De l’Esprit des Lois de Montesquieu


Montesquieu tente de déterminer quel est le meilleur régime politique dans son ouvrage majeur L’esprit des lois. Admirateur du gouvernement britannique, Montesquieu affirme que la monarchie constitutionnelle est le régime le plus adapté à un pays comme la France. En effet, pour lui, les monarchies doivent être tempérées. Il faut par exemple que le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire soient séparés : le parlement vote les lois, le monarque les fait appliquer et les tribunaux jugent ceux qui ne les respectent pas. Selon lui, dans ce type de gouvernement que l’ordre et la liberté s’accordent le mieux.

Qu’est-ce que l’esprit des lois ?

Dans nos sociétés, les événements sont soumis à des lois générales que Montesquieu définit comme des rapports nécessaires dérivant de la nature des choses (animaux, hommes, Dieu, etc.). L’existence de ces lois assure la persistance du monde.

Quatre lois naturelles régissent l’homme avant l’établissement des sociétés : il a l’idée de Dieu, il doit se nourrir, il veut se reproduire et il désire vivre en société même si cela l’effraie.

L’homme, en tant qu’être intelligent et libre, a toutefois le pouvoir de violer les lois qui le caractérise. Dès que l’homme entre en société, débute donc l’état de guerre : les hommes, à l’intérieur d’une même société, entrent en guerre entre eux, car chacun perd le sentiment de sa faiblesse ; de même, les nations entrent en guerre entre elles.

Pour cette raison, apparaissent des lois de trois sortes, deviennent nécessaires :

– celles qui gouvernent les relations entre les peuples : le droit des gens

– celles qui régissent les rapports des gouvernants aux gouvernés : le droit politique

– celles qui régissent les rapports des citoyens entre eux : le droit civil

Quel est le gouvernement le plus adapté à la nature de l’homme ? La diversité des peuples entraîne une grande diversité de lois et du coup un grand nombre de régimes politiques différents : il y a peu de lois universelles et donc pas de régime politique qui puisse être universellement valable.

 

« Je n’écris point pour censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit ; chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes. Si je pouvais faire en sorte que tout le monde ait de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois ; qu’on put mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste ou l’on se trouve, je me croirais la plus heureux des mortels. »

 

Montesquieu ne cherche pas les « meilleures » lois du point de vue moral, mais les lois les plus efficaces, celles qui sont les plus adaptées au régime politique voulu, aux caractéristiques physiques du pays, aux mœurs des populations. C’est l’ensemble de ces facteurs que Montesquieu appelle « esprit des lois ».

 

Les divers régimes politiques et leur principe

Montesquieu distingue trois types de gouvernements :

– la République dans laquelle « le peuple (ou une partie) a la souveraine puissance » ;

– la monarchie dans laquelle « un seul gouverne, mais par des lois fixes » ;

– le despotisme dans lequel « un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et ses caprices ».

 

La République est une aristocratie (une partie du peuple est souveraine) ou bien une démocratie (le peuple entier est souverain). Montesquieu distingue démocratie directe et démocratie représentative : selon lui le peuple doit décider de tout ce qui est en son pouvoir, le reste se faisant par ses ministres. Dans une démocratie, le peuple est à la fois monarque, par ses suffrages qui sont ses volontés et sujet car il doit se soumettre aux règles édictées par les magistrats qu’il a élus. Les lois qui établissent le droit de suffrage sont donc fondamentales dans ce gouvernement.

 

« Comme, dans un État libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative. Mais comme cela est impossible dans les grands États, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même. L’on connaît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes ; et on juge mieux de la capacité de ses voisins que de celle de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les membres du corps législatif soient tirés en général du corps de la nation ; mais il convient que, dans chaque lieu principal, les habitants se choisissent un représentant. »

Le principe essentiel de la démocratie, ce qui la fait agir, est la vertu des citoyens ; cela signifie que chacun doit accorder plus d’importance à l’intérêt général et à la nation qu’à son propre intérêt. Il faut que ceux qui votent aient assez de vertu pour voter des lois qui vont les pénaliser personnellement.

« La démocratie la mieux organisée peut périr si elle n’a un principe intérieur d’action et de conservation qui est la vertu. Lorsque tous font les lois, les lois sont inutiles s’il n’y a pas de vertu publique ; car le peuple sait d’avance qu’il portera lui-même le poids des lois qu’il aura faites ; il les fera donc faciles, complaisantes, corruptrices. Et d’ailleurs qu’importe que le peuple, comme monarque, fasse des lois, si, comme sujet, il ne les exécute pas ? »

 

La monarchie est pour Montesquieu le meilleur des régimes politiques, la démocratie lui semblant plus adaptée à des petits États. Il affirme à plusieurs reprises sa préférence pour la monarchie parlementaire, à l’image de ce qui existe en Angleterre.

