Publié le 23 avril 2021. Mis à jour le 27 septembre 2024.
John G. Matsusaka, Let the people rule, how direct democracy can meet the populist challenge, 2020
Professeur d’économie et de sciences politiques à la Marshall School of Business, John Matsusaka est un expert en démocratie directe et en organisation d’entreprise.
Pour lutter contre le populisme actuel, il faut donner au peuple la possibilité de s’exprimer régulièrement en instaurant des référendums. C’est la thèse simple que défend John Matsusaka dans cet ouvrage publié en 2020.
Les raisons de la montée en puissance des populistes
Sur fond de ressentiment social monte une vague populiste qui déstabilise les démocraties du monde entier. En Italie, en Hongrie, en Autriche ou au Brésil, les populistes prennent le pouvoir, pointant du doigt le manque de pouvoir que possède le citoyen ou la citoyenne ordinaire. En 2017, une étude de l’institut de sondage Gallup soulignait que près de 57% du corps citoyen de l’Union européenne déclaraient ne plus avoir confiance en leur gouvernement. Le peuple serait frustré par la difficulté des gouvernements à régler les problèmes économiques (chômage, inégalités) et irrité par les changements causés par la mondialisation (immigration, délocalisation).
Le discours populiste se nourrit de cette défiance et oppose « le peuple » et « les élites », qui ne se soucient plus de ce que vote le corps citoyen. Donald Trump explique ainsi dans son discours de 2016 à Charlotte qu’il a « décidé de faire campagne afin de rendre notre gouvernement au peuple ». Bernie Sanders, quant à lui, annonce régulièrement qu’il souhaite gouverner « pour tous les citoyens américains » et non seulement pour le fameux « 1% les plus plus riches ».
John Matsusaka voit cette critique comme tout à fait fondée et donne plusieurs raisons de cet échappement du pouvoir au profit de quelques mains.
Des exécutifs et leurs bureaucraties qui décident des lois
Selon l’auteur, la grande majorité des lois étasuniennes ne sont plus promulguées par les représentant.es élu.es du Congrès, mais bien par l’exécutif et son gouvernement. A titre d’exemple, en 2006, après avoir regardé un documentaire de Jean-Jacques Cousteau, le Président Bush décide de créer une réserve naturelle maritime au large des côtes hawaïennes. Il y interdit la pêche et toutes les autres activités susceptibles de nuire à l’environnement. A lui seul, il crée une réserve naturelle cent fois plus grande que le parc Yosemite, sans l’accord du Congrès. Le pouvoir de ce dernier est donc considérablement affaibli, alors même qu’il représente – en théorie – la pluralité des opinions du peuple.
Des représentant.es isolés du peuple
Dans un système représentatif comme celui des Etats-Unis, les parlementaires sont supposés assurer le lien entre le peuple et le gouvernement élu. Aujourd’hui cependant, on observe une véritable déconnexion entre les assemblées législatives et le peuple, mais comment l’expliquer ?
Selon de nombreux et nombreuses politistes, le problème est mathématique : en 2019, on comptait 1 élu.e pour 750 000 citoyens et citoyennes américain.es. On pourrait alors penser que la solution est l’augmentation du nombre d’élu.es, mais pour John Matsusaka, cela ne suffit pas, puisque la population ne sera toujours pas inclue dans le processus décisionnaire.
Des lois auxquelles le peuple ne consent pas
L’auteur souligne ainsi que seules 50% des décisions politiques sont conformes à l’opinion de la majorité du corps citoyen, mettant à mal le mythe de la démocratie comme règne de la majorité.
Au cours du siècle dernier, les gouvernements démocratiques se sont bureaucratisés, devenant certes plus efficaces mais aussi plus éloignés des personnes qu’ils étaient supposés représenter et gouverner. Le populisme s’infiltre dans cette brèche.
Les moyens de lutter contre la vague populiste
Face à la croissance du populisme, les gouvernements estiment souvent qu’il faut donner plus de pouvoir aux élites et moins de pouvoir au peuple, trop impulsif et irritable. N’est-ce pas le peuple, par son vote, qui a permis l’arrivée au pouvoir d’Hitler, ou Mussolini ? « Dans la formation des élites, puisque le problème de fond est l’émotion excessive du peuple, la solution est de transférer encore plus de pouvoir des gens ordinaires aux technocrates et autres élites« , écrit John Matsusaka.
Notre auteur considère au contraire qu’il faut donner au corps citoyen la possibilité de s’exprimer de façon régulière par l’intermédiaire de référendums, aidant ainsi à combler le fossé entre gouvernant.es et gouverné.es. « Pour rétablir le lien entre le peuple et le gouvernement, il faut laisser le peuple prendre lui-même un plus grand nombre de décisions publiques importantes : c’est la démocratie directe« , et ce malgré la possibilité d’échecs comme le fut selon lui le Brexit.
Selon une étude de 2017 réalisée par le Pew Research Center, les référendums convoquent aux urnes un nombre impressionnant de citoyens lorsqu’il s’agit de voter pour des décisions importantes (renflouement de la dette en Grèce, légalisation de l’avortement en Irlande, etc.).
