Publié le 18 février 2023. Mis à jour le 15 octobre 2024.
Stéphanie Wojcik, « La démocratie numérique : illusions ou réalités » dans Cahier Français n°420, 2021 (disponible en accès libre ici).
Stéphanie Wojcik est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication. Ses recherches portent sur la politisation, la délibération, internet et ses réseaux socio-numériques et la participation.
Au début des années 2000, il devient clair que l’engagement politique est en crise : progression de l’abstention électorale, déclin de l’adhésion militante, intérêt grandissant pour des idéologies nationalistes, populistes ou extrémistes… Les technologies de l’information et de la communication (TIC) apparaissent alors comme un moyen de revitaliser la démocratie, en offrant des champs d’expression plus nombreux et accessibles. Mais cette pratique démocratique numérique pose un certain nombre de problématiques.
Revitalisation de la démocratie par les TIC : avantages et inconvénients
« L’internet est un outil polyvalent qui, en fonction de la manière dont il est utilisé, peut aussi bien conduire à une amélioration qu’à une dégradation du fonctionnement démocratique des systèmes politiques. » (Thierry Vedel)
En France, la loi Avia sur l’obligation pour sur les réseaux sociaux de retirer en vingt-quatre heures les contenus illégaux a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel, car elle mettait en péril la liberté d’expression. Les GAFAM et autres entreprises du Web gardent ainsi le monopole de l’appréciation du caractère « haineux » ou non, et donc légal, des contenus. Cet exemple met en lumière la difficulté qu’il y a à envisager de créer des espaces de débat démocratique sur ces plateformes, alors que celles-ci sont dépendantes des préoccupations économiques et financières des entreprises qui les possèdent.
Les réseaux socio-numériques ont tout de même un certain nombre d’avantages. Ils ont notamment prouvé qu’ils pouvaient générer de grandes mobilisations et sentiments d’identification, avec par exemple la lutte contre les violences faites aux femmes. De plus, l’usage du numérique par les gouvernements a permis d’accroître la transparence de l’action publique à travers des politiques locales et nationales d’ouverture des données. La loi française pour une République numérique de 2016 permet ainsi la mise à disposition de public des données produites par les services de l’État, sur différents secteurs et dans des formats facilitant le partage.
Quelques initiatives institutionnelles ont également vu le jour, comme le Grand Débat national, développé après le mouvement des Gilets Jaunes de 2018. Les ministères et les collectivités, en recherche de formes de collaborations avec les citoyens, ont été attirés par le marché de la « Civic Tech », autrement dit la technologie citoyenne. Ces formes restent néanmoins cantonnées au domaine de la consultation, et seul le budget participatif permet d’influencer le processus décisionnel.
Reste aussi la question (centrale) de l’inégal équipement de la population en matière d’ordinateurs et de connexion à Internet, ainsi que les différences d’usage d’Internet en matière d’information politique.
Une ouverture de la politique aux citoyens mais pas que…
L’arrivée d’une information massive a participé à mettre en concurrence médias, gouvernements et réseaux socio-numériques.
« La visibilité d’une information n’est plus connectée à son degré de proximité avec l’intérêt général, comme a priori dans les médias de masse (c’est en tout cas le postulat de l’auteure), mais est le fruit d’un travail algorithmique orchestré par des acteurs privés qui scannent en permanence nos préférences et détestations politiques. »
À défaut de créer un espace décentralisé, pluriel et collaboratif, le contenu du Web est trié, filtré et hiérarchisé pour être en adéquation avec les préférences personnelles des internautes. Cette personnalisation des résultats risque d’enfermer l’utilisateur ou l’utilisatrice dans sa propre culture politique, sans jamais être confrontée à des opinions différentes. La promesse de l’information plurielle est donc contredite par les algorithmes des moteurs de recherche.
En 2013, Antoine Rouvroy et Thomas Berns appellent ce phénomène la « gouvernementalité algorithmique » au sein de laquelle « les enjeux, y compris politiques, se trouvent quantifiés et où les comportements individuels ne sont plus gouvernés par le politique, les normes sociales ou le droit mais par l’exploration de données (datamining), l’apprentissage automatique (machine learning) et le profilage. »
Entre 2014 et 2015, plus de 50 millions de profils Facebook sont récoltés illégalement par l’entreprise Cambridge Analytica à des fins électorales. La question de la protection des données personnelles et de la vie privée est par la suite devenue centrale et des réglementations ont été prises à l’échelle européenne.
Il existe également un activisme politique articulé autour de la désinformation et de la manipulation d’opinion. La création de faux comptes propagandistes sur les réseaux sociaux, l’investissement des espaces de débat par des trolls, la fabrication de fausses informations d’informations peu fiables, interrogent la capacité des individus à déterminer le degré de véracité ou de crédibilité d’une information et donc de son partage.
« Alors qu’internet semblait porter la promesse d’une augmentation du nombre et de la diversité des expressions politiques singulières ouvrant la possibilité de débat démocratique renouvelé, plusieurs phénomènes viennent ternir cette promesse initiale. »
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Si les problématiques pointées par l’autrice sont bien réelles, et questionnent notre rapport au débat, il faut cependant faire attention de ne pas tomber dans une vision idéalisée de l’information avant l’ère digitale. Le lectorat de l’Humanité ou du Figaro des années 1950 n’était-il pas lui aussi enfermé dans une bulle d’opinion ? Avait-il accès à une information aussi large et diversifiée ?