Publié le 14 juillet 2021. Mis à jour le 02 octobre 2024.
Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) a étudié la philosophie politique auprès de Platon et a ensuite fondé sa propre école, le Lycée. Polymathe par excellence, Aristote a écrit sur des sujets aussi variés que l’éthique, la politique, la métaphysique, l’économie, la poésie et la musique. Il valorise l’intelligence collective (notamment lorsqu’elle est extraite de la mise en commun d’expériences diverses), et souligne l’importance des classes moyennes dans une société. Dans La Politique, il analyse les constitutions des plus célèbres cités de l’époque : Athènes, Thèbes, Sparte et Carthage. Il distingue ensuite trois formes de gouvernements : la royauté, l’aristocratie et la République.
Sa pensée politique reste d’actualité malgré un contexte politique radicalement différent. Au IVe siècle av. J.-C., la vie politique est organisée autour de la polis, petite cité indépendante de 100 000 citoyens maximum (dont sont exclues femmes et esclaves). Mais quelle est la meilleure façon d’organiser une société ? Qu’est-ce qui rend les êtres humains heureux ? Comment assurer le bien commun ?
L’homme est un animal politique
Empirique, Aristote croit au pouvoir de l’observation. On ne peut comprendre un animal, les abeilles par exemple, qu’en regardant comment il se comporte. En les observant, on comprend très vite qu’elles ne se contentent pas de satisfaire leurs propres besoins mais qu’elles collectent des ressources pour la ruche. Celle-ci représente donc une société où le travail est divisé : certaines abeilles cultivent, d’autres combattent, d’autres encore gouvernent.
La polis de la Grèce antique est organisée de la même façon entre agriculteurs, soldats, ouvriers et dirigeants. Chaque classe remplit son rôle et œuvre pour le bien commun, c’est-à-dire la préservation de la cité.
« Il est manifeste… que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr, et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est injurié en ces termes par Homère : sans lignage, sans loi, sans foyer. »
Il existe cependant une différence essentielle entre l’abeille et l’être humain : ce dernier peut parler, raisonner, débattre, et c’est ce qui en fait une créature morale. La population d’une cité-Etat réfléchit et discute de la manière dont celle-ci doit être organisée, car, contrairement aux autres animaux, nous possédons le logos, terme grec qui signifie à la fois « raison » et « parole ». Aristote estime qu’il nous permet de porter des jugements moraux et de coopérer avec les autres pour mener une vie conforme à ce que nous pensons être juste.
« La fin de la société civile est donc de vivre bien ; toutes ses institutions n’en sont que les moyens et la Cité même, qu’une grande communauté de familles et de bourgades, où la vie trouve tous ces moyens de perfection et de suffisance. C’est là ce que nous appelons une vie heureuse et honnête. La société civile est donc moins une société de vie commune qu’une société d’honneur et de vertu.»
Qui doit gouverner la cité ?
A cette question, Aristote répond que le pouvoir doit revenir aux vertueux, aux plus sages de la cité, les plus à même de veiller au bien commun.
« Quand le monarque, le petit nombre ou le plus grand ne cherchent, les uns ou les autres, que le bonheur général, le gouvernement est nécessairement juste. Mais, s’il vise à l’intérêt particulier du prince ou des autres chefs, c’est une déviation. »
Ainsi, si la polis trouve une personne plus vertueuse que tous les autres citoyens réunis, alors elle doit lui donner le pouvoir : c’est la monarchie.
« Nous appelons d’ordinaire royauté celle des monarchies (ou gouvernement d’un seul) qui a en vue l’intérêt général. »
Si la communauté ne peut statuer entre plusieurs personnes exceptionnellement vertueuses, c’est à elles que le gouvernement doit être confié : c’est l’aristocratie.
« L’aristocratie est le gouvernement d’un petit nombre, mais non d’une seule personne, soit parce que les meilleurs ont le pouvoir, soit parce que leur pouvoir a pour objet le plus grand bien de la cité et de ses membres. »
Mais si tous les citoyens agissant ensemble sont plus vertueux que n’importe quel groupe, alors tous les citoyens devraient gouverner. C’est ce qu’Aristote appelle la République.
Chacun de ces gouvernements peut basculer et se mettre à poursuivre l’intérêt individuel plutôt que le bien commun. La royauté devient tyrannie, l’aristocratie en oligarchie et la République se transforme en démocratie (au sens de démagogie).
