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Référendum contre Discrimination


Par Raul Magni-Berton, professeur de science politique à l’IEP de Grenoble. 

Publié le 13 février 2021. Mis à jour le 25 septembre 2024. 

 

Ou comment les populations mal représentées soutiennent la pratique du référendum et y participent plus qu’aux autres élections.

L’abstention est-elle vraiment un problème en démocratie ?

La question se pose : après tout, le vote en France est un droit, et les gens sont tout à fait libres de ne pas y recourir. Cependant, lorsque ce sont toujours les mêmes populations qui s’abstiennent (aujourd’hui les jeunes, les catégories peu éduquées et les minorités), un problème majeur survient : moins elles votent, moins les candidats sont incités à défendre leurs intérêts pour obtenir leur vote. Ainsi, par exemple, beaucoup d’avancées concernant le droit des femmes n’ont eu lieu non pas au moment où elles ont obtenu le droit de vote, mais plus tard, lorsqu’elles ont commencé à se rendre aux urnes aussi souvent que les hommes.

D’autre part, l’abstention semble s’accroître en fonction du nombre d’élections : plus elles sont nombreuses et moins les gens se déplacent pour voter. C’est le cas en Suisse et dans plusieurs états américains où les électeurs sont appelés à voter plusieurs fois par an, si bien que la participation moyenne aux référendums n’y dépasse guère les 40%. Cela ne pose pas de problème si les votants constituent un échantillon représentatif des inscrits qui s’intéressent au sujet sur lequel on les convoque (ce qui est le cas en Suisse). Mais, si la participation électorale présente des biais importants, une minorité déjà avantagée pourrait être conduite à dicter la politique d’un pays.

Il s’avère effectivement que ces biais systématiques dans la participation électorale sont moins observés dans les référendums. En effet, lorsque l’on vote pour des représentants, l’identité des candidats est importante ; et si ceux-ci sont en large majorité des hommes blancs âgés, les femmes, les minorités ethniques et les jeunes ne s’identifieront pas à eux et n’iront pas voter.

Cette idée s’appuie sur de nombreuses observations, parmi lesquelles le fait que les quotas de femmes parmi les candidats ont accru la participation électorale des femmes et que, aux Etats-Unis, les sénateurs tendent à être plus attentifs au sort de leur groupe ethnique qu’à celui des gens qui leur sont proches idéologiquement. Ce dernier fait suggère non seulement que les minorités ethniques votent moins lorsque les candidats sont issus de l’ethnie majoritaire, mais aussi qu’ils n’ont pas tort de s’abstenir de voter. Quoi qu’il en soit, le référendum portant sur des propositions de loi, et non sur des personnes, réduirait de ce fait les biais de représentation chez les abstentionnistes.

 

La démocratie directe augmente l’implication des minorités

Une étude récente de Jeong Hyun Kim* prouve ce mécanisme de façon convaincante, au moins en ce qui concerne la participation des femmes. La politiste s’est plongée dans les archives suédoises du début du XXème siècle, juste après l’obtention du suffrage universel masculin et féminin en 1921. Les municipalités suédoises sont alors gouvernées avec les instruments de démocratie directe : des référendums réguliers mais avec suffrage censitaire. Seule la partie la plus riche de la population peut voter. En 1921, une nouvelle coalition gouvernementale, formée de socialistes et libéraux, impose le suffrage universel, mais, en même temps, organise une transition forcée vers la démocratie représentative dans les communes. Nombre d’entre elles se révoltent contre cette décision, si bien que le gouvernement ne valide sa réforme que dans les villes de plus de 1500 habitants et laisse le choix aux autres. 88% d’entre elles gardent leurs procédures de démocratie directe.

A l’époque, les femmes sont une population marginalisée de la sphère publique. Lorsqu’elles obtiennent le droit de vote, comme partout dans le monde, leur taux d’abstention est bien plus élevé que celui des hommes. En Suède cependant, il est facile de comparer les communes aux élections strictement représentatives avec celles qui les couplent à la pratique régulière du référendum. De plus, entre 1921 et 1944, les communes suédoises comptent séparément les votes des femmes et ceux des hommes, une information rarement disponible qui rend aisé le calcul des taux d’abstention selon le genre.

Ces précieuses informations permettent de répondre à deux questions : est-ce vrai que les femmes s’abstenaient moins dans les référendums que lors des élections ? Si oui, est-ce que l’existence de référendums les conduit à s’investir davantage dans les élections représentatives et l’activité militante en général ? La réponse est simple : oui, l’écart d’abstention entre femmes et hommes était nettement plus faible lors des référendums. Mais non, cela ne rendait pas les femmes plus impliquées dans la vie publique en général, et elles continuaient à s’abstenir lors des élections des représentants tout autant dans les villes avec référendum que dans les villes qui n’en avaient pas.

Première conséquence de ce résultat : le référendum est moins discriminatoire que l’élection. Cela permet d’expliquer pourquoi, partout dans le monde, les minorités les plus désavantagées soutiennent fortement l’usage régulier de référendums alors que, par définition, dans les référendums on ne gagne que si on est majoritaire. En réalité, leur impact sur une élection peut être encore moindre, compte tenu des effets discriminatoires qu’elle engendre. Le fait de voter sur un seul sujet crée une majorité ad hoc ; un membre d’une minorité peut donc faire partie de la majorité lors d’un référendum.

Deuxième conséquence : le référendum, bien qu’il produise une plus grande connaissance au sein de la population sur des sujets de société, n’entraînait pas plus d’implication, ni de participation électorale, dans le système représentatif. Et si les hommes votaient beaucoup plus que les femmes dans les communes régies par un système représentatif, l’écart était considérablement réduit là où il y avait démocratie directe. On peut interpréter ce résultat très simplement : nous savons que les candidatures féminines aux élections ont considérablement accru la participation électorale des femmes. Or, lorsque les femmes ont obtenu le droit de vote, les candidats étaient encore largement masculins, et cela décourageait les femmes de se rendre aux urnes. En revanche, lorsqu’il y a référendum, il n’y a plus de candidats, mais simplement des sujets de vote. Dès lors, l’implication des femmes était naturellement plus élevée.

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Comme dans le cas des femmes, les catégories marginalisées pourraient être plus motivées à voter lors de référendums que lors d’élections où elles ne sont pas représentées parmi les candidats. Cela expliquerait que ces populations, bien que souvent minoritaires, soutiennent fortement la démocratie directe.

 

*Kim, Jeong Hyun, “Direct Democracy and Women’s Political Engagement” in American Journal of Political Science, 2019.


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