Accueil > Analyses et Enjeux > Référendum et Assemblées Citoyennes

Référendum et Assemblées Citoyennes


Publié le 18 février 2022. Mis à jour le 14 octobre 2024. 

« La démocratie participative », Revue Pouvoirs n°175, novembre 2020 (disponible en version numérique ici). 

  • « Le référendum, angle mort du républicanisme à la française », par Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel et administratif à la Faculté de droit de l’Université Laval ;
  • « Assemblée citoyenne et référendum : quelques exemples étrangers à méditer », par Marthe Fatin-Rouge Stefanini, juriste spécialisée en droit comparé sur les questions de justice constitutionnelle et de référendum.

Patrick Taillon et Marthe Fatin-Rouge Stefanini choisissent, dans ces deux articles, de mettre en avant le référendum et l’assemblée citoyenne, deux outils qui permettent aux citoyens et citoyennes de prendre part, à différents degrés, au processus décisionnel politique.

 

Le référendum

L’idéal républicain place le bien commun au centre de la fonction gouvernementale. L’intérêt général doit s’appuyer sur la liberté et la participation politique d’un peuple ou d’une nation souveraine. Le référendum, routinisé en Suisse, aux États-Unis, en Irlande, mais aussi en Italie et en Allemagne au niveau régional, est un outil de cette souveraineté nationale.

« (Le référendum) permet de mobiliser les citoyens dans la recherche du bien commun, de l’intérêt général ou de la res publica tout en leur donnant l’opportunité de participer directement à l’élaboration de lois dont ils sont les destinataires. » (Patrick Taillon) 

En France cependant, pourtant fortement attaché aux valeurs républicaines, les élites politiques restent historiquement méfiantes de la pratique référendaire.

Une pratique contestée en France

A partir du XVIIIème siècle, en France et aux États-Unis, les populations commencent à réclamer plus de liberté publique ainsi qu’un droit de participation politique. La souveraineté des Etats doit donc être repensée dans le but d’assurer directement ou indirectement cette participation. Mais la Révolution française et l’époque napoléonienne démontre comment le référendum peut être instrumentalisé pour devenir un outil de plébiscite, d’adoubement d’un chef politique aux pouvoirs démesurés. La « démocratie référendaire » devient alors synonyme d’imprévisibilité et d’instabilité.

Charles de Gaulle est la seule véritable exception à cette méfiance généralisée : il est à l’origine de neuf scrutins référendaires et considérait le référendum comme essentiel au processus de transition institutionnelle ainsi qu’au futur de la Vème République. L’Histoire démontre que sa vision ne s’est pas imposée. La pratique référendaire n’a fait que s’affaiblir depuis bien que, formellement, elle ait connu deux élargissements majeurs. 

Un outil constitutionnel mais impossible

Le référendum d’initiative partagée, adopté en 2008, permet de lancer une proposition de loi référendaire à conditions de réunir le soutien d’un cinquième des parlementaires et d’un dixième de l’électorat. Néanmoins, ce seuil est trop élevé pour que ce type de scrutin soit un jour mis en œuvre. De plus, les contrôles juridictionnels et autres procédures contraignantes démontrent la volonté du pouvoir de restreindre les conséquences des modalités référendaires.

« L’opposition à la démocratie référendaire est moins frontale puisque cette voie figure officiellement dans la Constitution, mais elle persiste néanmoins et se renforce sous l’effet de nouveaux clivages et de formes contemporaines de polarisation idéologique. » (Patrick Taillon) 

En France, le référendum garde cependant des adeptes qui se trouvent notamment au sein des mouvements politiques alternatifs (mal représentés au niveau national) qui, face à la crise de la représentativité actuelle, le considèrent comme un instrument de changement intéressant.

« (…) à une époque où se combinent crise de la représentation, désir d’influence des citoyens sur les décisions qui les concernent, accès facilité à l’information et à la communication de masse, volonté de contrôle des actions des élus, l’absence d’une procédure référendaire pouvant être déclenchée par les citoyens révèle les dimensions archaïque, déconnecté du peuple et inadaptée des institutions françaises, du moins sur ce point. » (Marthe Fatin-Rouge Stefanini)

La pratique référendaire possède néanmoins des carences, notamment au niveau délibératif. A ce sujet, Dominique Rousseau explique que « la délibération favorise l’élévation de la conscience, le référendum conduit à son abaissement » : le référendum tel que proposé ici n’est qu’un vote, et non un débat et un partage d’information. De plus, la loi proposée ne peut pas être modifiée. Son efficacité, comme moyen d’action citoyenne dans le processus décisionnel, peut alors être discutée.

 

Les assemblées citoyennes comme mode alternatif aux référendums

Les assemblées citoyennes sont des réunions de citoyens et citoyennes (volontaires ou tiré.es au sort), en théorie plus représentatives de la population. On les retrouve également sous les noms de « panel citoyen », « jury citoyen », ou « mini public ».

« Leur rôle est de délibérer sur un ou plusieurs thèmes, dans un délai déterminé, après avoir reçu une formation et des renseignements appropriés, et procédé à des auditions d’experts ou de personnalités intéressées par les sujets mis en débat. » (Marthe Fatin-Rouge Stefanini)

Leur but est de compenser le déficit de délibération des démocraties représentatives et de répondre aux demandes de participation. Puisant leurs origines dans la démocratie athénienne, les assemblées citoyennes sont présentées comme le retour à l’idéal démocratique et cherchent à redonner de la légitimité aux décisions politiques, par la délibération de tous et toutes.

Exemple de l’Islande

Après la crise financière et économique de 2008, le pays a souhaité regagner la confiance de sa population, en l’associant au processus de révision constitutionnel. Citoyens et citoyennes ont donc eu la possibilité de délibérer, faire des propositions et intervenir dans la phase d’approbation de cette réforme. Des forums locaux ont d’abord été organisés par des collectifs citoyens, puis se sont tenus des forums nationaux de 950 personnes, dont une partie était tirée au sort et l’autre composée de personnalités invitées. A la suite des débats, une assemblée constituante citoyenne de 25 personnes a examiné chaque suggestion, et a rédigé un projet de Constitution. Celui-ci a ensuite été soumis à un référendum approuvé par 66% des votant.es. 

Malheureusement, due à une procédure de double validation par l’assemblée parlementaire et le renouvellement de celle-ci, qui n’a pas approuvé le texte, les réformes proposées par l’assemblée constituante citoyenne n’ont pas été prise en compte. Cette expérience pourtant prometteuse mais finalement mise en échec illustre la confrontation qui existe entre démocratie représentative et démocratie délibérative.

 

Combiner assemblée citoyenne et procédure référendaire

Ajouter une période de délibération avant chaque référendum permettrait de clarifier les enjeux et neutraliser les conséquences néfastes des scrutins référendaires. Elle a été utilisée en Irlande sur la question de l’avortement, qui divise le pays. Une assemblée de cent citoyens et citoyennes, présidée par une juge de la Cour suprême a permis d’aboutir à un consensus majoritaire : l’assemblée citoyenne s’est prononcée à 64% en faveur de la légalisation de l’avortement, et le référendum a conclu sur le même résultat (66%). Il est alors possible de s’imaginer que le mini-public a su représenter l’entièreté de la population, même si cela n’est pas prouvable.

Ce processus permettrait de « responsabiliser les citoyens et de remédier aux deux principales faiblesses de la démocratie référendaire, c’est-à-dire le sentiment d’incompétence que ressentent beaucoup d’électeurs et le taux élevé des abstentions. » (Francis Hamon)


Retour en haut