La Démocratie Directe contre le Populisme


Pour lutter contre le populisme actuel, il faut donner au peuple la possibilité de s’exprimer régulièrement en instaurant des référendums. C’est la thèse simple que défend dans l’ouvrage cité, publié en février 2020, John Matsusaka.

 

Les raisons de la montée en puissance des populistes

Sur fond de ressentiment social, monte une vague populiste qui déstabilise les démocraties du monde entier. En Italie, en Hongrie, en Autriche ou au Brésil, les populistes ont ou ont eu le pouvoir. Pour remporter les élections, ces populistes ont pointé du doigt le fait qu’aujourd’hui le pouvoir échappait aux citoyens ordinaires.

Les citoyens sont d’ailleurs de plus en plus méfiants à l’égard des institutions qui les gouvernent. En 2017, selon l’institut de sondage Gallup, près de 57% des citoyens de l’Union Européenne déclaraient qu’ils n’avaient pas confiance en leur gouvernement.

Pour expliquer une telle défiance, deux raisons sont mises en avant :

Il semblerait que le peuple soit frustré par la difficulté des gouvernements à régler les problèmes économiques (chômage, inégalités) et irrité par les changements causés par la mondialisation (immigration, délocalisation).

 

Le discours populiste consiste à opposer le peuple et les élites qui ne se soucient plus des citoyens qui votent.

En 2016, Donald Trump a expliqué dans son discours à Charlotte : « J’ai décidé de faire campagne afin de rendre notre gouvernement au peuple ».

Bernie Sanders a lui aussi annoncé à plusieurs reprises vouloir gouverner pour tous les citoyens américains et non pas seulement pour les fameux « 1% les plus riches ».

Selon John Matsusaka, cette critique de la démocratie est tout à fait fondée. Pour lui, le pouvoir politique aux Etats-Unis se concentre de plus en plus dans quelques mains. Le pouvoir échappe donc au peuple, et cela pour plusieurs raisons :

 

Des exécutifs et leurs bureaucraties qui décident des lois

John Matsusaka estime que la grande majorité des lois aux États-Unis ne sont plus promulguées par les représentants élus du Congrès, mais bien par l’exécutif et son gouvernement.

 

L’auteur explique par exemple qu’en 2006, après avoir regardé un documentaire de Jean-Jacques Cousteau, le Président Bush a décidé de créer une réserve naturelle maritime au large des côtes hawaïennes. Il a interdit la pêche et toutes les autres activités susceptibles de nuire à l’environnement. A lui seul, il a décidé de créer une réserve naturelle cent fois plus grande que le parc Yosemite. Or, le Président Bush a agi unilatéralement sans l’accord du Congrès.

Ce qui est surprenant c’est que, selon que la constitution américaine, ce pouvoir est réservé au Congrès. En effet, « le Congrès a le pouvoir de disposer du territoire ou des autres biens appartenant aux États-Unis et d’établir toutes les règles et tous les règlements nécessaires à cet égard ».

Le Congrès voit  donc son pouvoir affaibli alors qu’il est censé représenter la pluralité des opinions du peuple.

 

Des représentants isolés du peuple

Dans le système américain, les parlementaires doivent faire le lien entre le peuple et le gouvernement élu. Pourtant aujourd’hui, il existe une véritable déconnexion entre les assemblées législatives et le peuple.

Comment expliquer une telle déconnexion ?

La plupart des politistes estiment que les représentants élus ne sont pas capables de représenter la pluralité des opinions de la population.

En 2019, on avait seulement un élu pour 750.000 citoyens américains. Comment un élu pourrait-il représenter 750.000 citoyens ?
Il en résulte que de nombreux spécialistes pensent qu’il faut augmenter le nombre de représentants.

Pour John Matsusaka, augmenter le nombre de représentants ne permettra pas à la population de participer au processus de décision puisque les élites y sont opposés.  En effet, pour les élites qui gouvernent nos démocraties, cette perte de pouvoir du peuple est une caractéristique souhaitable de la démocratie. Le peuple incompétent et versatile ne doit pas pouvoir décider directement.  En conséquence, augmenter le nombre de représentants ne devrait avoir aucun effet.

 

Des lois auxquelles le peuple ne consent pas

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la démocratie n’est pas le règne de la majorité.

