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De l’Esprit des Lois de Montesquieu


Publié le 14 juillet 2021. Mis à jour le 02 octobre 2024. 

Issu d’une famille de magistrats, Montesquieu est né en Gironde en 1769. Président du parlement de Guyenne, le jeune Montesquieu se passionne peu pour sa nouvelle fonction et préfère écrire. En 1721, il publie anonymement Les lettres persanes puis, après un long voyage à travers l’Europe, L’esprit des lois en 1748, dans lequel il analyse les principes du droit public et la valeur des lois. Il fonde ainsi une « philosophie du droit ».

Quel est le meilleur régime politique ? Grand admirateur du gouvernement britannique, Montesquieu affirme qu’une monarchie constitutionnelle serait le plus adapté pour la France. Les monarchies doivent être tempérées ; pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire doivent être séparés. Le Parlement vote les lois, le monarque les fait appliquer, et les tribunaux jugent celles et ceux qui ne les respectent pas. Selon l’auteur, ce n’est qu’ainsi qu’ordre et liberté s’accorderont de la meilleure des façons.

 

Qu’est-ce que ‘l’esprit des lois’ ?

Le monde est soumis à des lois générales que Montesquieu définit comme des rapports nécessaires dérivant de la nature des choses (animaux, hommes, Dieu, etc.). L’existence de ces lois assure la persistance du monde.

Avant l’établissement des sociétés, quatre lois naturelles régissent l’Homme : l’idée de Dieu, la nécessité de se nourrir, la volonté de se reproduire et le désir de vivre en société, même si cela l’effraie. Mais, comme être intelligent et libre, il peut violer les lois qui le caractérise. Avec l’entrée en société débute l’état de guerre : les hommes d’une même société perdent le sentiment de leur faiblesse et bataillent entre eux, de la même façon que les différentes nations.

Trois sortes de lois deviennent alors nécessaires :

  • Celles qui gouvernent les relations entre les peuples : le droit des gens ;
  • Celles qui régissent les rapports des gouvernants aux gouvernés : le droit politique ;
  • Celles qui régissent les rapports des citoyens entre eux : le droit civil.

Quel est le gouvernement le plus adapté à la nature de l’homme ? La grande diversité des peuples et des sociétés suppose une grande diversité de lois, et donc de régimes politiques : il y a peu de lois universelles, donc pas de régime universellement valable.

« Je n’écris point pour censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit ; chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes. Si je pouvais faire en sorte que tout le monde ait de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois ; qu’on put mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste ou l’on se trouve, je me croirais la plus heureux des mortels. »

Montesquieu ne cherche pas les « meilleures » lois du point de vue moral, mais les lois les plus efficaces, les plus adaptées à un régime politique donné ainsi qu’aux caractéristiques physiques du pays et aux mœurs des populations. L’ensemble de ces facteurs forme ce qu’il appelle « l’esprit des lois ».

 

Les divers régimes politiques et leur principe

Montesquieu distingue trois types de gouvernements :

  • La République dans laquelle « le peuple (ou une partie) a la souveraine puissance » ;
  • La monarchie dans laquelle « un seul gouverne, mais par des lois fixes » ;
  • Le despotisme dans lequel « un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et ses caprices ».
    République

Elle peut être une aristocratie (une partie du peuple est souveraine) ou une démocratie (le peuple entier est souverain). Le philosophe distingue ensuite démocratie directe et démocratie représentative. Le peuple doit pouvoir décider de tout ce qui est en son pouvoir, le reste est de compétence ministérielle. Dans une démocratie, le peuple est à la fois monarque (par ses suffrages) et sujet (par sa soumission aux règles édictées par les magistrats qu’il a élu). Dans ce type de gouvernement, les lois qui établissent le droit de suffrage sont donc fondamentales.

« Comme, dans un État libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative. Mais comme cela est impossible dans les grands États, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même. L’on connaît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes ; et on juge mieux de la capacité de ses voisins que de celle de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les membres du corps législatif soient tirés en général du corps de la nation ; mais il convient que, dans chaque lieu principal, les habitants se choisissent un représentant. »

Le principe de la démocratie est la vertu des citoyens : chacun doit accorder plus d’importance à l’intérêt général et à la nation qu’à son propre intérêt, votant donc pour des lois qui les pénaliseront personnellement.

« La démocratie la mieux organisée peut périr si elle n’a un principe intérieur d’action et de conservation qui est la vertu. Lorsque tous font les lois, les lois sont inutiles s’il n’y a pas de vertu publique ; car le peuple sait d’avance qu’il portera lui-même le poids des lois qu’il aura faites ; il les fera donc faciles, complaisantes, corruptrices. Et d’ailleurs qu’importe que le peuple, comme monarque, fasse des lois, si, comme sujet, il ne les exécute pas ? »

     Monarchie

Si la démocratie peut selon lui convenir à des petits Etats, Montesquieu voit dans la monarchie parlementaire le meilleur des régimes politiques, à l’image de l’Angleterre. Un seul homme gouverne mais l’existence des lois l’empêche d’être tout puissant. Il n’est pas régi par la vertu comme en démocratie, puisqu’il édite des lois auxquelles il n’est pas soumis, mais par l’honneur : le préjugé de chaque personne, indissoluble de l’esprit d’ambition, dangereux en république ou en despotisme mais bénéfique en monarchie.

« Il y a des gens qui avaient imaginé, dans quelques États en Europe, d’abolir toutes les justices des seigneurs. Ils ne voyaient pas qu’ils voulaient faire ce que le parlement d’Angleterre a fait. Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un État populaire, ou bien un État despotique. »

     Despotisme

Son principe est la crainte : le despote exige de ses sujets une obéissance totale et concentre à lui seul tous les pouvoirs. Tous sont égaux, car tous sont esclave d’un seul.

« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »

Une séparation souple des pouvoirs

Afin d’éviter que le monarque ne devienne despote, Montesquieu préconise de séparer les pouvoirs : le pouvoir législatif (faire et abroger la loi), le pouvoir exécutif (gouverner) et le pouvoir judiciaire (juger les hommes). Un gouvernement juste ne peut concentrer les trois entre les mains d’une seule et même personne. Une monarchie doit donc nécessairement fonctionner avec des pouvoirs intermédiaires subordonnés, détenus par la noblesse.

« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme. »

Le philosophe ajoute qu’il est nécessaire que « le pouvoir arrête le pouvoir » : pour éviter les abus, chaque pouvoir doit être encadré par un autre. Leur séparation est donc relative.

« Si la puissance législative laisse à l’exécutrice le droit d’emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n’y a plus de liberté, à moins qu’ils ne soient arrêtés pour répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale ; auquel cas ils sont réellement libres, puisqu’ils ne sont soumis qu’à la puissance de la loi. »

*

Cette limitation du pouvoir par le pouvoir semble aujourd’hui caractériser toutes les démocraties parlementaires occidentales. En France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, l’exécutif, le législatif et le judiciaire sont bien distincts. Mais là où les Etats-Unis disposent d’un système strict de « checks and balances », la plupart des systèmes européens accordent au Président une majorité parlementaire. Pouvoir législatif et exécutif sont liés. En France, on estime à 80% la proportion de lois à l’initiative de l’exécutif. 

Quel pourrait alors être un véritable contre-pouvoir au gouvernement majoritaire ?


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