Publié le 18 février 2023. Mis à jour le 16 octobre 2024.
« Le déclin de la performance démocratique de l’élection », extrait de l’ouvrage de Pierre Rosanvallon, Notre histoire intellectuelle et politique (1968-2018), Paris, Seuil, 2019, paru dans Cahier Français n°420/421 (disponible en accès conditionnel ici).
Pierre Rosanvallon est un éminent historien et sociologue français. Il fut notamment professeur au Collège de France entre 2001 et 2018, où il occupait la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique, et directeur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses recherches portent principalement sur l’histoire de la démocratie et du modèle politique français, sur le rôle de l’État et la question de la justice sociale dans les sociétés contemporaines.
Le vote en perte d’énergie
Le vote exprime, en théorie, la souveraineté du peuple, et rend l’électorat actif dans l’exercice de la démocratie. Seulement, depuis un certain temps maintenant, ce même électorat dénonce le fait que le vote ne permet pas, ou plus, que ses idées soient représentées dans la classe politique. Des réformes institutionnelles ont alors cherché à améliorer la performance démocratique des élections : proportionnelle, principe de parité, limitation des mandats, mécanismes de révocation, indépendance des institutions…
« Les élections ont aujourd’hui une moindre capacité de représentation, pour des raisons institutionnelles et sociologiques. »
La représentation face à l’individualisme
En 1789, le révolutionnaire Mirabeau donnait aux représentants le rôle « d’image réduite de la société ». Aujourd’hui, la centralité croissante du pouvoir exécutif et la crise de la représentativité nous place loin de cet idéal.
Il faut cependant rappeler que la notion même de représentation a considérablement évolué. A l’époque de Mirabeau, la société est composée d’ordres, de corps, de classes ; de populations aux contours et aux caractéristiques bien définies. Elle s’est depuis individualisés, à tel point que l’on peut parler d’un nouvel âge de l’identité sociale.
« Son avènement a résulté d’une complexification et d’une hétérogénéisation du monde social, procédant également des mutations du capitalisme. »
L’individu-histoire, déterminé par son histoire personnelle et donc singulière, se superpose à l’individu-condition, identifié aux caractéristiques d’un groupe donné. La représentation va donc au-delà des conditions sociales et requiert de prendre en compte les expériences de vie de chacun.
« Des communautés d’épreuves se superposent ainsi aux traditionnelles identités de classe. »
Majorité toute-puissante et désenchantement démocratique
De plus, l’expression majoritaire est désormais assimilée à la volonté générale. En France, l’exécutif est élu pour cinq ans au suffrage universel, et est mené d’un bras de fer par le Président de la République dont l’élection concorde avec celle du Parlement, où il a bien souvent l’ascendant. Le vote majoritaire s’impose donc, bien qu’il soit souvent le fruit de compromis individuels et collectifs. La minorité est donc réduite à « une des multiples expressions diffractées de la totalité sociale », reflétant la division de la société. Les programmes politiques, autrefois représentatifs du lien entre le moment électoral et le temps de l’action gouvernementale, ont perdu de leur sens.
« L’élection s’est réduite de fait à un simple processus de nomination. »
Pierre Rosanvallon parle ainsi de « désenchantement démocratique » face à des institutions qui peinent à trouver un second souffle ; laissant le champ libre au populisme.