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La Démocratie, le Meilleur des Régimes ?


Publié le 29 avril 2021. Mis à jour le 27 septembre 2024.

« Collective Wisdom Old and New » par Hélène Landemore, politiste franco-américaine et maîtresse de conférence à l’université de Yale ;
« Prediction Markets : Trading Uncertainty for Collective Wisdom » par Emile Servan-Schreiber, docteur en psychologie cognitive et directeur de deux sociétés de conseils, Lumenogic et Hypermind ;
« Epistemic Democracy in Classical Athens : Sophistication, Diversity and Innovation  » par Josiah Ober, historien de la Grèce antique, théoricien politique et professeur de sciences politiques à l’université de Stanford.

Contributions à Collective Wisdom, Principles and Mechanisms (dir Hélène Landemore et Jon Elster).

Lorsque Churchill déclare que « La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres », il est loin de critiquer la démocratie, mais dénonce en réalité le comportement de certains politiques œuvrant à limiter les pouvoirs du parlement britannique, affaiblissant ainsi le pouvoir du peuple et fourvoyant ce régime sacré, moralement inattaquable, qu’est la démocratie.
Mais pourquoi donc le concept de démocratie est-il à ce point respecté ? En développant des arguments philosophiques, statistiques, économiques et historiques, les diverses contributions à l’ouvrage collectif intitulé Collective Wisdom, Principles and Mechanisms réaffirment que la démocratie est bien supérieure aux autres régimes politiques.

 

« Plusieurs têtes valent mieux qu’une »

On affirme très souvent que la démocratie est le meilleur des régimes politiques parce qu’il favorise la justice, l’égalité, la liberté ou encore les droits de l’homme. Cette remarque semble historiquement fondée. Cependant, elle ne permet pas véritablement de différencier la démocratie des autres régimes politiques. De grands penseurs ont bien justifié l’aristocratie ou la monarchie de droit divin avec les mêmes arguments…

Selon Hélène Landemore, qui modernise cette idée si chère à Aristote selon laquelle « plusieurs têtes valent mieux qu’une », la démocratie est le meilleur des régimes parce qu’elle fait appel à la « sagesse collective » des citoyens et reprend ainsi la thèse de James Surowiecki selon laquelle une foule résoudra plus efficacement un problème que n’importe quel individu isolé.
Mais combien de têtes faut-il pour parvenir à la sagesse collective ? L’aristocratie, c’est-à-dire le gouvernement d’un petit nombre d’experts, ne permet-il pas de faire émerger une sagesse collective ? Pour la politiste, « une oligarchie composée des meilleurs et des plus brillants n’est pas forcément plus intelligente que la majorité », car la diversité est capitale.

Dans le premier chapitre de l’ouvrage, Émile Servan-Schreiber prend l’exemple de Wikipédia, encyclopédie capable de rassembler toutes les connaissances existantes, résultat du travail collectif de milliers d’individus. Le chercheur soutient même que la sagesse collective pourrait prédire l’avenir : la nomination d’Obama à la primaire démocrate avait été prévue par les traders du site Newsfutures, par des paris d’argent fictifs sur le candidat qui devait selon eux l’emporter. Dès le mois de février 2007, la côte de Barack Obama s’envole et les parieurs estiment que le candidat a 60% de chance d’être élu.
Pour Hélène Landemore, plus le groupe est important, plus les opinions individuelles sont variées. C’est la confrontation de ces différents points de vue, « la diversité cognitive » du groupe, qui permet de réaliser de telles prédictions. Cela dit, un certain degré de jugement et de connaissances de tous les membres est requis pour que le groupe puisse prétendre collectivement à la sagesse. Dans l’exemple dont il est question, les parieurs semblaient suffisamment compétents pour comprendre que Barack Obama avait des chances de l’emporter.
Ainsi, des individus, modérément compétents mais dont les perspectives diffèrent, aboutiront à des solutions plus satisfaisantes que des spécialistes aux profils plus homogènes.

Le défi de la démocratie est donc d’organiser les choses de telle manière qu’une « sagesse collective » puisse émerger.

 

Orchestrer la sagesse collective, l’exemple de la Grèce antique

Josiah Ober, quant à lui, explique que c’est par sa capacité à délibérer et à utiliser l’intelligence collective qu’Athènes a régné sur la Grèce et combattu des cités aussi prestigieuses que Sparte. L’historien estime que la démocratie grecque permettait de mettre en valeur les compétences politiques individuelles des citoyens mais également la diversité des points de vue.
Les statistiques démontrent d’ailleurs une corrélation positive entre le développement de la démocratie et le développement économique de la ville d’Athènes. Autrement dit, plus nombreux étaient les citoyens qui accédaient au droit de vote, plus Athènes se développait économiquement et multipliait ses victoires militaires.

Josiah Ober considère que la Boulè, assemblée chargée de voter les lois de la cité, était l’institution la plus à même de faire surgir l’intelligence collective car organisée dans le but de confronter les idées de citoyens aux intérêts différents voire divergents. Les réformes de Clisthène (-507) ont permis la réorganisation du débat et de l’espace civique. Les anciennes structures politiques fondées sur la richesse et les groupes familiaux disparurent, remplacées par un système de répartition territoriale comptant trois grandes régions : la Paralie (zone côtière), la Mésogée (territoires ruraux), l’Asty (zone urbaine).
Chaque ensemble était composé de dix groupes de dèmes, le dème étant la circonscription administrative de base de la vie civique dans laquelle chaque citoyen athénien devait être admis à dix-huit ans. La réunion de trois trittyes (groupe de dèmes), une dans chaque région, forme une tribu, phylè. Les dix tribus regroupaient ensuite plusieurs membres, mélangés de manière à ce que les goûts (politiques et culturels) et les envies de la population soient tous entendus.
Dans chacune de ces dix tribus, cinquante citoyens étaient tirés au sort pour représenter leur tribu à la boulè. Ainsi, comme le souligne Josiah Ober, rassembler des citoyens athéniens habitant des régions différentes a permis de créer une certaine cohésion politique. Des Athéniens dont les intérêts économiques diffèrent en fonction de leur activité (agriculture, commerce, artisanat) ont pu adhérer au même projet politique.

La démocratie athénienne est parvenue à mettre en place des institutions qui mettaient en valeur la sagesse collective. Et c’est bien cette diversité de points de vue qui a permis à la cité de surpasser ses rivaux.

 

Qu’en conclure pour aujourd’hui ?

La démocratie doit donc créer des institutions permettant de tirer pleinement profit de cette force incroyable qu’est la sagesse collective. Pour cela, deux conditions doivent impérativement être remplies :

  • Premièrement, les citoyens et citoyennes doivent être informé.es, leur jugement et leur sens critique éduqué, afin de pouvoir prendre position en toute connaissance de cause ;
  • Deuxièmement, les institutions doivent favoriser l’émergence de débats afin de mettre en valeur la diversité des points de vue.

Selon ces auteurs, c’est à ces conditions que la démocratie pourrait bien être le meilleur des régimes.


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