En réalité, comme le montre très bien l’auteur, seulement 50% des décisions politiques sont conformes à l’opinion de la majorité des citoyens.

 

En résumé, au cours du siècle dernier, les gouvernements démocratiques se sont bureaucratisés. Certes, les gouvernements sont devenus plus efficaces mais les dirigeants se sont en même temps éloignés des personnes qu’ils étaient censés représenter. Le pouvoir a alors quelque peu échappé au peuple, ce qui a favorisé la montée en puissance des populistes.

 

Les moyens de lutter contre la vague populiste

Face à la croissance du populisme, les gouvernements estiment qu’il faut donner plus de pouvoir aux élites et moins de pouvoir au peuple trop impulsif et irritable.

Les élites ont d’ailleurs l’habitude de justifier ce type de politique en affirmant que c’est le peuple qui fut cause de l’arrivée au pouvoir de personnages comme Hitler ou Mussolini.

Et du coup : « Dans la formation des élites, puisque le problème de fond est l’émotion excessive du peuple, la solution est de transférer encore plus de pouvoir des gens ordinaires aux technocrates et autres élites ».

 

Mais John Matsusaka, lui, propose une tout autre solution : il estime qu’il faut donner au peuple la possibilité de s’exprimer de façon régulière par l’intermédiaire de référendums. C’est une idée très simple qui, pourtant, semble aujourd’hui très peu évoquée.

 

Il explique : « Pour rétablir le lien entre le peuple et le gouvernement, il faut laisser le peuple prendre lui-même un plus grand nombre de décisions publiques importantes : c’est la démocratie directe ».

Bien que cela puisse paraître une idée dangereuse après le Brexit, John Matsusaka montre bien que les référendums peuvent aider à combler le fossé croissant qui existe entre le gouvernement et le peuple.

 

Il cite d’ailleurs une étude réalisée en 2017 par le Pew Research Center. Selon cet organisme, les référendums convoquent aux urnes un nombre impressionnant de citoyens lorsqu’il s’agit de voter pour des décisions importantes. La participation électorale fut par exemple très importante en Grèce lorsqu’il fallait voter pour le renflouement de la dette, ou en Irlande pour légaliser l’avortement.

 

Il existe trois formes de référendums permettant au peuple de s’exprimer :

-Le référendum consultatif est un mécanisme qui permet de s’opposer à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi en la faisant soumettre à référendum. Il est facultatif, autrement dit c’est à la population ou au gouvernement d’en faire la demande.

-Le référendum obligatoire désigne une procédure qui soumet obligatoirement un objet au scrutin populaire, en principe après son adoption par l’organe parlementaire. En Suisse par exemple, on soumet obligatoirement au vote du peuple les révisions de la Constitution fédérale, l’adhésion à des organisations de sécurité collective, ainsi que les lois fédérales déclarées urgentes.

-Le référendum d’initiative populaire est caractérisé par le fait que l’initiative appartient au peuple et qu’il peut porter sur différents domaines (législatif, abrogatif, révocatoire ou constituant). Les procédures varient, mais on peut dégager des étapes générales : les initiateurs d’un projet doivent réunir un nombre préétabli de signatures soutenant le texte envisagé (pétition). Si ce nombre est atteint, les pouvoirs publics sont tenus d’organiser un référendum. En cas de réponse favorable au texte, le Parlement doit nécessairement discuter d’une modification de la loi dans le sens indiqué par le référendum. Aux États-Unis, la moitié des Etats jouissent de ce dispositif et des villes aussi importantes que Los Angeles, Houston, Phoenix, San Diego, Dallas ou San Jose l’utilisent quotidiennement.

 

Le référendum, un outil puissant pour renforcer la démocratie

Comment tirer profit des référendums ?

Afin d’inclure les citoyens dans le processus de décisions politiques, John Matsusaka propose de mettre en place cinq réformes importantes :

1- Mettre en place des référendums consultatifs. Ces référendums seraient organisés à l’initiative du Président ou du parlement sur des sujets qu’ils choisiraient. Cela permettrait aux gouvernants de mieux comprendre le point de vue du peuple.

