Internet peut-il aider la Démocratie ?


Nombre d’études se sont focalisées sur les forces et les faiblesses de l’intelligence artificielle, mais peu nombreux sont les chercheurs qui s’interrogent sur les liens pouvant exister entre l’intelligence artificielle et la démocratie. D’où le grand intérêt de l’article de Gloria Origgi qui montre notamment comment tirer profit des pratiques d’évaluation et de classement par les utilisateurs pour hiérarchiser l’information.

La sagesse sur Internet, vraiment ?

Dans les années 1990, le web était décrit comme une « technologie révolutionnaire », qui allait bouleverser toutes nos pratiques d’accès à la connaissance et permettre aux utilisateurs de produire, d’accéder et de distribuer du contenu en un rien de temps.

Aujourd’hui, ce point de vue a quelque peu évolué car Internet présente de nombreux défauts : l’information n’y est pas toujours hiérarchisée, certaines communautés aux idées extrêmes peuvent se former sur les réseaux sociaux et les fakes news se diffusent très rapidement.

 

On peut donc légitimement remettre en question la capacité d’Internet à produire une forme de sagesse collective. Et pourtant, nous faisons généralement confiance à Google pour une recherche alors que nous n’avons aucun moyen de vérifier l’information et sa hiérarchisation.

Selon Gloria Origgi, c’est le fait que l’information soit produite par de nombreux utilisateurs qui nous rassure considérablement.

 

D’autre part, sur Internet certaines pages sont mises en avant, d’autres beaucoup moins. Comment expliquer cette hiérarchisation ? En fait, les algorithmes interprètent chacun de nos clics comme des votes.  Si de nombreux utilisateurs cliquent sur la page A, alors la page A sera mise en avant.

 

Des données que l’on peut trier 

Selon l’auteur, Internet regorge d’informations qui, faute d’être hiérarchisées, ne sont pas utiles.

Or, sur de nombreux sites (Amazon, Ebay, Tripadvisor…), il est possible de noter les vendeurs.

Ce mécanisme collectif donne confiance aux utilisateurs bien sûr. Ces évaluations permettent aux vendeurs d’avoir une «réputation» qui sert de guide aux acheteurs futurs.

Mais ces systèmes de notation et d’évaluation, rendent aussi possible la hiérarchisation et le tri des informations.

Wikipédia est un autre exemple intéressant. Aujourd’hui, sur Wikipédia on trouve des articles aussi fiables que ceux de l’Encyclopedia Britannica. Certes, comme le souligne l’auteur, l’encyclopédie en ligne avait autrefois des défauts : elle a pu servir les intérêts d’individus ou contribuer à promouvoir certaines idéologies ou partis politiques. Cependant, aujourd’hui, Wikipédia est devenue une source d’information sûre pour plusieurs raisons :

  1. Tout d’abord, le nombre d’utilisateurs est devenu suffisamment important pour que les informations erronées soient très vite corrigées.
  2. Ensuite, les utilisateurs de Wikipédia ont tous des points de vue très différents. Ainsi, une fois que les informations sont agrégées entre elles, on parvient à une forme de neutralité.
  3. Enfin, sur Wikipédia il existe des groupes engagés pour vérifier que l’information produite est une information de qualité.

Le Web peut donc permettre d’agréger les informations émises par l’ensemble des utilisateurs et d’en faire émerger une intelligence collective.

 

Une sagesse collective au service de la politique ?

Pourquoi ne pas tirer parti, en démocratie, des évaluations pratiquées sur Internet ? Peut-on estimer que ce système pourrait permettre de faire ressortir les meilleures idées politiques des citoyens ?

Pas si simple !

Il est difficile de parler d’intelligence collective en ce qui concerne les pratiques d’évaluation sur Internet, elles sont le plus souvent encouragées par les sites et contribuent à uniformiser les choix des utilisateurs.

Par exemple, sur Amazon il existe une fonction intitulée « les utilisateurs ont aussi acheté ». Cette fonction mise au point par Amazon est une invention du marketing qui n’a pas pour but d’aider une communauté de lecteurs à identifier le « bon » livre, mais bien d’augmenter les ventes.

En revanche on peut parler d’intelligence collective à propos des forums d’utilisateurs où les informations s’échangent et les problèmes se résolvent en commun.

Une encyclopédie comme Wikipédia atteste que les individus travaillent mieux en groupe et produisent une sagesse collective.

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Alors pourquoi ne pas imaginer un tel système en politique ? Un système dans lequel chacun pourrait librement exprimer ses opinions politiques, les mesures qu’ils souhaiteraient mettre en œuvre et ses réactions concernant la politique mise en place par le gouvernement ?

 

« Designing Wisdom through the Web : Reputation and the Passion for Ranking » par Gloria Origgi in Collective Wisdom, Principles and Mechanisms (dir Hélène Landemore et Jon Elster).

Gloria Origgi est chercheuse au CNRS à l’Institut Jean Nicod. Elle s’occupe d’épistémologie sociale, d’épistémologie du web et de philosophie des sciences sociales.


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