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Saillans, une Expérimentation de la Démocratie Participative


Publié le 4 mars 2023. Mis à jour le 28 octobre 2024. 

En 2014, le village de Saillans, situé au pied du Vercors et peuplé de 1300 habitants, se lance dans une expérience de gouvernance locale inédite. Un film et un livre racontent cette expérience.

 

Commune Commune, réalisé par Dorine Brun et Sarah Jacquet, produit par Bocalupo Films et La Société des Apaches, 2022

Dorine Brun est réalisatrice pour la télévision et le cinéma. Sarah Jacquet est animatrice de radio et autrice de romans jeunesse. 

 

 

 

La Petite République de Saillans. Expérience de démocratie participative, Maud Dugrand, éditions du Rouergue, 2020, 160 p.

Maud Dugrand est journaliste pour le magazine Siné et pour le journal Le Monde.

 

 

Pour Maud Dugrand, native de Saillans, la participation citoyenne est une nécessité face à des élus et élues qualifiés de « tout puissants, méprisants », cumulant les mandats. Le documentaire de Dorine Brun et de Sarah Jacquet immerge son public dans cette expérience citoyenne, et en dresse un tableau sans parti pris. 

 

En 2010, l’idée d’installer une enseigne Casino en dehors du village met en péril les commerces locaux. Des citoyens et citoyennes s’opposent au projet, et cherchent à lancer une consultation, en vue d’un référendum qui requiert 10% de l’électorat. Malgré cette initiative, les élues et élus votent à bulletin secret en faveur du projet, geste perçu comme une trahison par la population. Pendant dix-huit mois, celle-ci fait face à la municipalité et obtient l’abandon du projet par l’entreprise elle-même.

 

Vers une liste citoyenne

A partir de 2012, l’idée d’une démocratie participative locale circule parmi les habitants et habitantes de Saillans. En 2013, une réunion publique rassemble 150 personnes, qui se divisent en dix groupes de travail sur autant de sujets communaux. D’autres réunions ont lieu. Une liste citoyenne nommée « Autrement pour Saillans… tous ensemble » se constitue. Renversant le modèle habituel du maire leader politique d’un groupe vertical, le programme est le fruit d’une démarche de co-construction, et l’équipe travaille sur une charte de valeurs. 

« Nous nous engageons à construire une nouvelle politique locale, à trouver les équilibres justes en matière sociale, écologique et économique par l’usage d’une politique participative, à impliquer les Saillansons dans les choix et les projets en facilitant les échanges entre élus et citoyens, en offrant la parole à tous (…), à informer les Saillansons des enjeux politiques et leur permettre l’accès à la formation et aux outils de gouvernance, à définir et créer des moyens d’un mieux vivre ensemble, à favoriser les échanges en s’appuyant sur la diversité et la richesse de la population. »

Pour des raisons légales, le groupe conserve néanmoins le rôle de maire, mais cherche à équilibrer les pouvoirs. Il imagine donc un fonctionnement collégial des élus et élues : chaque compétence est administrée par deux ou trois membres du conseil municipal, et le ou la maire fonctionne en binôme avec son premier adjoint ou sa première adjointe. De plus, un comité de pilotage donne la parole aux habitants et habitantes une fois par semaine. Le conseil municipal fait donc office de chambre d’enregistrement des décisions prises en concertation avec la population.

Le 23 mars 2014, la liste « Autrement pour Saillans…tous ensemble » remporte la mairie dès le premier tour avec 56,8% des voix pour 80% de participation. Ce taux élevé de voix s’explique par la diversité des candidat.es et la mobilisation de réseaux préconstitués.

 

Vers la participation de tous et toutes

250 citoyens et citoyennes se partagent sept commissions, créées pendant la campagne et administrées par des binômes de membres du conseil municipal. Chacune d’entre elles crée également des ‘groupes action projet’ (GAP) prioritaires. La première mesure, adoptée à l’unanimité, est celle des indemnités, dont la répartition est dorénavant faite selon le temps dédié au projet.

L’assiduité des participants et participantes est ensuite considérablement réduite. La refonte du PLU (Plan Local d’Urbanisme) remobilise jusqu’à 400 personnes.

Les femmes de la commune se montrent particulièrement investies. Majoritairement présentes dans les différents dispositifs, elles sont davantage dans l’écoute et le partage de la parole, entrainant un changement de rapport de pouvoir. En réalité, les minorités (ethniques, de genre, économiques…) sont globalement mieux représentées dans un système participatif comme celui-ci.

 

Quelques obstacles

Le projet ne rencontre pas que des succès, et bute particulièrement sur le rôle du maire. En France, celui-ci est investi d’une forte dimension symbolique. Sa désacralisation s’avère difficile, notamment pour les plus anciennes générations. Selon Maud Dugrand, le clientélisme banal de la commune (la possibilité de s’adresser individuellement au maire pour x ou y raison) est délégitimée et rendu plus difficile par le partage des compétences de la fonctions. Les demandes sont alors réorientées vers les instances compétentes, générant distance et exclusion.

Maud Durgand souligne également la difficulté de la recherche du consensus face aux divisions sociales. Ce sont les citoyens et citoyennes au fort capital culturel et au plus de temps libre qui s’investissent le plus. Le documentaire de Dorine Brun et Sarah Jacquet montre également le clivage entre néoruraux et population ancienne, moins présente aux réunions.

« L’inégalité d’accès à la parole et à l’agir politique se couple également au temps possible à consacrer à la citoyenneté dans une société contrainte par le travail. »

Maud Dugrand

En mars 2020, l’équipe élue en 2014 n’est finalement pas été réinvestie (de peu), et les Saillansons et Saillansonnes décident de revenir à une équipe classique.

 

*

L’étude de l’expérience participative de Saillans montre donc ses avantages (prise de décision partagée, rencontres et échanges intenses au sein de la population) comme ses limites (manque de temps, recherche de consensus complexe et frustrante, pouvoir réservé à celles et ceux qui peuvent aller aux réunions). Paradoxalement, on peut se demander si ce système n’est finalement pas similaire à celui, classique, de l’élection, en ce qu’il donne le pouvoir au peu de personnes qui peuvent s’y consacrer. Il reste néanmoins une différence fondamentale : le pouvoir est décomposé et repartagé, et tous ceux et toutes celles qui le souhaitent y ont accès.


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