2- Mettre en place des référendums consultatifs sur des sujets choisis par les citoyens. Ces référendums seraient convoqués par le parlement mais il permettrait également au peuple de choisir les thèmes abordés.

3- Rendre obligatoire le référendum lorsque le parlement ou le gouvernement prend certaines décisions importantes. Par exemple, si le Congrès souhaite augmenter les impôts, il devrait par exemple soumettre sa proposition à référendum. Ce type de référendum permettrait aux représentants de gouverner avec le consentement du peuple.

4- Instaurer des référendums d’initiative citoyenne. Il suffirait à un groupe de citoyens motivés de recueillir suffisamment de voix pour organiser un référendum.

5- Donner aux citoyens la possibilité de modifier la constitution grâce à un référendum. Il suffirait là encore qu’un groupe de citoyens motivés parviennent à recueillir suffisamment de signatures pour organiser un référendum. Ensuite, les citoyens s’exprimeront pour dire si oui ou non la constitution mérite d’être modifiée.

 

Toutes ces réformes seraient très bénéfiques :

– Elles permettraient de gouverner avec le consentement du peuple, de légitimer chacune des décisions prises et de responsabiliser nos gouvernants.

– En outre, elles donneraient au gouvernement la possibilité de connaître la position du peuple sur telle ou telle question à un moment précis.

– Enfin, elles auraient une vertu pacificatrice. En cas de décision très controversée, la population pourrait voter par référendum et la voix de la majorité ferait loi. En Irlande par exemple, les débats sur l’avortement ont été réglés grâce à un référendum.

 

Faire confiance aux citoyens ?

John Matsusaka aborde également les critiques récurrentes adressées à la démocratie directe : peut-on faire confiance aux électeurs pour choisir des politiques raisonnables ? Les droits des minorités peuvent-ils survivre aux décisions de la majorité ? Et finalement, citoyens sont-ils compétents ?

 

Les citoyens sont-ils suffisamment raisonnables pour gouverner ?

Pour répondre à cette question, John Matsusaka prend l’exemple de l’avortement.

Aux États-Unis, les débats sur l’avortement sont extrêmement importants depuis plus de 40 ans. Pourtant, la plupart des Américains sont d’accord avec l’arrêt de la Cour Suprême de 1973 qui autorise l’avortement le premier semestre de grossesse.

Le problème c’est que le peuple américain n’a jamais voté pour légaliser l’avortement, et c’est ce qui explique que des groupe comme Moral Majority luttent encore pour interdire l’avortement.

On peut raisonnablement penser que si la Cour Suprême des États-Unis avait laissé les choses se faire de façon démocratique et organiser un référendum, les débats sur l’avortement seraient aujourd’hui moins importants.

En Italie et en Irlande, deux pays fortement catholiques, les citoyens ont voté par référendum et ont choisi de légaliser l’avortement. Les débats ont alors été largement apaisés.

Il semblerait donc que les électeurs référendaires soient plus modérés que leurs propres institutions.

 

Les citoyens sont-ils vraiment compétents pour prendre des décisions ?

Pour John Matsusaka cela ne fait aucun doute.

La Californie est à cet égard exemplaire : c’est l’État dans lequel les citoyens ordinaires jouent le plus grand rôle dans l’élaboration des politiques. Ils peuvent même voter les budgets de l’État.

De nombreux critiques estimaient que les électeurs californiens choisiraient des politiques de dépenses et d’impôts incompatibles ; ils pensaient que les citoyens allaient réduire les impôts et augmenter les dépenses publiques. Or, au terme d’une étude statistique poussée, John Matsusaka prouve le contraire : les citoyens californiens n’ont ni cherché à réduire les impôts ni même à augmenter les dépenses publiques.

*

Oui, on peut faire confiance à l’intelligence collective quand on convoque aux urnes des citoyens qui, aujourd’hui, n’ont pas le sentiment d’être écoutés et ne peuvent s’exprimer que dans la rue.

Les outils de démocratie directe, selon John Matsusaka, est donc bien un moyen efficace de lutter contre la vague populiste

 

Let the people rule, how direct democracy can meet the populist challenge

John G. Matsusaka

Professeur d’économie et de sciences politiques à la Marshall School of Business, John Matsusaka est un expert en démocratie directe et en organisation d’entreprise.


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