Publié le 31 mai 2021. Mis à jour le 01 octobre 2024.
« Brinkmanship and backsliding : How governments deal with referendum decisions » par Gerald Schneider, professeur de sciences politiques à l’Université de Constance (Allemagne). Ses recherches portent sur la prise de décision au sein de l’Union européenne, sur les causes et les conséquences de la violence armée, ainsi que sur la gestion des conflits.
Contribution à The Routledge Handbook to Referendums and Direct Democracy, 2017 (dir. Laurence Morel et Matt Qvortrup)
Gerald Schneider constate que, depuis une trentaine d’années environ, les référendums portant sur l’intégration européenne se sont presque toujours soldés par un « oui » et une victoire pour le gouvernement à l’origine du référendum – aux exceptions notables de 2005 en France et 2016 en Angleterre. En effet, les gouvernements peuvent généralement profiter des avantages institutionnels qu’ils ont sur l’opposition, avant et après les référendums. Et si le résultat s’annonce serré, ils peuvent même recourir à la stratégie de « brinkmanship » (« moi ou le chaos ») et lier leurs carrières personnelles au scrutin pour augmenter les chances d’un résultat positif.
Pourquoi les gouvernements réussissent-ils aussi bien leurs campagnes référendaires ?
Entre 1972 et 2016, seuls 16 des 62 référendums portant sur l’Union Européenne (UE) ont abouti à une défaite du gouvernement. Seuls deux chefs d’exécutif se sont vus dans l’obligation de démissionner : le Premier Ministre britannique David Cameron, après le référendum actant le Brexit en 2016, et le Premier Ministre norvégien Trygve Bratteli, après le référendum de 1972 sur l’intégration du pays à la communauté économique européenne.
Comment expliquer une telle réussite de la part des gouvernements ?
Lors d’un référendum d’initiative gouvernementale, les citoyens et citoyennes ne votent pas uniquement la proposition soumise au vote, mais également leur soutien au gouvernement en fonction. Gerald Schneider souligne ainsi que ces derniers jouissent d’un avantage important, puisque le ou la chef de l’exécutif peut lier son destin personnel, en tant qu’élu.e, au résultat du scrutin : c’est la stratégie « du bord de l’abîme » ou de « ma solution ou le chaos », en anglais brinkmanship. Celle-ci fonctionne d’autant mieux que le gouvernement choisit la date du référendum et s’arrange souvent pour l’organiser lorsque sa cote de popularité est au plus haut.
Les avantages institutionnels dont disposent les gouvernements leur permettent également d’éviter un référendum dont ils redoutent l’issue : au Royaume-Uni, malgré les demandes répétées du parti travailliste et d’une fraction du parti conservateur d’un référendum sur l’adhésion à l’UE, le pouvoir a longtemps repoussé le scrutin.
Que se passe-t-il lorsque le gouvernement perd un référendum ?
Entre 1970 et 2000, près de 50 % des citoyens et citoyennes consulté.es par référendum étaient favorables à une plus forte intégration européenne ; depuis 2010, ce chiffre baisse légèrement (46%). Les populations sont donc de plus en plus susceptibles de s’opposer aux propositions gouvernementales portant sur l’UE. Le Brexit en est un bon exemple, mais il n’est pas le seul : la même année, le Premier Ministre hongrois organise un référendum pour l’instauration de quotas d’accueil de migrant.es, auxquels Viktor Orban s’oppose fermement. Sa campagne fonctionne et le « non » l’emporte avec 98% des voix.
Toujours en 2016, Mattero Renzi, alors président du Conseil des Ministres en Italie, promet de se retirer de la vie politique si l’électorat rejette son projet de réforme de la Constitution. Après son échec, il est contraint de tenir sa promesse de campagne ; il cède son poste à un allié de confiance, mais continue tout de même sa carrière politique : il est aujourd’hui sénateur. Une défaite n’est donc pas nécessairement fatale pour celui ou celle qui mène la campagne référendaire.
Lorsqu’un gouvernement perd un référendum, il peut minimiser le rôle qu’il a joué dans la campagne référendaire ou bien tenter de détourner l’attention populaire : c’est ce que Gerald Schneider appelle des stratégies de « backsliding« , littéralement de « retour en arrière ». Il s’agit pour le gouvernement de (faire semblant de) « suivre l’opinion populaire en dépit de sa position initiale ».
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Le chercheur démontre ainsi que les référendums d’initiative gouvernementale sont en général des référendums plébiscitaires que les gouvernements peuvent manipuler afin de renforcer leur légitimité.