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Le numérique au service de la démocratie participative


Publié le 26 février 2023. Mis à jour le 22 octobre 2024.

Sous la direction de David Autissier, Démocratie participative digitale. Angoulême expérimente les projets participatifs digitaux, éditions EMS Management et société, 2019

Jean-Marie Peretti est professeur et chercheur en ressources humaines ; il enseigne actuellement à l’ESSEC et à l’université de Corse. Il est Président de l’Institut International d’Audit Social (IAS) et Directeur de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Corse. Il est également rédacteur en chef de « Question(s) de Management ».
Soufyane Frimousse est Président de la commission « Audit social au Maghreb » de l’IAS. Il est également maître de conférences, docteur et habilité à diriger des recherches en Sciences de Gestion à l’Université de Corse et l’Université de Montpellier 3. Il est par ailleurs chercheur associé à l’Essec Business School de Paris et rédacteur en chef adjoint de la revue « Question(s) de Management ».

Pour faire face à la crise de la représentation, la participation citoyenne est une solution curieusement peu envisagée. Mais la tendance peut peut-être s’inverser, car les études s’additionnent et les pratiques se multiplient à l’échelle locale. « Entre fantasmes idéologiques et réalités sociales », cet ouvrage propose ainsi d’évaluer l’utilisation d’outils digitaux dans le processus participatif de la ville d’Angoulême, par onze études de cas menées sur deux ans.

 

L’outil digital

Les auteurs définissent la « démocratie participative digitale » comme « l’utilisation de la technologie digitale pour les actes citoyens ». La « technologie digitale » serait la « mobilisation d’applications informatiques portables ».

L’outil digital répondrait à plusieurs objectifs :

  • « Renouveler les processus de concertation et contribution citoyenne » ;
  • « Attirer de nouveaux publics » (jeunes, quartiers prioritaires, agents municipaux, commerçant.es) ;
  • La transparence des concertations ;
  • L’attribution d’un rôle de coproduction aux citoyens.

Les auteurs notent la volonté, chez les citoyens et citoyennes, de participer activement à la vie en communauté, à l’échelle du quartier ou de la ville, et ce malgré un leur perte de confiance dans les institutions publiques.

 

Les méthodes de participation

Avant même le développement des technologies numériques, la participation publique est considérée à Angoulême comme un moyen de légitimer les décisions de la municipalité. Elle permet également d’inciter les individus à agir, pour une cause ou un projet (théorie de l’engagement).

Les outils digitaux soulèvent deux enjeux particuliers : la manière de participer le degré de participation en plusieurs étapes : information, consultation, collaboration, délégation de pouvoir aux citoyens) et la question des acteurs (publics, économiques, académiques (chercheurs, universitaires…), citoyens et citoyennes). Le numérique comme dispositif participatif provoque des réactions mitigées : une partie y voit un outil d’exclusion et de favoritisme, l’autre le pense bénéfique à l’expression et le dialogue, surtout dans un contexte d’abstention.

Il faut toutefois noter que quelques expériences participatives non digitales ont eu lieu dans de nombreuses villes, comme New York, Montréal ou encore Amsterdam. Cette dernière a développé, avec succès, une zone d’expérimentation de l’économie circulaire et d’auto-constructions. Le digital n’est donc pas toujours un prérequis à la participation et la délibération citoyenne.

 

La Civic tech : un outil digital au service de la participation

La Civic tech est présentée comme « l’usage de la technologie dans le but de renforcer le lien démocratique. Elle englobe toute technologie permettant d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique, ou de rendre le gouvernement plus accessible, efficient et efficace. » En d’autres termes, ce sont des outils numériques de prise de décision collective. Ils permettraient un gain de temps et des économies matérielles importantes. Ils seraient développés principalement des start-uppers, des entrepreneurs et entrepreneuses, des sociétés de communication, des éditeurs de logiciels ou encore des intégrateurs et intégratrices.