3 référendums sont possibles :
- Le référendum consultatif est un mécanisme qui permet de s’opposer à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi en la soumettant au vote populaire. Il est facultatif, c’est à la population ou au gouvernement d’en faire la demande ;
- Le référendum obligatoire désigne une procédure qui soumet obligatoirement un objet au scrutin populaire, en principe après son adoption par l’organe parlementaire. En Suisse par exemple, on soumet obligatoirement au vote du peuple les révisions de la Constitution fédérale, l’adhésion à des organisations de sécurité collective, ainsi que les lois fédérales déclarées urgentes ;
- Le référendum d’initiative populaire est caractérisé par le fait que l’initiative appartient au peuple et qu’il peut porter sur différents domaines. Il peut être législatif, abrogatif, révocatoire ou constituant. Les procédures varient, mais certaines étapes reviennent: les initiateurs d’un projet doivent réunir un nombre préétabli de signatures soutenant le texte envisagé (pétition). Si ce nombre est atteint, les pouvoirs publics sont tenus d’organiser un référendum. En cas de réponse favorable au texte, le Parlement doit nécessairement discuter d’une modification de la loi dans le sens indiqué par le référendum. Aux États-Unis, la moitié des Etats jouissent de ce dispositif et des villes aussi importantes que Los Angeles, Houston, Phoenix, San Diego, Dallas ou San Jose l’utilisent quotidiennement.
Le référendum, un outil puissant pour renforcer la démocratie
Afin d’inclure les citoyens dans le processus de décisions politiques, John Matsusaka propose de mettre en place cinq réformes importantes :
- Mettre en place des référendums consultatifs. Ces référendums seraient organisés à l’initiative du Président ou du Parlement sur des sujets qu’ils choisiraient, leur permettant de mieux comprendre le point de vue du peuple.
- Mettre en place des référendums consultatifs sur des sujets choisis par les citoyens. Ces référendums seraient convoqués par le Parlement mais il permettrait également au peuple de choisir les thèmes abordés.
- Rendre obligatoire le référendum lorsque le parlement ou le gouvernement prend certaines décisions importantes. Par exemple, si le Congrès souhaite augmenter les impôts, il devrait par exemple soumettre sa proposition à référendum, permettant de gouverner avec le consentement du peuple.
- Instaurer des référendums d’initiative citoyenne. Il suffirait à un groupe de citoyens motivés de recueillir suffisamment de voix pour organiser un référendum.
- Donner aux citoyens la possibilité de modifier la constitution grâce à un référendum. Il suffirait là encore qu’un groupe citoyen motivé parviennent à recueillir suffisamment de signatures pour organiser un référendum et que la population entière statue sur la modification constitutionnelle en question.
Ces réformes permettraient avant tout de gouverner avec le consentement du peuple, de légitimer chacune des décisions prises et de responsabiliser nos gouvernant.es. En outre, elles donneraient au gouvernement la possibilité de connaître la position du peuple sur telle ou telle question à un moment précis et auraient enfin une vertu pacificatrice. En cas de décision très controversée, la population pourrait voter par référendum et la voix de la majorité ferait loi, comme ce fut le cas en Irlande lors des débats sur la légalisation de l’avortement.
Faire confiance aux citoyens et citoyennes ?
John Matsusaka aborde également les critiques récurrentes adressées à la démocratie directe : peut-on faire confiance aux électeurs et électrices pour choisir des politiques raisonnables ? Les droits des minorités peuvent-ils survivre aux décisions de la majorité ? Le peuple est-il compétent ?
Le peuple est-il assez raisonnable ?
John Matsusaka s’appuie sur l’exemple de la légalisation de l’avortement. Aux États-Unis, les débats autour de cette question sont extrêmement tendus depuis plus de 40 ans. Pourtant, la plupart des Américains sont d’accord avec l’arrêt de la Cour Suprême de 1973 qui rend inconstitutionnel l’interdiction de l’avortement le premier semestre de grossesse. On peut raisonnablement penser que si la Cour Suprême avait organisé la tenue d’un véritable débat débat démocratique (via, au hasard, un référendum), le clivage seraient aujourd’hui moins important. En Italie et en Irlande, deux pays fortement catholiques, le corps citoyen a voté par référendum et choisi de le légaliser, apaisant ainsi la situation. Il semblerait donc que les électeurs et électrices référendaires soient plus modérés que leurs propres institutions…
Les citoyens sont-ils vraiment compétents pour prendre des décisions ?
Aucun doute, selon l’auteur. La Californie est à cet égard exemplaire : c’est l’État dans lequel les personnes ordinaires jouent le plus grand rôle dans l’élaboration des politiques, pouvant même voter les budgets de l’État. De nombreux critiques estimaient que les électeurs californiens choisiraient des politiques de dépenses et d’impôts incompatibles ; ils pensaient que les citoyens allaient réduire les impôts et augmenter les dépenses publiques. Or, au terme d’une étude statistique poussée, John Matsusaka prouve le contraire : les californiens et californiennes n’ont ni cherché à réduire les impôts ni même à augmenter les dépenses publiques.
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Oui, on peut faire confiance à l’intelligence collective quand on convoque le peuple aux urnes, peuple qui, aujourd’hui, n’a pas le sentiment d’être écouté et ne peut s’exprimer que dans la rue. Les outils de démocratie directe, selon John Matsusaka, est donc bien un moyen efficace de lutter contre la vague populiste démagogique.