Publié le 20 mai 2022. Mis à jour le 08 octobre 2024.
David Van Reybrouck, Against elections. The Case for Democracy, Seven Stories Press, 2016
Né à Bruges le 11 septembre 1971, David Van Reybrouck est un historien et scientifique belge. Initialement spécialiste de l’histoire des sciences et des animaux, il écrit aujourd’hui sur des sujets aussi variés que l’histoire du Congo, la démocratie ou le terrorisme.
Dans Against elections. The case for Democracy, David Van Reybrouck fait le procès de l’élection, qu’il qualifie de procédure aristocratique qui ne laisse pas le peuple exprimer son opinion. Il lui oppose un système de démocratie directe, dans lequel les postes clefs du gouvernement seraient confié à des citoyens et citoyennes tiré.es au sort.
Le vrai problème n’est pas la démocratie mais le système électif
De nombreuses études démontrent que l’électorat ne se sent plus représenté par ses élu.es : taux d’abstention record, franc désintérêt pour la chose politique, méfiance accrue à l’égard des gouvernements… Pour l’auteur, cet affaiblissement de la démocratie provient du mode de désignation des représentant.es, l’élection, et du changement de stratégie des partis politiques.
« Trois symptômes indéniables dénotent la crise de légitimité de la démocratie. Premièrement, les gens votent de moins en moins. Dans les années 1960, plus de 85% des Européens participaient aux élections. Dans les années 1990, ce chiffre était inférieur à 79% et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ce chiffre est tombé en dessous de 77%. Deuxièmement, parallèlement à la faible participation des électeurs, nous constatons une forte rotation des électeurs. Les personnes habilitées à voter en Europe ne votent pas seulement moins, elles sont plus capricieuses. Ceux qui votent peuvent encore reconnaître la légitimité de la procédure, mais ils sont de moins en moins fidèles à un parti particulier. Troisièmement, de moins en moins de personnes sont membres d’un Parti politique. Dans les États membres de l’UE, moins de 4,65 % des personnes ayant le droit de vote possèdent une carte de membre d’un Parti. »
Autrefois, et notamment pendant la révolution industrielle, chaque parti politique représentaient une classe sociale déterminée, et cette stratification permettait à chaque couche de la population de se sentir représentée et d’élire des personnes qui portaient leurs intérêts. Mais peu à peu, les partis traditionnels ont abandonné leurs discours idéologiques et sont devenus des « catch-all-parties » : des « partis attrape-tout », cherchant à attirer le plus d’électeurs et électrices possibles, à dépasser les clivages de classe sociale et le clivage gauche-droite. Malheureusement, cette stratégie les a poussé à esquiver les conflits et les questions non-consensuelles afin de ne pas repousser un potentiel électorat.
De plus, les partis se sont considérablement professionnalisés et sont désormais dirigés par des cadres, expert.es des médias et de la politique. Leurs profils et discours sont d’ailleurs assez uniforme ; et l’électorat est de plus en plus désengagé, volatile et capricieux… plus apte à se tourner vers des formations populistes.
« Au Congrès (des Etats-Unis), on prétend que l’objectif commun est de servir le peuple américain, mais en réalité, il y a une guerre de pouvoir entre les partis politiques. De plus, nos représentants élus ne reflètent pas les perspectives de tous leurs électeurs. Ils ne représentent que les perspectives de leur parti politique préféré et de l’élite fortunée qui remplit les caisses de leur campagne, en priorité inverse bien sûr. Cela nous amène à la plainte principale des 99% des citoyens : nos représentants ne nous représentent pas ».
Après cette démonstration, David Van Reybrouck conclut que le problème ne vient pas de la démocratie mais du système représentatif. Il affirme que l’élection n’a jamais été véritablement démocratique, mais permet simplement de sélectionner des représentant.es parmi une élite très limitée.
Le tirage au sort offre une meilleure représentation des citoyens
L’auteur propose, contre l’élection, le tirage au sort ; un système finalement pas si révolutionnaire puisqu’il existait déjà dans l’Athènes antique et à Venise et Florence durant la Renaissance.
