Publié le 14 juillet 2021. Mis à jour le 04 octobre 2024.
Écrivain, philosophe et musicien genevois, Jean-Jacques Rousseau est l’une des grandes figures du siècle des Lumières. Grâce à Diderot, il collabore à l’Encyclopédie en 1751, avant de publier La Nouvelle Héloïse en 1761 et, en 1762, son traité majeur intitulé Du Contrat social. Il y pose les bases d’un Etat garantissant la souveraineté de peuple, dans le but de modéliser un régime politique qui assure la liberté des individus.
Jean-Jacques Rousseau considère que la démocratie est le régime idéal, puisque le peuple y est à la fois souverain (l’ensemble des lois sont conformes à la volonté générale) et sujet (la loi s’applique à toutes et tous).
Rousseau, un penseur contractualiste
Avant toute chose, J.-J. Rousseau observe comment la société et l’Etat se sont construits jusqu’alors. Le philosophe fait partie des théoriciens du contrat social, courant de la philosophie politique qui stipule que les être humains ont passé entre elles et eux un contrat, qui a donné naissance à l’Etat. Leurs libertés naturelles ont été limitées, en échange de quoi des lois ont garanti la protection du corps social. C’est le contractualisme.
« Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif. »
J.-J. Rousseau imagine un état de nature précédant le contrat social, où les individus sont libres et égaux, et capables de raisonner. Il cherche ensuite à montrer que l’obéissance au souverain n’est justifié ni par sa supériorité naturelle, ni par un ordre divin, mais par la légitimité que lui accorde le peuple.
« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. »
Le contrat social est le moment, réel ou fictif, au cours duquel les individus ont consenti à obéir à des institutions politiques et sociales. L’union des être humains découle de la nécessité de survie. En imaginant un état de nature, presque primitif, les contractualistes cherchent à démontrer que les institutions et l’obéissance à l’autorité politique ne sont pas naturelles, mais le fruit de conventions humaines. Prendre conscience du caractère artificiel de nos institutions signifie réaliser qu’il est possible de les juger, les modifier voire imaginer l’avènement d’une nouvelle société.
« (Il faut) trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. »
En établissant le contrat social, les individus abandonnent leur liberté naturelle pour la liberté civile ; le peuple est donc toujours « aussi libre qu’avant ». Chacun et chacune obéit à la notion de bien commun que le contrat a mis en jeu. La volonté générale n’est donc pas l’addition de volontés particulières et différentes, mais bien la volonté de vivre ensemble en vue du bien de tous. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » ajoute le philosophe.
Rousseau, un penseur de la démocratie directe ?
J.-J. Rousseau conceptualise la souveraineté absolue du peuple : celui-ci doit voter les lois et décider des grandes orientations politiques, en vue du bien commun.
« Si l’opposition des intérêts particuliers a rendu nécessaire l’établissement des sociétés, c’est l’accord de ces mêmes intérêts qui l’a rendu possible. C’est ce qu’il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien social, et s’il n’y avait pas quelque point dans lequel tous les intérêts s’accordent, nulle société ne saurait exister. Or c’est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée. »
Le philosophe distingue souverain et gouvernement : le premier représente la volonté générale, qui produit la loi ; le deuxième se contente d’appliquer ces lois. Dans une telle configuration, la souveraineté du peuple st inaliénable. Elle ne peut être cédée à quelques représentants. L’auteur s’oppose donc à la « démocratie représentative » telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Il nuance pourtant son propos en stipulant que le peuple doit être guidé par un « législateur », une figure dépourvue de pouvoir mais qui conseille et oriente le peuple, afin que celui-ci statue ce qui est bon pour lui.
Les différents types de gouvernement selon Rousseau
Rousseau distingue plusieurs types de gouvernements, adaptant chacun d’entre eux à des situations géographiques différentes.
La démocratie, où chacun est à la fois membre du gouvernement et citoyen, convient aux petits États. J.-J. Rousseau nous parle en effet depuis une époque où la communication moderne n’existe pas ; il pense donc à des villes où les citoyens peuvent se réunir sur une place.
« Le souverain peut, en premier lieu, commettre le dépôt du gouvernement à tout le peuple ou à la plus grande partie du peuple, en sorte qu’il y ait plus de citoyens magistrats que de citoyens simples particuliers. On donne à cette forme de gouvernement le nom de Démocratie. »
L’aristocratie, où quelques-uns sont membres du gouvernement, convient aux États de taille moyenne.
« Le souverain peut resserrer le gouvernement entre les mains d’un petit nombre, en sorte qu’il y ait plus de simples citoyens que de magistrats, et cette forme porte le nom d’Aristocratie. »
La monarchie, où un seul assure le gouvernement, convient aux plus grands États.
« Le souverain peut concentrer tout le gouvernement dans les mains d’un magistrat unique dont tous les autres tiennent leur pouvoir. Cette troisième forme est la plus commune, et s’appelle Monarchie ou gouvernement royal. »
Dans tous les cas, le gouvernement ne doit pas usurper la volonté générale à son propre profit. Il faut donc mettre en place des assemblées du peuple afin de continuer à produire des lois et assurer la pérennité du contrat social.
Une religion civile pour que le peuple puisse se gouverner lui-même ?
En dernière partie de son ouvrage, J.-J. Rousseau évoque l’idée d’une religion civile pour que les individus œuvrent continuellement au bien commun. Elle les lieraient et contribuerait à doter les lois d’un caractère sacré.
« Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’Etat quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois. Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L’existence de la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois, voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul : c’est l’intolérance ; elle rentre dans les cultes que nous avons exclus. »
Quiconque refuse d’obéir à la loi, rompt le contrat social et perd alors sa liberté civile.