La Démocratie Participative et ses Limites


Ici, les auteurs apportent chacun leur tour leur vision de la démocratie participative et mettent en garde contre ses conséquences négatives si l’idéal prend le dessus sur le réel. Alors qu’elle est parfois présentée comme la solution miracle de la crise de la représentativité, celle-ci nécessite une réflexion plus profonde pour le devenir.

L’histoire de la participation en France n’est pas nouvelle et nous trouvons dans l’histoire des traces d’une volonté participative sous la forme d’institutions ou d’usages. Le “Grand Conseil” des assemblées, les doléances des pétitionnaires, les assemblées électorales, en sont des exemples. Cependant, ces formes ont disparu et la démocratie politique a progressé aux dépens de la participation effective des individus. Au sein des démocraties représentatives contemporaines, cette participation est cantonnée au processus électoral, seule période où l’avis des citoyens est pris en compte, ou du moins celle de la majorité. La représentation s’effectue en silence, loin de la réalité sociale et des réels besoins, ce qui rend participe à l’affaiblissement du lien représentatif.

Il existe un “paradoxe du politique” qui explique la fragilité grandissante de la démocratie représentative. Ce dernier s’explique pour les auteurs de la manière suivante : le pouvoir politique prend des décisions et cela dans tous les domaines de vie. Mais ces décisions ne sont pas soumises à l’approbation des citoyens qui se voient eux contraint de les accepter. Rejeté du processus décisionnel et sous le poids de dirigeants si éloignés de la réalité, ces derniers ne peuvent que ressentir le pouvoir qui s’exerce sur eux comme vertical et arbitraire et donc le rejeter. Pourtant les représentants ne peuvent arrêter de prendre des décisions à la place du peuple, c’est leur mission ! Pour remédier à ce paradoxe, il serait nécessaire d’introduire les citoyens dans le processus décisionnel.

Pendant longtemps, la démocratie représentative était couverte par un dogme selon lequel l’élu incarnerait ses électeurs, en ce qu’il pense, réfléchit, veut et décide comme eux. Loin de l’idéal démocratique, de nombreux facteurs sociaux et politiques ont remis en cause ce mode de représentation tels que la mondialisation, la crise de la représentativité ou encore le repli individualiste. La démocratie participative est alors pensée comme un moyen de pallier les mécomptes de la démocratie représentative sans pour autant la remplacer. Pour cela il s’agirait de mettre en place des instances de participation permettant aux citoyens volontaires d’intégrer le processus décisionnel.

La participation doit être reconnue avant tout « comme l’objet d’un désir légitime, dont la satisfaction a pour enjeu la possibilité pour les institutions démocratiques de conserver leur crédibilité ».

 

Démocratie participative contre une défiance généralisée ?

De nos jours, la démocratie participative en France se limite à des pétitions, des assemblées électorales ou des plébiscites. Néanmoins, aucune de ses formes n’amène réellement à un impact sur les décisions publiques de la part des citoyens. A défaut d’avoir des formes de participations effectives, il existe un réel désir de participation et d’écoute qui se manifeste à travers les sociétés contemporaines. Récemment, entre 2018 et 2020, des mouvements de contestation ont émergé en marge des partis et des syndicats pour exprimer le manque d’écoute ressenti à l’égard des représentants. Le mouvement des “Gilets Jaunes” par exemple, a montré une force des groupes citoyens qui a traversé toutes les couches de la population et toutes ses générations. Il a également été caractérisé par une défiance partagée à l’égard de toute forme de délégation de parole et ce même envers les médias jugées comme complices des élites politiques.

A l’inverse de cette soif de participation illustrée par les « Gilets Jaunes », la crise du coronavirus a montré le besoin d’être protégée et gouvernée par un super leader.

Ces crises ont mis en lumière une double défiance, d’un côté le démos (le peuple) reproche à l’état son impuissance et de l’autre, le cratos (le pouvoir) suspecte le peuple d’avoir perdu le sens de l’intérêt général. Le risque ici est la dérive vers la défiance, qui signifie le manque totale de confiance et la croyance d’une trahison imminente. Chacun doit faire un pas vers l’autre avant que la démocratie représentative ne soit contrainte de laisser place au populisme.

 

Le populisme, fausse solution contre la crise de la représentativité

Le populisme, permet une forme de « participation », celle d’un leader charismatique qui partage les émotions des citoyens et en particulier ceux de la classe populaire moyenne. Ce type de discours politique pourrait venir inverser ou renverser la volonté de la participation, celle-ci s’avèrerait ici inutile au vu de la synchronisation entre citoyens et représentants. Les auteurs rappellent que le populisme n’apporte aucun changement en ce qui concerne la représentativité du peuple, il vient même crée une verticalité plus forte.

