Publié le 18 février 2023. Mis à jour le 11 octobre 2024.
Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie, Editions du Seuil, 2008
Loïc Blondiaux est professeur de science politique à l’université Paris-Panthéon-Sorbonne. Il dirige la revue Participations (De Boeck).
« Les formes classiques de la représentation politique survivent, mais leur légitimité s’amenuise et leur efficacité décline. Le pouvoir des institutions représentatives est partout rogné, leur autorité chahutée et leur capacité à imposer des solutions par le haut fortement érodée. »
Face à l’affaiblissement des structures traditionnelles de la démocratie représentative, Loïc Blondiaux théorise un « impératif participatif », caractérisé par une demande croissante de participation citoyenne dans le processus décisionnel, aujourd’hui monopolisé par une classe politique éloignée de la réalité sociale.
« La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une case, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant 5 ans. Elle est action continuelle du citoyen. »
– Pierre Mendes France, homme d’état français du XXème siècle.
Qu’est-ce que la démocratie participative ?
Selon Benjamin Barber, politologue et écrivain américain, la démocratie participative est une étape inévitable du chemin démocratique. Pour d’autres, c’est la promotion d’une illusoire opinion citoyenne qui ne procurera aucun changement, si ce n’est l’affaiblissement des corps politiques organisés tels que les partis, les associations, le Parlement et autres.
Les premiers théoriciens de la démocratie participative se sont inspirés de Jean Jacques Rousseau et John Stuart Mill. Leur démarche est avant tout fondée sur une critique de la représentation. L’engagement de toutes et tous dans les affaires de la cité est vu comme une condition de la liberté et de l’épanouissement individuels, deux dimensions indispensables de la démocratie.
« La démocratie participative recherche la formation de communautés citoyennes actives, mettant l’accent sur l’engagement et la politisation des participants. (…) Le concept accueillant de démocratie participative semble devoir englober tout ce qui, dans la vie politique des démocraties contemporaines, ne relève pas strictement de la logique du gouvernement représentatif. »
Trois modalités d’institutionnalisation de la participation sont apparues à la fin des années 1980. Elles s’inscrivent dans le prolongement de formes de consultation plus anciennes :
- Le modèle du budget participatif : une partie du budget de leur collectivité territoriale est voté par les citoyens et citoyennes, en direction de projets choisis par ces derniers ;
- Le modèle du débat public : des citoyens et citoyennes volontaires participent au processus d’élaboration d’une politique publique portant des enjeux socio-économiques ou environnementaux ;
- Le modèle du jury citoyen : une assemblée temporaire des citoyens et citoyennes tirés au sort formule des recommandations sur des sujets de politiques publique, après une formation citoyenne sur l’information et la délibération.
La démocratie participative se caractérise par des débats, des conseils, des rencontres, des forums, toutes sorte d’initiatives au caractère strictement consultatif, sans obligation d’application de la décision. Ces modèles viennent du monde entier : le budget participatif du Brésil, les jurys de citoyens d’Allemagne et des Etats-Unis, les conférences de consensus du Danemark… On observe une véritable circulation internationale de dispositifs participatifs dont la transposition doit se faire en prenant compte des différents contextes sociaux et politiques.
Le domaine de la participation tend cependant à se professionnaliser avec l’émergence de « professionnel de la participation ». En France, cette professionnalisation est le fait, d’une part, d’anciens militants reconvertis dans le conseil, et de classiques entreprises de communication. Les dispositifs de participation font l’objet d’études approfondies, de standardisation ou encore de dépôt de droits d’auteur, augmentant le risque de contrôle par les institutions et les gouvernements.
Pourtant la démocratie participative tient sa force sociale dans les métadiscours, provenant de la sphère savante ou politique, selon laquelle l’intervention citoyenne serait une réponse adaptée à une ou plusieurs évolutions structurelles de nos sociétés : la complexification de la société, sa division, l’élévation globale du niveau de compétences des individus, la mobilisation citoyenne, l’affaiblissement des structures de sociabilité et le repli individualiste, et enfin la crise de la gouvernabilité.
Réticence des élites politiques et manque de participation citoyenne
La démocratie participative locale est souvent bloquée par les élu.es, notamment le ou la maire, qui entend conserver le monopole de la décision. Loïc Blondiaux insiste sur la dimension démagogique des processus de participation locale, qui n’ont souvent aucun impact politique ou financier réel. Sans affirmer l’inefficacité globale de la démocratie participative, il illustre ainsi son mal-fonctionnement dans une société donnée.
« Tout indique que les élites politiques, en France tout particulièrement et en dépit de leur proclamation, restent attachées à une pratique exclusivement représentative du pouvoir, dans laquelle la participation ne peut se concevoir que sous une forme extrêmement encadrée et comme un simple adjuvant de la démocratie représentative. »
De la même façon, la propre mobilisation citoyenne est souvent le fait de groupes motivés, actifs, mais peu nombreux.
Une application limitée
L’auteur pointe les limites des réalisations au nom de la démocratie participative. Premièrement, celle-ci se veut être une « démocratie de proximité », voire d’enclaves. Deuxièmement, elle présente un risque de renforcement des inégalités politiques mais aussi d’instrumentalisation. Finalement, la démocratie participative est toujours conçue comme un complément de la démocratie représentative et jamais comme un substitut possible.
Pour contraster ces limites, Loïc Blondiaux propose de :
- Créer un enjeu, des intérêts et une véritable décision à prendre, car le conflit représente une dimension essentielle de la participation citoyenne ;
- Pluraliser les sources de l’expertise publique ;
- Reconnaitre la compétence citoyenne ;
- Renforcer la transparence de l’action administrative.
Recommandations finales
Finalement, l’auteur formule six recommandations pour une démocratie participative effective.
- Prendre au sérieux les formes matérielles de discussion
Les formes matérielles influent sur la nature même de l’échange. Le cadre de la participation doit donc être préalablement négocier, et les règles clairement formulées. Cela requiert également des moyens d’information, de communication et d’expertise ainsi qu’un encadrement des échanges. - Encourager l’émergence de pouvoirs neutres
Des intermédiaires indépendants doivent pouvoir participer au processus. - Promouvoir une constitution démocratique mixte
« La démocratie se doit encore de nos jours d’être autant partisane, syndicale, associative que participative. »
- Jouer sur la complémentarité des dispositifs
- Repenser la relation à la décision
La démocratie participative n’a pas forcément vocation à produire directement de la décision. - Réaffirmer sans cesse l’idéal d’inclusion
« La démocratie participative n’a de sens que si elle contribue à enrayer les logiques d’exclusion sociale qui caractérisent aujourd’hui le fonctionnement ordinaire de nos démocraties. »