grande adaptation des services aux besoins des collectivités territoriales concernées.
Bibliographie
- Matsusaka, J. G. “Public policy and the initiative and référendum: a survey with some new evidence” in Public Choice, 2018, 174(1-2), 107-143.
- Romer, T. and Rosenthal H. “Bureaucrats Versus Voters: On the Political Economy of Resource Allocation by Direct Democracy” in Quarterly Journal of Economic, 1979, 93(4): 563–87.
- Sances Michael W. “Something for Something: How and Why Direct Democracy Impacts Service Quality” in Quarterly Journal of Political Science, 2018, 13: 29–57. M.W. Sances, spécialiste de politique américaine locale, travaille en particulier sur les institutions qui améliorent la responsabilité des politiques publiques devant les électeurs.
[1] L’équivalent de nos départements
[2] Il s’agit plus précisément d’une augmentation supérieure à l’inflation.