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La Question Référendaire


Publié le 14 juillet 2021. Mis à jour le 02 octobre 2024. 

« The correct expression of popular will : does the wording of a referendum question matter ? » par François Rocher et André Lecours.
François Rocher est professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent notamment sur le fédéralisme canadien, le nationalisme, la citoyenneté et l’immigration. André Lecours, professeur dans la même école, travaille principalement sur la politique canadienne, la politique européenne, le nationalisme et le fédéralisme.

Contribution à The Routledge Handbook to referendums and Direct Democracy (Dir. Laurence Morel)

Les auteurs commencent par analyser les critères indispensables à la bonne compréhension de l’électorat d’une question référendaire. Mais au fil de leur étude, ils constatent finalement que d’autres facteurs influent sur les votes, et que la formulation semble en réalité secondaire. Même mal formulée, une question référendaire reste plus claire que l’élection d’un ou une élu.e.

 

Influence de la formulation d’une question sur le vote des citoyens

Les référendums, en particulier quand ils portent sur l’autodétermination d’un territoire, sont des évènements majeurs pour une population. Le référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne ou sur la légalisation de l’avortement en Irlande sont ainsi des moments clés de leurs histoires politiques.

Les référendums engendrent de forts débats entre partis politiques. De nombreux et nombreuses chercheurs et chercheuses ont démontré que les campagnes politiques ont une influence décisive sur les résultats ; mais très peu se sont penché.es sur la formulation des questions. François Rocher et André Lecours ont donc cherché à combler ce vide. Selon eux, la phraséologie peut avoir un impact sur le résultat d’un référendum.
Différents facteurs influencent le choix de l’électorat : 

  • la formulation de la question (orientation positive ou neutre) ;
  • le choix des mots (simples, complexes, usuels, techniques) ;
  • le nombre de phrases ;
  • la présence de choix multiples ;
  • la référence à des documents externes.

Une bonne question, semble-t-il, devrait être : simple, courte, intelligible et neutre. Mais cocher ces quatre critères ne garantit pas forcément l’absence d’ambiguïté.  Se prononcer sur l’indépendance de sa région implique par exemple de savoir ce que signifie ici « indépendance » et ses conditions de réalisation.
En 1998, la Cour Suprême du Canada soutient que « les questions soumises à référendum doivent être formulées sans ambiguïté et de façon tout à fait neutre« , mais omet de définir des critères de clarté. Le terme même de « clarté » est sujet à débat : il peut signifier « intelligible, compréhensible », mais aussi « facilement compris » ou encore « ne laissant aucune place à des interprétations divergentes ».
Le problème réside surtout dans le fait qu’une langue n’est pas un outil de communication parfait, libre de toute tension épistémologique et politique. Il est donc difficile – peut-être même impossible – de formuler une question neutre et simple sur des sujets aussi complexes que l’indépendance d’un Etat ou la légalisation de l’avortement. 

Néanmoins, il est nécessaire d’essayer. Le Royaume-Uni a ainsi créé une commission électorale qui veille à ce que la question référendaire réponde à certains critères, démontrant la crainte des acteurs et actrices politiques d’une éventuelle partialité  : 

  • elle doit être claire et simple, c’est-à-dire facile à comprendre ;
  • elle doit aller droit au but et ne pas être ambiguë ;
  • elle doit être neutre, c’est-à-dire qu’elle ne doit ni induire l’électorat en erreur ni l’inciter à considérer une réponse d’un œil plus favorable qu’une autre.

 

D’autres facteurs qui influent sur le choix des électeurs

En fait, qu’elle soit très simple ou très complexe, l’importance de la formulation des questions référendaires semble relative.

En 1860, le référendum sur le rattachement de la Savoie à la France pose la question suivante : « La Savoie doit-elle être rattachée à la France ? » Si la formulation est précise et limpide, les circonstances du vote seraient aujourd’hui vues comme catastrophiques : l’Eglise exerce une grande influence politique, le droit de suffrage est réservé aux hommes, il n’y a ni isoloirs ni bulletins de vote « non ». 98% des votants approuvent le rattachement, sans que la formulation de la question ne soit la cause de ce plébiscite.

Le 9 novembre 2014, le gouvernement catalan invite la population à répondre aux deux questions suivantes : « Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat ? » et « Voulez-vous que cet Etat soit indépendant ? » La formulation donne lieu à de nombreux débats, la notion « d’Etat non indépendant » (répondre oui à la première question et non à la deuxième) pouvant porter à confusion. Mais dans les faits, celles et ceux qui voulaient que la Catalogne soit un Etat revendiquaient aussi son indépendance : le problème fut ainsi évacué.

 

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Les électeurs et électrices prêtent finalement assez peu d’attention à la formulation de la question. Sa signification en revanche est largement débattue par les politiques, et ce sont les campagnes qui auront le plus d’impact sur le résultat du vote. S’il est bien entendu préférable que la question soit courte, intelligible et neutre, elle reste plus claire que le vote d’un ou une élu.e.


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