Pourquoi les Français sont-ils de plus en plus Révolutionnaires ?


Cette étude très fouillée est de plus en plus d’actualité et nous met au cœur d’un sujet majeur d’aujourd’hui : comment se fait-il que les citoyens s’éloignent de la démocratie ?

Pourquoi y a-t-il toujours des citoyens qui appellent de leurs vœux une révolution pour changer le système alors que nous sommes en démocratie ?

Et plus encore, pourquoi y en a-t-il de plus en plus en France ?

Pourtant n’est-ce pas l’avantage d’une démocratie de pouvoir changer la politique ou le système par l’exercice de son droit de vote … sans violence ?

3 chercheurs en Sciences politiques se sont intéressés à la question et ont mené une vaste étude. Cette étude s’appuie sur une analyse de la période 1990 – 2008 dans 15 pays européens et inclut près de 40 000 personnes.

Les raisons d’un désir insurrectionnel

Cette étude démontre que le désir insurrectionnel tient à 3 facteurs :

  1. L’absence de représentation, par exemple l’absence de proportionnelle ;
  2. La quasi absence de l’alternance ;
  3. La faiblesse de vrais contre-pouvoir comme une dose de démocratie directe ;

La montée de cette envie révolutionnaire est simplement due au fait que de plus en plus de citoyens votent pour des partis qui n’ont pas de chance d’accéder au gouvernement. Pour remettre ces citoyens dans le chemin de la démocratie il faudrait donc amender les institutions pour mieux représenter les perdants du système électoral.

 

Et effectivement, ce sont bien ceux qui soutiennent les partis d’opposition qui forment la majorité de ceux qui veulent changer la société de façon radicale par une révolution. Très logiquement plus leur parti est loin du pouvoir plus ils sont révolutionnaires. Et cela est vrai pour tous, riches ou pauvres, de droite comme de gauche.

Ce facteur est renforcé dans des pays comme la France. Pourquoi ? Car les institutions donnent une prime au parti majoritaire et ne laissent aucune place à l’opposition.

Ainsi selon un sondage Ifop (mars 2019), 39% des Français pensent qu’il faut une révolution pour réformer le pays. C’est un niveau incroyablement élevé.

A noter que ce taux monte aussi dans toute l’Europe (sauf la Suède), même si les niveaux sont beaucoup moins élevés : en moyenne en Europe on est passé de 4,5% de citoyens favorables à un révolution en 1990 à 8% en 2008.

 

Les facteurs pacificateurs d’une démocratie

Karl Popper ne disait-il pas que « Dans une démocratie, on peut se débarrasser d’un gouvernement sans effusion de sang » ?

Alors pourquoi de plus en plus de citoyens n’adhèrent plus à ce propos ?

Pour répondre à cette question, les auteurs analysent les 3 facteurs pacificateurs d’une démocratie :

  1. La règle majoritaire

‘Si la majorité l’a voulu, nous devrions l’accepter’.

En réalité nous sommes plutôt mauvais perdants. Lorsque nous perdons les élections nous avons tendance à penser … que les règles du jeu sont mauvaises.

Il faudrait, pour réduire cet effet, réduire tout simplement le nombre de perdants politiques

  1. L’alternance

‘J’ai perdu cette fois-ci mais je gagnerai la prochaine fois’.

Ici l’argument de Karl Popper est très vrai : si je pense que mes idées ou mon parti n’ont aucune chance d’accéder au pouvoir, alors les chances que je sois favorable à une révolution augmentent.

  1. La division du pouvoir

Si le pouvoir est partagé au sein des institutions, les perdants politiques ne perdent pas toute influence sur la décision politique. On a une sorte de garantie de ne jamais perdre entièrement le pouvoir.

Ce n’est donc pas étonnant que les démocraties avec un système électoral proportionnel et un pouvoir partagé aient le plus faible taux de citoyens désirant une révolution.

Ainsi le Danemark qui correspond à ce profil a le taux le plus faible (1,5%) là où la France a le taux le plus élevé. Et ce taux en France ne cesse de monter : 15% en 2008, 39% en 2019 comme nous venons de le voir.

Effectivement le système français aux élections de 2017 a attribué 62% des sièges de l’Assemblée Nationale à 15% des inscrits. La plupart des partis pour lesquels les Français ont voté ne sont pas en position d’influer sur la politique du pays, que ce soit au sein du Parlement ou en dehors via des systèmes de démocratie directe par exemple. Cela explique très simplement que la France est le pays où les candidats à la révolution sont les plus nombreux.

Mais ces résultats expliquent-ils suffisamment la montée des attitudes révolutionnaires ?

Les auteurs montrent que cette hausse s’explique aussi par l’augmentation du nombre de perdants dans le jeu politique. Le nombre de personnes qui ne sont pas représentées au gouvernement est en hausse dans tous les pays. En France le gouvernement représente 2 fois moins de Françaises et de Français en 30 ans (de 30% à 15%) : en 1990 70% des Français n’étaient pas représentés, en 2017, c’est 85%.

A noter que les sentiments révolutionnaires sont aussi forts chez les abstentionnistes que chez les votants.

*

Les auteurs voient comme seule issue pour améliorer la situation d’accroître la représentation des citoyens. Les solutions sont alors le système proportionnel et les systèmes de démocratie directe qui permettent aux citoyens non représentés de gagner des batailles.

 

« Revolutionary Attitudes in Democratic Regimes » dans  Political Studies

Abel François, Raul Magni-Berton et Simon Varaine


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