La Civic tech répond à plusieurs enjeux :

  • Le renforcement de la transparence de l’action publique ;
  • La valorisation du travail de la collectivité ;
  • L’amélioration de l’adhésion des citoyens aux décisions ;
  • La mobilisation de publics qui ne participent pas actuellement ;
  • L’amélioration de la qualité des décisions grâce au bénéfice de l’expertise des citoyens ;
  • Le renforcement de l’efficacité de l’action publique ;
  • L’évaluation de l’action publique.

Dans l’ensemble, ces outils digitaux seraient bien accueillis par les institutions et autres structures : selon la Knight Foundation, le nombre d’acteurs de la Civic tech aurait augmenté de 23% entre 2008 et 2013, à l’échelle mondiale.

Les collectivités publiques utilisent les Civic tech pour remplir plusieurs objectifs. Tout d’abord, elles simplifient les démarches administratives et permettent la diffusion à grande échelle d’informations utiles à la collectivité, autant pour sa population que pour sa gouvernance, qui souhaiterait organiser et développer de nouveaux services. Ensuite, elles permettent, comme nous l’avons vu, une plus grande participation citoyenne. Enfin, elles facilitent la prise de décision et le lancement de nouvelles actions, de manière immédiate ou différée.

Pour les pouvoirs publics comme pour la société civile, la Civic tech se révèle donc pour l’instant très utile. De plus, elle organisent l’action locale, facilitent l’émergence d’idées et communique sur les besoins matériels, financiers et humains des différents projets.

Afin d’illustrer l’impact de cet outil digital sur la vie publique, l’ouvrage dresse une liste exhaustive des « propositions de valeur civique » (actions entreprises par les collectivités) réalisées grâce à la Civic tech. Parmi ces réalisations, figurent des plateformes de publications de données ouvertes (Open Data), des outils de collecte publique, des forums de voisinage et civiques, des services d’alerte (notification au sujet du territoire à destination des résidents), l’idéation (partage des idées d’innovation), la décision collective (correspondant aux attentes des citoyens)…

Emily Metais-Wiersch explique le fonctionnement des Civic tech en dressant une frise d’implication citoyenne dans la collectivité :

  • Prendre connaissance (sondages ; présentation de projets…) ;
  • Commenter (réponse rapide) ;
  • Participer (réponse développée, argumentée) ;
  • Voter (présenter et défendre ses idées) ;
  • Proposer (présenter un projet structuré) ;
  • Entériner (vote et allocation du budget) ;
  • Apporter des ressources (mobilisation et gestion des moyens)

La réussite de ce processus dépend en grande partie de son encadrement par un « community manager » ; de la prise en main de la Civic tech ; de l’implication de la collectivité tout au long du processus (informations, ressources humaines et matérielles).

 

Quelques applications des pratiques digitales

Les budgets participatifs, venus du Brésil (Porto Alegre) et répandus en France depuis 2014, se digitalisent de plus en plus. En moyenne, 5% du budget est négocié via cette méthode, allant même jusqu’à 15% dans certaines collectivités.

Cependant, la majorité des collectivités aux actions participatives digitales sont doublées de réunions présentielles. Le digital ne semble donc pas remplacer la démocratie représentative, mais plutôt l’assister. En ce sens, l’Open Data (ouverture publiques de données) est un indicateur de l’utilisation et de la diffusion des Civic tech. L’ouvrage répertorie dix pays rendant accessibles publiquement entre 67% et 90% de leur données : Taïwan, l’Australie, la Grande Bretagne, la France, la Finlande, le Canada, la Norvège, a Nouvelle-Zélande, le Brésil et l’Irlande du nord

En France, les plateformes de Data ouvertes sont répandues, comme à Bordeaux, Lyon, Toulouse, Poitiers, en Région Ile-de-France ou dans le Nord-Pas-de-Calais (Hauts-de-France). Des villes comme Caen ou Dunkerque ont réalisé des projets d’e-collectivités, répondant à des objectifs d’informations, de dialogue et de dématérialisation des démarches administratives. Les outils digitaux ont également été utilisés à Bordeaux, en Haute-Garonne, ou encore dans le Lot, pour impliquer les citoyens, recueillir leurs opinions et les faire débattre.