A Athènes, les cinq cents citoyens qui composaient la boulè étaient tirés au sort et non pas élus. Si certaines élections subsistaient malgré tout, elles servaient à pourvoir des postes nécessitant une expertise spécifique (postes militaires par exemple). Quelques centaines d’années plus tard, au XVIIIe siècle, certains penseurs comme Jean-Jacques Rousseau ont eux-aussi plaidé en faveur du tirage au sort. Mais les révolutionnaires de France comme des Etats-Unis lui ont préféré l’élection, plus aristocratique, permettant à la bourgeoisie de remplacer la bourgeoisie au pouvoir.
Les pères fondateurs des Etats-Unis ont donc inscrit dans leur Constitution le système représentatif afin d’assurer que les « meilleurs » gouvernent. Or, les « meilleurs » étaient selon eux à chercher dans les plus riches, puisqu’eux seuls disposaient d’assez de temps et de talent pour se consacrer à la politique, tout en possédant suffisamment d’argent pour ne pas être corrompus.
David Van Reybrouck considère que cette analyse a fait son temps. La démocratie doit être avant tout définie comme un système politique permettant à chacun et chacune d’exprimer ses idées.
« La démocratie n’est pas le gouvernement des meilleurs dans notre société, car une telle chose s’appelle aristocratie, élue ou non. La démocratie, au contraire, s’épanouit précisément en permettant à une diversité de voix de se faire entendre. (…) Les élections sont le combustible fossile de la politique. Alors qu’une fois qu’ils ont donné un énorme coup de pouce à la démocratie, un peu comme le pétrole a donné un coup de pouce à l’économie, il s’avère maintenant qu’ils causent eux-mêmes des problèmes colossaux. »
Comment améliorer la démocratie ?
L’idée est de sélectionner au hasard un petit nombre de personnes, provenant d’horizons très différents, afin de débattre sur des sujets variés, échanger des points de vue contradictoire, et trancher certaines questions politiques. Ce mode de représentation permettrait de gouverner selon le bien commun puisqu’il n’existerait pas d’intermédiaire entre le peuple et ses représentants.
L’auteur souligne que le tirage au sort fonctionne déjà de manière assez efficace aux Etats-Unis, où des jurys de douze personnes choisies au hasard ont le soin de juger les crimes les plus odieux. Cette pratique existe aussi en France avec les jurys criminels. Il faudrait alors étendre cette méthode au gouvernement et ne pas la limiter au domaine judiciaire.
Cette innovation doit, pour être complète, être accompagnée d’une augmentation du nombre de représentant.es. David Van Reybrouck reprend l’exemple athénien, où chaque citoyen pouvait, à n’importe quel moment de sa vie, être tiré au sort. Ce mode de désignation était évidemment facilité par l’esclavage, qui offrait aux citoyens tout le loisir de s’adonner à la chose politique. Aujourd’hui, il serait plus difficile de demander à quelqu’un d’abandonner son travail pour se consacrer entièrement à sa mission. En revanche, l’organisation régulière de référendums, et la mise en place d’assemblées délibératives tirées au sort sont de bonnes façons de faire participer la population et de conférer aux décisions prises plus de légitimité.
« Cette proposition n’est pas aussi futuriste qu’elle peut paraître à première vue. Les citoyens tirés au sort ont déjà du pouvoir et, dans quelques années, les sondages d’opinion utilisant un échantillonnage aléatoire auront évolué dans toute l’Europe, passant de baromètres neutres du climat politique à des instruments extrêmement importants pour permettre aux partis politiques d’ajuster leurs messages. Ils ne se contentent pas de mesurer la popularité de tel ou tel parti, homme politique ou mesures. Ils deviennent des faits politiques à part entière et exercent une influence considérable, car les gouvernements leur accordent une grande valeur et les décideurs en tiennent compte. L’objectif de ceux qui proposent le tirage au sort n’est rien d’autre que de rendre transparent un processus qui existe déjà. »
David Van Reybrouck propose la création de six assemblées dont les membres seraient tirés au sort :
- une assemblée qui fixerait l’ordre du jour du parlement ;
- une assemblée proposant des lois spécifiques ;
- un comité d’examen tiré au sort pour examiner les lois en détail ;
- une assemblée qui voterait sur les projets de loi mais ne les débattrait pas ;
- un conseil de surveillance pour traiter les plaintes et le contrôle judiciaire ;
- un grand conseil pour fixer les règles des autres assemblées.
Un programme intéressant qui mériterait surement d’être étudié plus en profondeur.