La Démocratie Numérique, Illusions ou Réalités ?


Début les années 2000, apparait un contexte général de malaise politique clairement identifiable à la progression de l’abstention électorale, au déclin de l’adhésion militantes et syndicales, ou à l’intérêt grandissant des populations pour des idéologies nationalistes, populistes où extrémistes. Les transformations de la citoyenneté grâce au développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) apparaissent alors comme un moyen de revitaliser la démocratie en offrant des champs d’expression plus nombreux et accessibles aux citoyens. Cette promesse démocratique historiquement attachée à internet et à ses développements techniques est cependant remise en question dans cet article.

Revitalisation de la démocratie par les TIC : avantages et inconvénients

« L’internet est un outil polyvalent qui, en fonction de la manière dont il est utilisé, peut aussi bien conduire à une amélioration qu’une dégradation du fonctionnement démocratique des systèmes politiques ». (Thierry Vedel)

Nous le savons, l’avènement des réseaux socionumériques a entraîné des vagues d’harcèlement et de haine en ligne. En France, la loi Avia sur l’obligation pesant sur les réseaux sociaux de retirer en 24h les contenus illégaux a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel car elle mettait en péril la liberté d’expression. De cette façon, les GAFAM et autres entreprises du web ont le monopole sur l’appréciation du caractère ou non « haineux », et donc légal, du contenu en ligne. Se pose alors la question d’une revitalisation de la démocratie par des technologies numériques dépendantes d’un ensemble d’acteurs économiques aux préoccupations uniquement économiques.

Les réseaux socionumériques ont tout de même prouvé qu’ils pouvaient générer de grandes mobilisations et sentiments d’identification, avec par exemple la lutte contre les violences faites aux femmes.

L’usage du numérique par les gouvernements a permis d’accroître la transparence de l’action publique à travers des politiques locales et nationales d’ouverture des données publiques. La loi pour une République numérique promulguée en France en 2016 permet ainsi la mise à disposition au public des données produites par les services de l’État, sur différents secteurs et dans des formats facilitant le partage.

Les gouvernants profitent ainsi des nouveautés technologies, qu’ils étendent à différents domaines tel que l’information, avec une ouverture des donnés publiques mais aussi pour encadrer les prises de paroles des citoyens. Sur le terrain numérique, la plus grande initiative institutionnelle est le Grand Débat national, développé à la suite du mouvement des Gilets Jaunes.

Les ministères et les collectivités, en recherche de formes de collaborations avec les citoyens, ont été attirés par le marché de la « Civic Tech », autrement dit la technologie citoyenne. Ces formes restent néanmoins cantonnées au domaine de la consultation, et seul le budget participatif permet d’impacter le processus décisionnel.

Reste aussi la question de l’inégal équipement de la population en matière d’ordinateurs et de connexion à Internet. À cela s’ajoute d’autres inégalités liées aux différences d’usage d’internet en matière d’information politique.

 

Une ouverture de la politique aux citoyens mais pas que …

L’extension de l’accès à l’information générée par internet a participé à la mise en place d’une concurrence entre les médias et gouvernement et les réseaux socionumériques.

« La visibilité d’une information n’est plus connectée à son degré de proximité avec l’intérêt général, comme a priori dans les médias de masse (c’est en tout cas le postulat de l’auteure), mais est le fruit d’un travail algorithmique orchestré par des acteurs privés qui scannent en permanence nos préférences et détestations politiques »

À défaut de créer un espace décentralisé, pluriel et collaboratif, le contenu du web se trouve trié, filtré et hiérarchisé pour être en adéquation avec notre consommation antérieure d’informations. Cette personnalisation des résultats apporte le risque d’enfermement de l’internaute dans sa propre culture, sans confrontation avec d’autres avis. Les réseaux sociaux numériques ont apporté de nouvelles modalités d’accès, de circulation et de diffusion de l’information mais cela est contredit par le manque de pluralisme des moteurs de recherche.

En 2013, Antoine Rouvroy et Thomas Berns nomment cette situation la « gouvernementalité algorithmique » au sein de laquelle « les enjeux, y compris politiques, se trouvent quantifiés et où les comportements individuels ne sont plus gouvernés par le politique, les normes sociales ou le droit mais par l’exploration de données (datamining), l’apprentissage automatique (machine learning) et le profilage. »

Entre 2014 et 2015, plus de 50 millions de profils Facebook ont été récoltés illégalement par l’entreprise Cambridge Analytica à des fins électorales. La question de la protection des données personnelles et de la vie privée est par la suite devenue centrale et a donné lieu à des réglementations à l’échelle européenne.

La politique est ainsi envahie par les technologies numériques qui parfois la surpassent. L’état n’est plus le seul acteur de sa transparence comme nous avons pu le voir avec l’affaire Edward Snowden ou le collectif Wikileaks. Ce dernier avait d’ailleurs en 2016 diffusé les échanges entre la candidate Hillary Clinton et son directeur de campagne John Podesta ce qui avait grandement fragilisé son élection.

Il existe également un activisme politique articulé autour de la désinformation et de la manipulation d’opinion. La création de faux comptes propagandistes sur les réseaux sociaux, l’investissement des espaces de débat par des trolls, la fabrication de fausses informations d’informations peu fiables, interrogent la capacité des individus à déterminer le degré de véracité ou de crédibilité d’une information et donc de son partage.

« Alors qu’internet semblait porter la promesse d’une augmentation du nombre et de la diversité des expressions politiques singulières ouvrant la possibilité de débat démocratique renouvelé, plusieurs phénomènes viennent ternir cette promesse initiale. »

Nous nous permettons de nuancer le propos de l’auteure en nous demandant si l’information avant l’ère digitale n’est pas idéalisée : le lecteur de l’Humanité ou du Figaro dans les années 50 n’était-il pas lui aussi dans une bulle d’informations qui allaient toutes dans son sens politique ? Avait-il accès à une information large et diversifiée ?

 

« La démocratie numérique : illusions ou réalités » par Stéphanie Wojcik in Cahier Français n°420/21

Stéphanie Wojcik est maître de conférence en sciences de l’information et de la communication. Ses recherches portent sur la politisation, la délibération, internet et ses réseaux socio-numérique et la participation.


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