De la part de cette verticalité gouvernementale surgit une réelle « démophobie », c’est-à-dire la pensée que les gouvernés requièrent d’être éclairés, guidés et non consultés. Les élites politiques voient à travers le peuple des citoyens mal informés, ignorants et prisonniers des héritages idéologiques du passé. Derrière ce caractère réducteur des citoyens, qui empêche la démocratie participative de pouvoir s’accrocher, se trouve une horizontalité d’individus à la recherche constant d’une écoute.

Les fondateurs de nos systèmes modernes pensaient la démocratie participative incompatible avec le mode représentatif due à la taille des populations et aux manques de moyens pour relayer l’information. Cependant, ces facteurs ont été effacés par les nouvelles technologies de communication citoyenne. D’autres contraintes se posent à la démocratie participative dont un côté « liberticide » qui ne respecterait pas la liberté des Modernes de se consacrer à leurs occupations privées mais aussi le risque constant d’usurpation du nom du peuple par une majorité tyrannique ou par des minorités actives. Le risque est que la professionnalisation de la participation laisse place à des citoyens au capital culturel plus important, disposant de plus de temps et de ressources, des citoyens qui ne représentent pas le peuple et surtout la classe moyenne qui est en manque cruciale d’écoute.

 

La participation, pour qui et pour quoi ?

La forme de démocratie étudiée ici amène à s’interroger sur plusieurs notions, d’abord celle du peuple qui y est au premier plan. Les pères fondateurs des démocraties modernes, Sièyes, Hamilton et Madison, nous éclaircissent sur le sujet en lui donnant trois sens : la société (la totalité des individus), l’état (ces individus qui veulent de manière durable vivre ensemble) et l’opinion publique ( le débat entre les individus). Pierre-Henri Tavoillot ajoute que, puisque chacune d’entre elle aspire secrètement à la fin des deux autres, il est nécessaire d’ajouter un quatrième sens, celui du peuple- méthode qui désigne une « capacité collective d’agir », les « règles du jeu », permettant aux trois autres de collaborer.

La question de « participation à quoi » est également cruciale pour comprendre la démocratie participative et l’envisager.

Premièrement, l’élection. Avec un taux d’abstention de plus en plus fort, l’élection qui est le minimum minimorum de la démocratie représentative se voit fragilisée. Ici, il est important de souligner que le but de l’élection n’est pas de donner du pouvoir au peuple mais de donner l’occasion au peuple de donner le pouvoir. La démocratie représentative s’affiche alors comme déjà participative bien que pas assez et efficace seulement pour la majorité.

Deuxièmement, la délibération, illustrée pas les sondages délibératifs, requiert une participation durable et constante qui, si elle repose sur la bonne volonté des citoyens, court à sa perte. De plus, créer une instance citoyenne pour la délibération, une sorte de clone du Parlement, demanderait des efforts logistiques massifs qui risquent de subir le même essoufflement que les institutions classiques.

Troisièmement, la décision. C’est à travers les budgets participatifs où s’exerce le mieux la décision des citoyens. Néanmoins, cela restent des dispositifs privilégiant des projets ponctuels, restreints, à une réalisation immédiate, sans impact sur le long terme et sans vision globale.

Enfin, la reddition des comptes qui prend forme avec le recall, le référendum révocatoire, est vu comme une tentative de saper le cratos du démos en créant une « représentation bis »

 

La démocratie participative installe également une dictature, celle de « ceux-qui-ont-le-temps » et les moyens. Elle pose également le problème de la responsabilité, car si tous les citoyens contribuent à la prise de décisions, qui sera responsable des mauvaises ?

 

La démocratie participative, chapitre 1 à 4, B. Bachofen, M. Crépon, F. Saint-Bonnet, P-H. Tavoillot, éditions Seuils.

François Saint-Bonnet est professeur en histoire du droit à l’Université Paris II. Il est spécialisé dans l’histoire des libertés et des droits fondamentaux, l’histoire des doctrines politiques et juridiques et l’histoire du droit constitutionnel.

Blaise Bachofen est professeur à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Il est spécialisé en philosophie politique moderne et contemporaine.

Marc Crépon est directeur de recherche au CNRS. Il est spécialisé en philosophie.

Pierre-Henri Tavoillot est maitre de conférences à la faculté des Lettres de Sorbonne Université. Il est spécialisé en philosophie.


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