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Le Tirage au Sort comment l’évaluer ?


Publié le 18 février 2023. Mis à jour le 14 octobre 2024. 

Gil Delannoi, Le Tirage au Sort, comment l’utiliser ? Edition Sciences Po Les Presses, Collection Nouveaux Débats

Gil Delannoi est directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques et professeur de théorie politique à Sciences Po.

Le chercheur propose ici un petit mode d’emploi du tirage au sort en démocratie.

 

Plusieurs procédures pour différents régimes politiques

A chaque régime politique, sa procédure de formation de gouvernement. Et même si ces procédures peuvent être adaptées à différents régimes, leur usage change radicalement de sens en fonction du contexte dans lequel elles s’inscrivent. Gil Delannoi différencie six procédures, trois régimes fondamentaux et trois quasi régimes.

Les trois « régimes fondamentaux » suivent les catégorisations classiques de la théorie politique : la monarchie est liée à l’hérédité ; l’aristocratie au vote ; et la démocratie au tirage au sort. En ce qui concerne ce qu’il nomme les « quasi-régimes », le marché est lié à l’offre et la demande ; la bureaucratie (ou méritocratie) au concours et au test ; l’association, à l’adhésion.

Le chercheur différencie ensuite deux types de démocratie. Le premier est celui de la démocratie ancienne, établie en Grèce antique. Le second, la démocratie moderne, a été créé avec les républiques issues des révolutions anglaise, française et américaine.

 

Modèles de représentation

La question de la représentation et de la manière dont une société donnée l’envisage est fondamentale pour comprendre la manière dont celle-ci forme son gouvernement.

Le premier type de représentation, la représentation descriptive, cherche à refléter fidèlement la composition de la population ; les représentant.es en sont d’ailleurs issu.es. Il s’agit d’une procédure démocratique, qui tend à constituer un échantillon représentatif de la population.
C’est l’autre type de représentation qui est majoritaire dans nos systèmes représentatifs actuels : la représentation active. Les représentant.es sont désigné.es par la population, pour agir en son nom et à sa place. Les citoyens et citoyennes ‘ordinaires’ sont ainsi déchargé.es de la chose politique.

Gil Delannoi propose alors, à partir de cette classification un troisième type de démocratie : la « démocratie sortive ». Il s’agit d’une combinaison de la démocratie ancienne et de la démocratie moderne, qui place le tirage au sort au centre de son fonctionnement. Dans ce système, les représentations descriptive et active collaborent.

 

Usage du tirage au sort en démocratie

L’usage principal du tirage au sort est la rotation : rotation des élu.es et rotation des fonctions. Les personnes élues seront toutes, ou presque, tirées au sort pour exercer une fonction. Après cela, la base du tirage au sort sera modifiée et celles et ceux qui auront déjà exercé la fonction en question ne pourront plus en faire partie, les obligeant à changer de poste.

Cette procédure permet l’apprentissage de la démocratie par la réversibilité. L’individu qui participe au tirage au sort se retrouve à exercer, et donc connaître, deux rôles : celui du gouverné, et celui du gouvernant. L’idée est qu’ainsi, l’individu en question peut mieux comprendre les lois de l’Etat, et donc à la fois les promulguer et les appliquer. 

Il ne faut pas oublier que le tirage au sort est déjà utilisé : il permet d’obtenir un échantillon représentatif de la population, ce qui est particulièrement utile pour les sondages, les simulations politiques, les enquêtes sociologiques…

 

Idées reçues

De nombreux préjugés conduisent à un rejet ou une mauvaise utilisation du tirage au sort.

  • Le tirage au sort est souvent associé au hasard. Or, le hasard tient de l’aléatoire. Le tirage au sort, en revanche, est organisé : il égalise les options avant de faire un choix. L’aléatoire n’est pas la finalité du processus, mais un de ses outils.
  • Le tirage au sort ne peut pas, à lui seul, constituer la solution de la crise de représentativité que les systèmes politiques occidentaux rencontrent aujourd’hui. Plusieurs modalités doivent être pensées pour correspondre à des contextes précis.
  • La question de la compétence – ou non – des tiré.es au sort est une inquiétude récurrente. Ce problème est néanmoins facilement neutralisé par la constitution réfléchie de la base du tirage. Des critères de sélection doivent être pensés au préalable, en fonction du résultat que l’on cherche à obtenir. La compétence est finalement une question qui se pose pour toutes les procédures, et ne concerne pas seulement le tirage au sort.

Du tirage au sort peut résulter plus d’impartialité, de simplicité, d’intégration, d’égalité et d’apaisement. Mais ces effets vertueux ne sont pas automatiquement induits : ils dépendent de la finalité recherchée, et surtout de ses modalités d’application. Il est également fondamental que les personnes désignées soit soumises à un contrôle strict et permanent de l’exercice de leurs fonctions, afin d’éviter, par exemple, la corruption.

 

Modalités d’application

Plusieurs aspects doivent être réfléchis en préalable, et dépendent des objectifs donnés à la procédure.

Tout d’abord, il faut constituer la base légale du tirage, comprise entre deux individus minimum et un nombre en théorie infini. Trois options permettent de savoir qui peut s’enregistrer dans cette base : l’option « sans qualification » (tout le monde peut être inscrit), l’option « avec qualification » (on ne peut être inscrit que si on possède les qualifications requises), et l’option dite « de candidature » (toutes les personnes ayant postulé peuvent participer au tirage).

Il faut bien sûr définir les droits et devoirs de celles et ceux qui pourraient potentiellement former cette base :

  • Le droit de candidature (droit de postuler à une base) ;
  • Le droit de désistement (obligation de faire partie de la base, mais droit de refuser le poste si on est désigné.e) ;
  • Le droit de refus (droit de refuser de faire partie d’une base) ;
  • L’obligation (faire partie de la base est obligatoire, sans possibilité de se désister si on est désigné.e).

On peut rendre entièrement transparent la préparation et la pratique du tirage : toute la population sait qui est enregistré.e dans la base, et qui est finalement désigné.e. C’est l’option de la visibilité. On peut aussi choisir la confidentialité, afin de protéger les participant.es d’un danger, d’influences extérieures ou de tentatives de corruption.

Vient ensuite la question de la rétribution à accorder – ou  non- aux personnes élues à un poste, comme compensation financière pour le travail effectué et le coût qu’il peut avoir (mise entre parenthèse de sa profession, de sa vie personnelle, déménagement, etc.).

La fréquence du tirage au sort doit être fixée. Là encore, plusieurs options sont possibles. On peut rendre impossible le renouvellement de son mandat : une fois élue, la personne est supprimée de la base du tirage en question, et potentiellement également des autres bases. On peut, au contraire, renouveler une fois son mandat, permettant aux personnes désignées une seconde fois d’apporter leur expérience.

Enfin, il faut penser à la façon dont les personnes désignées seront formées. On peut former l’ensemble de la base du tirage au préalable, former les élu.es après le tirage, ou encore ne former personne. Cette dernière option, si elle semble contre-intuitive, permet pourtant de diminuer la corruption et la manipulation.

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Gil Delannoi propose tout d’abord d’utiliser le tirage au sort pour former des conseils dans des instances universitaire, des assemblées locales et des conseils municipaux. Mais il voit plus loin : la procédure pourrait être appliquée à une échelle régionale et nationale pour former des jurys, des conseils, et des assemblées, voire au niveau de l’Union Européenne. Il conclut son propos en invitant à expérimenter sa théorie, ce qui permettrait également de l’évaluer et de l’affiner. 


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