Il faut noter que l’outil digital ne règle pas les difficultés de budget et de ses conditions d’application. La solution trouvée doit nécessairement créer une nouvelle fonctionnalité ou en améliorer une existante, et elle doit s’inscrire dans le quotidien de la ville, de manière durable et stable. Il serait ainsi pertinent, selon les auteurs, de créer des outils transversaux afin de mutualiser les informations et les démarches entre chaque échelon territorial.

 

L’étude de cas d’Angoulême

D’après l’interview de Denis Debrosse, conseiller municipal délégué aux relations citoyennes de la ville, les premiers projets participatifs se sont développés lors d’Opération de Renouvellement Urbain (ORU). Malgré la méfiance qu’ils suscitaient initialement, ils ont fini par fonctionner.

Revenant sur son expérience de directeur d’hôpital, Denis Debrosse explique qu’il a choisi de diriger l’hôpital en « manageant ». Il tire quatre « facteurs » de son expérience : mission, organisation, gestion et évaluation. Il précise également que ces facteurs doivent servir de point de repère à trois sphères de la vie publique : le citoyen ou la citoyenne, le politique et l’administration.

Denis Debrosse revient ensuite sur l’utilisation de l’application “Workshop factory/Mob-up” pour animer des séances de travail collaboratives. Destinée à l’origine à des entreprises, celle-ci a été utilisée pour des conseils citoyens, des projets d’aménagement urbain, des ateliers santé ville… permettant un travail collectif et l’émergence de nouvelles propositions.

Conseil local de santé mentale utilisant l’outil Workshop

Ce projet a réuni citoyens et citoyennes, des bénévoles, experts et expertes de santé, des médiateurs et médiatrices… afin de permettre l’amélioration de la santé mentale de la population. L’outil a permis des échanges de points de vue, de telle manière que la décision prise in fine s’est avérée différente de ce que les professionnels de santé avaient initialement imaginé. Ces avis ont visiblement été échangés dans la bienveillance et l’écoute.

Les beaux jours, dispositifs ludiques de loisirs annuels

L’outil digital (Workshop) a permis aux utilisateurs et utilisatrices d’approfondir leurs connaissances sur les dispositifs et de prendre conscience des contraintes matérielles et budgétaires pesant sur la collectivité. L’outil prévoit la production d’un document récapitulatif en fin d’atelier.

Conseil citoyen d’Angoulême

L’outil Workshop a également servi lors de l’établissement de conseils citoyens, par les citoyens. L’outil digital a été utilisé avec enthousiasme et le projet de renouvellement urbain a fait l’objet de décisions publiques, grâce à l’établissement de conseils de quartiers. Cependant, l’implication des partenaires n’a donné aucune suite dans les mois qui ont suivi et ce sont finalement tournés vers d’autres choix de projet.

 

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Un outil digital est donc efficace car il facilite la communication, mais il ne garantit que la méthode. La démarche participative doit ensuite être respectée par celles et ceux qui y prennent part. Un manque de communication ou de compétence technique peuvent engendrer contre-temps et incompréhension.

Cette étude définit donc deux enjeux capitaux du développement de la démocratie participative digitale : l’accès aux informations et la participation. Les collectivité publiques sont les actrices principales de l’accès à l’information, via l’Open Data. L’accès à l’information permet la concertation (donner son avis lors d’événements ou pour des évaluations) et la participation permet la co-construction (donner un rôle actif aux acteurs, avec des tâches précises).

« L’outil, qu’il soit numérique ou non, ne résout rien à lui seul ; il doit être choisi pour être au service d’une stratégie plus globale de la participation. » 
Institut de la concertation, 2016

En d’autres termes, l’outil digital est un élément pertinent et efficace pour la démocratie participative à condition que ses acteurs et actrices s’impliquent pour que le projet bénéficie à l’ensemble de la collectivité.


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