Dans une monarchie, un seul homme gouverne mais il n’est pas tout puissant puisqu’il existe des lois bien établies.  Quant au principe de la monarchie, ce n’est pas la vertu puisque le monarque édite des lois auxquelles il n’est pas soumis, c’est l’honneur, c’est-à-dire le préjugé de chaque personne et de chaque condition, lié indissolublement à l’esprit d’ambition, dangereux dans une république ou un despotisme, mais bénéfique dans une monarchie. Il peut inspirer les plus belles actions. Et bien sûr l’honneur n’exclue pas forcément la vertu.

« Il y a des gens qui avaient imaginé, dans quelques États en Europe, d’abolir toutes les justices des seigneurs. Ils ne voyaient pas qu’ils voulaient faire ce que le parlement d’Angleterre a fait. Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un État populaire, ou bien un État despotique. »

 

Le despotisme a comme principe de gouvernement la crainte : le despote exige de ses sujets une obéissance extrême, il ne laisse aucun pouvoir à quiconque. Tous sont égaux car tous sont esclaves d’un seul.

« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »

 

Une séparation souple des pouvoirs

Selon Montesquieu, pour éviter que la monarchie ne devienne despotique, il convient de séparer les différents pouvoirs : le pouvoir législatif qu’il définit comme le pouvoir de faire et d’abroger la loi, le pouvoir exécutif ou le pouvoir de gouverner et le pouvoir judiciaire ou le pouvoir de juger les hommes. Ces trois pouvoirs ne doivent pas être concentrés entre les mains d’une seule et même personne, si l’on veut mettre en place un gouvernement juste.

Ce qui différencie monarchie et despotisme, ce sont les différents pouvoirs intermédiaires subordonnés : la noblesse. De ce fait, la noblesse est essentielle dans une monarchie. Grâce à elle, le pouvoir du roi ne sombre pas dans un despotisme.

« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme. »

Pour Montesquieu, le régime politique idéal est une monarchie parlementaire dans laquelle le parlement vote les lois, le pouvoir judiciaire juge les crimes et le gouvernement assure l’application de la loi. De plus, selon lui, il faut que le « pouvoir arrête le pouvoir » ce qui signifie que les différents pouvoirs ne doivent pas être strictement séparés : pour éviter les abus, chaque pouvoir doit être encadré par un autre pouvoir.

 

« Si la puissance législative laisse à l’exécutrice le droit d’emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n’y a plus de liberté, à moins qu’ils ne soient arrêtés pour répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale ; auquel cas ils sont réellement libres, puisqu’ils ne sont soumis qu’à la puissance de la loi. »

*

Cette limitation du pouvoir par le pouvoir semble aujourd’hui caractériser toutes les démocraties parlementaires occidentales. En France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, l’exécutif comme le législatif et le judiciaire sont bien distincts.

Et les États-Unis ont une séparation très stricte avec des systèmes de contre-pouvoir entre ces 3 pouvoirs.

A l’inverse, la plupart des systèmes européens sont comme notre Vème République : le pouvoir est un tout. Celui qui est président a aussi une majorité au Parlement et donc pouvoir législatif et pouvoir exécutif sont liés.

D’ailleurs, aujourd’hui en France, 80 % des lois sont à l’initiative du pouvoir exécutif, Montesquieu n’est sans doute plus d’actualité.

Mais il n’en reste pas moins que la notion de contre-pouvoir reste un sujet pour tous les démocrates. Qui peut vraiment être le contre-pouvoir d’un gouvernement majoritaire ? En France c’est dans la pratique la rue et les manifestations, dans d’autres pays ce sont les référendums citoyens.

 

Issu d’une famille de magistrats, Montesquieu est né en Gironde en 1769. Président du parlement de Guyenne, le jeune Montesquieu se passionne peu pour sa nouvelle fonction et préfère écrire des nouvelles et des essais. En 1721, il publie anonymement Les lettres persanes puis, après un long voyage à travers l’Europe, L’esprit des lois en 1748.

Le mérite de Montesquieu dans L’Esprit des Lois est d’avoir analysé les principes du droit public et la valeur des lois et ainsi d’avoir fondé « la philosophie du droit ».


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