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Le Modèle Suisse


Publié le 6 février 2021. Mis à jour le 24 septembre 2024.

François Garçon, Le Modèle Suisse. Pourquoi ils s’en sortent beaucoup mieux que les autres, éditions Perrin

François Garçon est maître de conférences à la Sorbonne et auteur de plusieurs ouvrages dont Enquête sur la formation des élites dans le monde, paru chez le même éditeur. Dans Le Modèle suisse, il nous présente une véritable radiographie de la Suisse, rigoureuse et extrêmement détaillée.
Nous avons choisi de nous concentrer sur les seuls chapitres traitant de la démocratie participative et d’inviter nos lecteurs et lectrices à prendre le temps de se plonger dans ce livre passionnant, qui analyse le système de formation, le dynamisme économique, le pragmatisme social, la question de l’intégration sociale, la fiscalité de ce pays hors normes, sans passer sous silence ses réels problèmes.

François Garçon parle d’une Suisse « diabolisée » : on lui reproche sa neutralité factice pendant la guerre, on stigmatise son système bancaire sans connaître son fonctionnement véritable ni son importance relative (seuls 15% du PIB sont générés par les secteurs bancaires et l’assurance, 5,6%  de la population active), … Surtout, on critique son refus d’adhérer à l’Union Européenne ; or seuls 33% des Suisses considèrent que l’adhésion permettrait au pays de gagner en puissance économique, tandis que 63% pensent que le pays y perdrait en démocratie et 59% que l’organisation politique « y laisserait des plumes ».

 

Une démocratie exemplaire efficace économiquement

Et, dans le même temps on envie ce pays aux 26 cantons : sa démocratie exemplaire assure la paix civile, ses résultats économiques sont époustouflants (salaire moyen 2 fois supérieur à celui de la France, balance commerciale excédentaire avec tous les pays y compris la Chine) et plus de 20% d’immigrés contribuent à son succès. « La France n’aurait-elle pas intérêt, déclare l’auteur, à enfin tenter d’importer certaines recettes helvétiques, quitte à les adapter sans les dénaturer ? »

 

Des parlements partout : démocratie et fédéralisme conjugués

Depuis 1848, la structure de la Confédération helvétique est construite sur 3 niveaux.

  1. L’État fédéral, dont relèvent la politique étrangère, la défense nationale, les douanes et la monnaie, a son siège à Berne et compte trois grandes autorités.
    Le Parlement ou Assemblée fédérale (pouvoir législatif) est composé du Conseil national (200 membres, le nombre de sièges attribué à chaque canton est proportionnel à sa population) et du Conseil des États (46 membres).
    Le Conseil fédéral (pouvoir exécutif) est le gouvernement de la Suisse. Tous les 4 ans, les parlementaires renouvellent intégralement l’exécutif. En revanche le Conseil fédéral ne peut être renversé, en Suisse pas d’instabilité ministérielle !
    Le Tribunal fédéral (pouvoir judiciaire) est la Cour suprême de la Suisse.
  2. Chacun des 26 cantons est un état indépendant qui a fait le choix de se regrouper dans une Confédération. Chacun respecte les décisions démocratiques prises à la majorité mais conserve des prérogatives très étendues : justice, police, milices, enseignement, transports, santé, impôts hors TVA… Chaque canton dispose de son parlement, comptant entre 58 et 200 élus, et de son propre gouvernement de 5 à 9 membres.
  3. La commune, unité territoriale de base, fonctionne de la même façon : chaque grande commune a son propre exécutif de 5 personnes en moyenne. Cette démocratie de proximité, fondée sur la responsabilité individuelle, s’exerce au sein d’un parlement communal dont est équipée une commune sur 5 en moyenne.

Au total environ 500 parlements sont répartis sur tout le territoire. A son plus haut niveau, l’Etat affiche « une indiscutable modestie » : sept ministres, président de la Confédération inclus. De la même façon, les fonctionnaires sont très peu nombreux en comparaison des effectifs pléthoriques des pays voisins.

