La Démocratie, le Meilleur des Régimes ?


Quand Churchill déclare : « La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres », loin de critiquer la démocratie, il dénonce le comportement de certains politiques qui veulent limiter les pouvoirs du parlement britannique, ce qui revient à affaiblir le pouvoir du peuple et donc à fourvoyer ce régime politique sacré qu’est la démocratie.

Dans nos sociétés, la démocratie a en effet quelque chose de sacré, d’inattaquable.

Pourquoi la démocratie est-elle à ce point respectée ? En développant des arguments philosophiques, statistiques, économiques et historiques, les diverses contributions à l’ouvrage collectif intitulé Collective Wisdom, Principles and Mechanisms réaffirment que la démocratie est bien supérieure aux autres régimes politiques.

« Plusieurs têtes valent mieux qu’une »

On affirme très souvent que la démocratie est le meilleur des régimes politiques parce qu’il favorise la justice, l’égalité, la liberté, les droits de l’homme…

Cette remarque semble historiquement fondée. Cependant, elle ne permet pas véritablement de différencier la démocratie des autres régimes politiques. L’aristocratie pourrait tout aussi bien assurer la justice, l’égalité, la liberté, ou encore les droits de l’homme…

 

Hélène Landemore, défendant et modernisant cette idée si chère à Aristote selon laquelle « plusieurs têtes valent mieux qu’une », précise que la démocratie est le meilleur des régimes parce qu’elle fait appel à la « sagesse collective » des citoyens. Elle reprend ainsi la thèse de James Surowiecki selon laquelle une foule résoudra plus efficacement un problème que n’importe quel individu isolé.

Mais combien de têtes faut-il pour parvenir à la sagesse collective ? L’aristocratie, c’est-à-dire le gouvernement d’un petit nombre d’experts, ne permet-il pas de faire émerger une sagesse collective ? Selon Hélène Landemore, il n’en est rien : « Une oligarchie composée des meilleurs et des plus brillants n’est pas forcément plus intelligente que la majorité ». La diversité est capitale.

Dans le premier chapitre de l’ouvrage, Émile Servan-Schreiber prend l’exemple du web : c’est le travail collectif de milliers d’individus qui a permis de créer Wikipédia, une encyclopédie capable de rassembler toutes les connaissances existantes.

Émile Servan-Schreiber soutient même que la sagesse collective a le pouvoir de prédire l’avenir. Il montre par exemple que la nomination d’Obama à la primaire démocrate avait été prévue par les traders du site Newsfutures. Sur ce site, les traders pariaient de l’argent fictif sur le candidat qui, selon eux, devait gagner les élections. Or, dès le mois de février 2007, la côte de Barack Obama s’était envolée et les parieurs estimaient que le candidat avait 60% de chance d’être élu.

 

Comment expliquer une telle prédiction ?

– Pour Hélène Landemore, au sein d’un groupe important, les individus ont forcément des points de vue différents sur une même question. Et plus le groupe est important, plus les opinions sont variées. C’est la confrontation de ces différents points de vue, « la diversité cognitive » du groupe qui va permettre de prédire l’avenir.

– Cela dit, un certain degré de jugement et de connaissances de tous les membres est requis pour que le groupe puisse prétendre collectivement à la sagesse. Dans l‘exemple dont il est question, les parieurs étaient suffisamment compétents pour comprendre que Barack Obama avait des chances de l’emporter.

Ainsi, des individus, modérément compétents mais dont les perspectives diffèrent, aboutiront à des solutions plus satisfaisantes que des spécialistes aux profils plus homogènes.

 

Le défi de la démocratie, sa mission, est donc d’organiser les choses de telle manière qu’une « sagesse collective » puisse émerger.

 

Orchestrer la sagesse collective, l’exemple de la Grèce antique

Avec Josiah Ober, replongeons-nous dans l’Antiquité pour comprendre comment la démocratie athénienne a pu dominer les autres cités grecques pendant deux siècles.

