Publié le 18 février 2023. Mis à jour le 16 octobre 2024.
« La démocratie participative », Revue Pouvoirs n°175, novembre 2020 (disponible en version numérique ici).
- « La démocratie participative au prisme de l’Histoire », par François Saint-Bonnet, professeur en histoire du droit à l’Université Paris II, spécialiste de l’histoire des libertés et des droits fondamentaux, l’histoire des doctrines politiques et juridiques et l’histoire du droit constitutionnel.
- « Le rejet du principe de représentation et l’impératif participatif. Fondements théoriques », par Blaise Bachofen, professeur à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, spécialiste de philosophie politique moderne et contemporaine.
- « De la démocratie participative, à la croisée des chemins », par Marc Crépon, philosophe et directeur de recherche au CNRS.
- « Contre la démocratie participative », par Pierre-Henri Tavoillot, philosophe et maître de conférences à la faculté des Lettres de Sorbonne Université.
Démocratie participative : pourquoi ce regain d’intérêt ?
La demande de plus de participation citoyenne n’est pas nouvelle. L’Histoire française regorge d’initiatives qui vont dans ce sens, populaires ou institutionnelles : le « Grand Conseil » des assemblées, les doléances des pétitionnaires, les assemblées électorales… Mais force est de constater que la démocratie n’a pas évolué dans ce sens. La participation est généralement cantonnée au processus électoral, et le lien entre représentant.es et représenté.es ne tient qu’à un fil.
Pendant longtemps, l’idée selon laquelle l’élu.e incarnerait son électorat a prédominé, légitimant le fait de penser, réfléchir et statuer à sa place. Mais de nombreux facteurs sociaux et politiques ont remis en cause ce principe. Le pouvoir politique prend des décisions qui impactent tous les aspects de la vie quotidienne ; mais ces décisions ne sont pas soumises à l’approbation de la population, qui est pourtant contrainte de les accepter. C’est le « paradoxe du politique », ce qui résulte en un pouvoir ressenti comme vertical et arbitraire, donc de plus en plus contesté. Pour y remédier, citoyens et citoyennes doivent être parties prenantes du processus décisionnel.
La démocratie participative apparait alors comme un moyen de pallier les mécomptes de la démocratie représentative sans pour autant la remplacer.
La participation doit être reconnue avant tout « comme l’objet d’un désir légitime, dont la satisfaction a pour enjeu la possibilité pour les institutions démocratiques de conserver leur crédibilité » (Marc Crépon).
La solution contre une défiance généralisée ?
De nos jours, la participation citoyenne se limite en France à des pétitions, des assemblées électorales ou à des plébiscites. Mais rien de tout cela n’a vraiment d’impact sur les décisions publiques. A défaut d’être écoutées par leurs dirigeant.es, certains et certaines se rassemblent dans des mouvements locaux et exigent plus de participation. Entre 2018 et 2020, le mouvement des « Gilets Jaunes » réunit des gens de tous horizons, traversant toutes les couches sociales et toutes les générations. Il se caractérise par une défiance affirmée face à toute récupération politique, délégation de la parole, porte-drapeau, et même face aux médias, jugés complices des élites politiques.
D’un autre côté, la crise du Covid-19, survenue juste après, a montré le besoin qu’a la population d’être protégée par un Etat fort, capable d’agir rapidement et de prendre des décisions drastiques.
Ces crises ont mis en lumière une double défiance. D’un côté, la démos (le peuple) reproche à l’Etat son impuissance ; de l’autre, le cratos (le pouvoir) suspecte le peuple d’avoir perdu le sens de l’intérêt général. Le risque est la perte totale de confiance de l’un envers l’autre, et la croyance en une trahison imminente. Chacun doit faire un pas vers l’autre avant que la démocratie représentative ne cède la place au populisme voire à l’autoritarisme.
Le populisme, fausse réponse à la crise de la représentativité
Le populisme met en scène une sorte de communion émotionnelle entre un leader charismatique et son « peuple » fantasmé, en particulier la classe moyenne. Ce type de discours rend inutile la participation, puisque les désirs du peuple et de son ou sa chef.fe seraient les mêmes. Dans les faits, les chercheurs rappellent que le populisme, loin de pousser à plus de participation citoyenne, crée plus de verticalité dans l’exercice du pouvoir.
De cela naît un phénomène que l’on peut appeler « démophobie », c’est-à-dire l’idée que le « peuple » est mal informé, ignorant, prisonnier des héritages idéologiques du passé et donc qu’il doit être guidé et non consulté.
Les fondateurs de la démocratie représentative moderne considéraient la participation directe incompatible avec la taille de la population et la liberté des individus. Les nouvelles technologies d’information et de communication pallient désormais au problème numéraire. Il reste vrai que la volonté de participation populaire remet en question le droit des personnes de se détourner de la chose publique pour se concentrer uniquement à leurs affaires privées. Mais le corolaire de cette liberté est la professionnalisation de la politique, monopolisée par celles et ceux qui disposent des ressources nécessaires.
La participation, pour qui et pour quoi ?
Mettre en place une démocratie participative, ou au moins certains de ses outils, implique de s’interroger sur plusieurs notions, notamment celle du peuple. Les pères fondateurs de la démocratie (Sièyes, Hamilton, Madison…) lui donnaient trois sens : la société (la totalité des individus), l’état (ces individus qui veulent de manière durable vivre ensemble) et l’opinion publique ( le débat entre les individus). Pierre-Henri Tavoillot ajoute que, puisque chacun aspire secrètement à la fin des deux autres, il est nécessaire d’ajouter un quatrième sens, celui du « peuple-méthode » qui désigne une « capacité collective d’agir », les « règles du jeu », permettant aux trois autres de collaborer.
Il faut ensuite poser la question : participer oui, mais à quoi ?
Premièrement : l’élection. Cette institution est fragilisée par des taux d’abstention de plus en plus élevés, et ne permet de toute façon pas au peuple de prendre des décisions mais seulement de donner le pouvoir à une personne ou un groupe.
Deuxièmement : la délibération. Elle se limite aujourd’hui à quelques sondages délibératifs. Pour impulser une dynamique citoyenne durable, elle ne doit pas reposer sur la seule volonté individuelle. Une solution serait de créer une troisième chambre au Parlement, instance citoyenne de délibération ; or cela est très couteux et demande des efforts logistiques massifs.
Troisièmement : la décision. Les budgets participatifs sont un bon exemple de dispositifs permettant aux citoyens et citoyennes de prendre part à la décision publique. Mais ils sont aujourd’hui limités à des projets ponctuels à la réalisation immédiate, sans vision locale et d’évaluation de long terme.
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Mais le majeur problème de la démocratie participative est sans doute le fait qu’elle serait réservée à celles et ceux qui auraient le temps et les moyens de s’y investir. Elle pose aussi le problème de la responsabilité : si tout le monde contribue à la prise de décision, qui sera responsable des mauvaises ?