 

L’initiative populaire : le peuple propose

L’initiative populaire est au cœur de la démocratie participative. Un groupe de citoyens et citoyennes, sans forcément adhérer à un parti politique, peut tenter de persuader une majorité d’électeurs et électrices de la pertinence de sa demande.
Ainsi, plusieurs fois par an, les Suisses votent des orientations politiques majeures, concernant la Constitution aussi bien que la gestion des espaces verts. Le nombre de signatures nécessaires a évolué depuis 1977 : il est passé de 50 000 à 100 000 pour l’initiative (proposition de loi) et de 30 000 à 50 000 pour le référendum (vote d’abrogation d’une loi). Avant le vote, les les signatures sont authentifiées par la Chancellerie (250 personnes sous la direction d’un magistrat élu par l’Assemblée fédérale).  A l’échelle cantonale, le nombre de signatures exigées dépend de chaque canton (de 2 000 pour le Jura à 15 000 pour Berne).

Cette démocratie directe possède donc de puissants avantages :

  • Issues d’une minorité, les initiatives populaires, même lorsqu’elles ne remportent pas l’adhésion du peuple, entraînent des contre-projets et des changements législatifs ; elles influencent notablement les travaux du Conseil fédéral et du Parlement et font ainsi vivre le débat démocratique ;
  • L’initiative s’avère être un excellent moyen d’éducation civique, et cette pratique de débats et de compromis se forge déjà au niveau municipal, sur des sujets en apparence aussi anodins qu’une nouvelle salle des fêtes ou qu’une piste cyclable ;
  • L’initiative des citoyens rend acceptable la contrainte de l’État et la menace de referendum « refroidit les bouffées délirantes chez les parlementaires« .

Elle permet ainsi d’éviter les mouvements sociaux de mécontentement et les blocages corporatistes.

 

Le referendum : le peuple sanctionne

Lois et arrêtés fédéraux ainsi que traités internationaux sont sujets au référendum « facultatif » (veto). Il suffit que 50 000 personnes en fassent la demande pour que le gouvernement et le Parlement soient obligés de soumettre leur travail au vote du peuple. Celui-ci a donc le dernier mot et peut vaincre sans chaos une majorité d’élu.es au pouvoir législatif. En ce qui concerne les référendums cantonaux, chacun des cantons a fixé son propre quorum.
L’auteur revient sur le cas de Genève : la piscine, construite en 1930 à ciel ouvert sur le lac Léman, tombait en ruine. En 1987, la municipalité décide de la raser et de reconstruire une piscine moderne ; mais un groupe de citoyen soumet le projet à la volonté populaire, qui est finalement refusé : la ville dut reconstruire la piscine à l’identique ! Si cet exemple prête à sourire, il illustre surtout que, peu importe le sujet, le référendum donne lieu à un débat qui permet un compromis politique durable.

 

La pétition : le peuple interroge

Enfin, les citoyens et citoyennes peuvent adresser une requête écrite aux autorités, qui ont alors obligation d’y répondre. Elles ont donc intérêt à les éviter et à jouer la transparence : des publications détaillées sur chaque décisions publiques sont ainsi accessibles en ligne, associées aux coordonnées des responsables de rédaction, le tout dans les trois langues officielles de l’Etat (allemand, français et italien).
« Informer, expliquer, justifier dans le but de prévenir les blocages : à ce jour, rien de mieux n’a été inventé pour optimiser le fonctionnement de l’État« , affirme F. Garçon.

*

Au fil des siècles, la cohésion de la Suisse n’a jamais cessé de se renforcer. La guerre du Sonderbund de 1847, quand une coalition de sept cantons conservateurs à majorité catholique prit les armes contre le gouvernement fédéral et ensanglanta le pays, a laissé place à une cohabitation respectueuse entre différentes langues, religions et coutumes.
Les nombreux scrutins conditionnent la paix civile. L’initiative populaire permet à l’ensemble des électeurs et des cantons de se prononcer sur de idées portées par des groupes minoritaires. La majorité n’écrase pas la minorité qui, en retour, se plie au verdict des urnes. Le civisme de rigueur est « le ciment de cette communauté volontaire qu’est la Suisse« .

Souveraineté du parlement, initiative populaire, droit au referendum sont d’une efficacité incomparable et leurs coûts restent modiques, justifiant cette réflexion de François Garçon : « Réforme de l’État et régionalisation n’auraient-elles pas beaucoup gagné en efficacité et profondeur si, régulièrement, les électeurs français avaient été informés et appelés à s’exprimer ?« 


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