Pour l’historien cela ne fait aucun doute, c’est par sa capacité à délibérer et à utiliser l’intelligence collective qu’Athènes a régné sur la Grèce et combattu des cités aussi prestigieuses que Sparte.

L’historien estime que la démocratie grecque permettait de mettre en valeur les compétences politiques individuelles des citoyens mais également la diversité des points de vue.

Et les statistiques montrent une corrélation positive entre le développement de la démocratie et le développement économique de la ville d’Athènes. Autrement dit, plus nombreux étaient les citoyens qui accédaient au droit de vote, plus Athènes se développait économiquement et multipliait ses victoires militaires.

 

Selon l’auteur, l’institution la plus à même de faire surgir l’intelligence collective était la Boulè, assemblée chargée de voter les lois de la cité. Depuis les réformes de Clisthène (-507), le Conseil de Solon (Conseil de 400 basé sur 4 tribus) était devenu un Conseil de 500 citoyens, mais surtout la Boulè était organisée afin de confronter les idées de citoyens aux intérêts différents.

Cette réforme repose sur la réorganisation de l’espace civique. Les anciennes structures politiques fondées sur la richesse et les groupes familiaux furent remplacées par un système de répartition territoriale.

Le territoire grec fut divisé en trois grandes régions :

– La Paralie qui correspond à la zone côtière de la Grèce.

– La Mésogée englobant les territoires ruraux de l’intérieur

– L’Asty ou zone urbaine.

 

Chaque ensemble était composé de dix groupes de dèmes, le dème étant la circonscription administrative de base de la vie civique dans laquelle chaque citoyen athénien devait être admis à dix-huit ans. La réunion de trois trittyes (groupe de dèmes), une dans chaque région, forme une tribu, phylè : il y a donc dix tribus. Chaque tribu regroupe plusieurs membres qui sont mélangés et non pas classés par culture, région ou classes sociales afin que les goûts (politiques et culturels) et les envies de la population soient tous entendus.

En créant ces 10 tribus, Clisthène s’est ainsi débarrassé des 4 tribus basées sur la naissance.

 

Dans chacune de ces dix tribus, cinquante citoyens étaient tirés au sort pour représenter leur tribu à la boulè. Ainsi, comme le souligne Josiah Ober, rassembler des citoyens athéniens habitant des régions différentes a permis de créer une certaine cohésion politique. Des Athéniens dont les intérêts économiques diffèrent en fonction de leur activité (agriculture, commerce, artisanat) ont pu adhérer au même projet politique.

La démocratie athénienne est parvenue à mettre en place des institutions qui mettaient en valeur la sagesse collective. Et, c’est bien cette diversité de points de vue qui a permis à la cité de surpasser ses rivaux.

*

Qu’en conclure pour aujourd’hui ?

La démocratie doit donc créer des institutions permettant de tirer pleinement profit de cette force incroyable qu’est la sagesse collective.

Pour cela, deux conditions doivent impérativement être remplies :

– Premièrement, les citoyens doivent être informés. Ils doivent parvenir à acquérir un certain degré de jugement et de connaissances pour pouvoir prendre position.

– Deuxièmement, les institutions doivent favoriser l’émergence de débats. Il s’agit de mettre en valeur la diversité des points de vue.

Selon ces auteurs, c’est à ces conditions que la démocratie pourrait bien être le meilleur des régimes.

 

« Collective Wisdom Old and New » par Hélène Landemore ;

« Prediction Markets : Trading Uncertainty for Collective Wisdom » par Emile Servan-Schreiber ;

« Epistemic Democracy in Classical Athens : Sophistication, Diversity and Innovation  » par Josiah Ober

in Collective Wisdom, Principles and Mechanisms (dir Hélène Landemore et Jon Elster).

 

Politiste franco-américaine, Hélène Landemore est maîtresse de conférence à l’université de Yale.

Emile Servan-Schreiber, docteur en psychologie cognitive, dirige deux sociétés de conseils, Lumenogic et Hypermind .

Josiah Ober, historien de la Grèce antique et théoricien politique, est professeur de sciences politiques à l’université de Stanford .


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