« Ces trois formes peuvent dégénérer : la royauté en tyrannie, l’aristocratie en oligarchie ; la république en démocratie. La tyrannie n’est en effet que la monarchie tournée à l’utilité du monarque ; l’oligarchie, à l’utilité des riches ; la démocratie, à l’utilité des pauvres : aucune des trois ne s’occupe de l’intérêt public. On peut encore dire un peu autrement que la tyrannie est le gouvernement despotique exercé par un homme sur un état ; que l’oligarchie s’entend du gouvernement des riches ; et la démocratie, de celui des pauvres ou des gens peu fortunés. »
Pour Aristote, la monarchie est en théorie la meilleure forme de gouvernement. Il admet cependant qu’une personne dotée d’une telle vertu se rapproche plus d’un dieu que d’un homme et que cette option n’est donc pas très réaliste. Il reconnaît également qu’une aristocratie rencontre le même genre de problème. Reste alors la politie, la République, à condition que soit représentée la classe moyenne, au contraire de la démocratie où seuls les plus démunis dirigent.
Le meilleur des régimes : la République, dominée par la classe moyenne
Le philosophe souligne qu’une foule est souvent plus vertueuse qu’un seul individu et produit une intelligence collective intéressante.
Si tel est le cas, pourquoi donc Aristote considère-t-il la démocratie comme un régime ‘déviant’ ? Malgré ses mérites théoriques, les conflits de classes y sapent la collaboration entre les citoyens et rend le système particulièrement instable. Au IVe siècle, un petit nombre d’Athéniens étaient bien plus riches que les autres, et ces inégalités ont provoqué de nombreux conflits. Lorsque que des membres des classes populaires ont pris le pouvoir, elles ont promis d’égaliser les règles du jeu et de taxer, voire de piller, les plus riches. Ces derniers ont alors abandonné la démocratie et voulu gouverner sans partage, renforçant le sentiment d’injustice général dans un cercle vicieux sans fin.
Pour Aristote, riches comme pauvres sont gouvernés par leurs appétits, plutôt que par la raison, et négligent le bien commun. Le désir de s’enrichir et le pouvoir corrompent les gouvernants, qui ne poursuivent alors que leurs intérêts matériels personnels.
Le philosophe préconise donc de déléguer le maximum de décisions possibles à la loi. Les règles sont ainsi fixées à l’avance et permettent de désamorcer les conflits politiques. Si nous savons que nos adversaires auront les mains liées par la loi lorsqu’ils arriveront au pouvoir, nous sommes plus susceptibles d’accepter leur domination, puisque nos droits ne peuvent être arbitrairement niés ou violés.
« Mais où les lois sont sans force, là fourmillent les démagogues. Le peuple y devient tyran. C’est un être composé de plusieurs têtes ; elles dominent, non chacune séparément, mais toutes ensemble. On ne sait si c’est de cette cohue ou du gouvernement alternatif et singulier de plusieurs dont parle Homère, quand il dit « qu’il n’est pas bon d’avoir plusieurs maîtres ». Quoi qu’il en soit, le peuple, ayant secoué le joug de la loi, veut seul gouverner, et devient despote. Son gouvernement ne diffère en rien de celui des tyrans. »
A Athènes, où les inégalités érodent la société, les meilleurs citoyens se trouvent selon Aristote parmi la classe moyenne : ni arrogants comme les riches, ni envieux comme les pauvres. Ils n’en veulent pas aux plus riches, et ne le sont eux-mêmes pas assez pour que les plus pauvres prennent la peine de comploter contre eux. Surtout, leurs intérêts sont alignés sur ceux de la polis : ils prospèrent lorsque la ville prospère, c’est pourquoi ils cherchent à préserver ses institutions. La République est alors possible.
« C‘est là où la classe moyenne est nombreuse qu’il y a le moins de factions et de dissensions parmi les citoyens. Et les grandes cités sont plus à l’abri des factions pour la même raison, parce que la classe moyenne y est nombreuse. »
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Selon Aristote, le meilleur des régimes est donc la République, une communauté politique fondée sur l’état de droit qui donnera du pouvoir à la classe moyenne. L’être humain, en tant qu’animal politique, vit au sein d’une communauté fondée sur la raison et la parole. La délibération politique et le débat sont donc nécessaire à l’amélioration des lois et au vivre-ensemble.