Publié le 29 avril 2021. Mis à jour le 27 septembre 2024.
« Designing Wisdom through the Web : Reputation and the Passion for Ranking » par Gloria Origgi in Collective Wisdom, Principles and Mechanisms (dir Hélène Landemore et Jon Elster).
Gloria Origgi est chercheuse au CNRS à l’Institut Jean Nicod. Elle s’occupe d’épistémologie sociale, d’épistémologie du web et de philosophie des sciences sociales.
Nombre d’études se sont focalisées sur les forces et les faiblesses de l’intelligence artificielle, mais peu nombreuses sont celles à s’interroger sur les liens pouvant exister entre l’intelligence artificielle et la démocratie. D’où le grand intérêt de l’article de Gloria Origgi qui montre notamment comment tirer profit des pratiques d’évaluation et de classement par les utilisateurs pour hiérarchiser l’information.
La sagesse sur Internet, vraiment ?
Dans les années 1990, le web était décrit comme une « technologie révolutionnaire », qui allait bouleverser toutes nos pratiques d’accès à la connaissance et permettre aux utilisateurs de produire, d’accéder et de distribuer du contenu en un rien de temps.
Aujourd’hui, Internet a montré ses défauts : l’information n’y est pas toujours sourcées, les fake news sont légions et les algorithmes des réseaux sociaux favorisent la formation de communautés aux idées extrêmes. Les politiques ont ainsi plus tendance à critiquer le web qu’à en encenser la capacité à produire une forme de sagesse collective. Et pourtant, nous faisons généralement confiance à Google pour une recherche alors que nous n’avons aucun moyen de vérifier l’information et sa hiérarchisation. Selon Gloria Origgi, c’est justement le fait que l’information soit produite par de nombreuses personnes qui a tendance à nous rassurer sur sa qualité.
La chercheuse note également que, sur Internet, certaines pages sont mises en avant tandis que d’autres beaucoup moins. Cela est dû au fait que les algorithmes interprètent chacun de nos clics comme des votes. Si de nombreux utilisateurs cliquent sur la page A, alors la page A sera mise en avant.
Des données que l’on peut trier
Sur de nombreux sites (Amazon, Ebay, Tripadvisor…), il est possible de noter les offrants, mettant les utilisateurs et utilisatrices en confiance en leur donnant une sorte de « guide » à suivre pour leurs achats. Si ce système de notation est par pleins d’égards fortement critiquable, il montre que la hiérarchisation et le tri des informations est possible.
Wikipédia est un autre exemple intéressant. On y trouve aujourd’hui des articles aussi fiables que ceux de l’Encyclopedia Britannica. Certes, comme le souligne l’auteur, l’encyclopédie en ligne avait autrefois des défauts : elle a pu servir les intérêts d’individus ou contribuer à promouvoir certaines idéologies ou partis politiques. Mais elle est aujourd’hui fiable, pour trois raisons principales :
- Tout d’abord, le nombre d’utilisateurs est devenu suffisamment important pour que les informations erronées soient très vite corrigées ;
- Ensuite, les utilisateurs de Wikipédia ont tous des points de vue très différents ; ainsi, une fois que les informations sont agrégées entre elles, on parvient à une forme de neutralité ;
- Enfin, des groupes engagés vérifient que l’information produite est une information de qualité.
Le Web peut donc permettre d’agréger les informations émises par l’ensemble des utilisateurs et d’en faire émerger une intelligence collective.
Une sagesse collective au service de la politique ?
Pourquoi ne pas tirer parti, en démocratie, des évaluations pratiquées sur Internet ? Peut-on estimer que ce système pourrait permettre de faire ressortir les meilleures idées politiques des citoyens et citoyennes ? Pas si simple, selon Gloria Origgi.
Il est difficile de parler d’intelligence collective en ce qui concerne les pratiques d’évaluation sur Internet, car elles sont le plus souvent encouragées par les sites et contribuent à uniformiser les choix des utilisateurs. La fonction Amazon intitulée « les utilisateurs ont aussi acheté » n’a par exemple pas pour but d’aider une communauté de lecteurs à identifier le « bon » livre, mais bien d’augmenter les ventes.
En revanche, on peut parler d’intelligence collective à propos des forums d’utilisateurs où les informations s’échangent et les problèmes se résolvent en commun. Une encyclopédie comme Wikipédia atteste que les individus travaillent mieux en groupe et produisent une sagesse collective.
Alors pourquoi ne pas imaginer un tel système en politique ? Un système dans lequel chacun pourrait librement exprimer ses opinions politiques, les mesures qu’ils souhaiteraient mettre en œuvre et ses réactions concernant la politique mise en place par le gouvernement ?