Participation Citoyenne & Démocratie Directe


Dans leur article paru dans Political Behaviour, S. Marien et A.Kern partent d’un constat simple : les citoyens sont de moins en moins concernés par la vie politique de leur pays. Pour stimuler leur engagement politique,  de nombreux chercheurs ont proposé d’instaurer une dose de démocratie directe dans nos systèmes représentatifs. Il s’agit par exemple de consulter les citoyens par référendum pour prendre telle ou telle décision. Cela permettrait non seulement de faire participer les citoyens à l’élaboration des lois, mais également de renforcer leur attrait pour la politique.

L’objectif de cette étude est de vérifier cette hypothèse. En s’appuyant sur l’exemple d’un petit village belge ayant organisé un référendum local, les chercheuses montrent que, conformément à leur attente, le référendum stimule la participation politique des citoyens qui ont participé au référendum et qui l’ont gagné.

 

La démocratie directe, un moyen de stimuler la participation politique ?

Depuis une trentaine d’années, nous assistons à une véritable chute de la participation politique des citoyens. De la participation électorale à l’engagement partisan en passant par l’action syndicale, toutes ces formes d’engagement citoyen sont en baisse. En France en 2002, à l’occasion du second tour des législatives, près de quatre inscrits sur dix n’ont pas voté. Autrement dit, la moitié des citoyens ne se sont pas rendus aux urnes pour désigner les députés qui siègeront à l’Assemblée nationale et voteront les lois.

Cette diminution de l’engagement partisan conjuguée à une méfiance de plus en plus grande des citoyens à l’égard des institutions et des acteurs politiques ont suscité des inquiétudes quant au déficit de légitimité de la démocratie dans les pays avancés.

Afin de stimuler la participation politique des citoyens, plusieurs propositions ont été faites visant à impliquer plus directement les citoyens dans le processus de décision publique. En France, on pourrait notamment citer la convention citoyenne pour le climat ou encore les cahiers de doléances présents dans les mairies.

Néanmoins, la réponse la plus forte pour lutter contre la démobilisation politique des citoyens est sans nul doute la démocratie directe. En faisant participer directement les citoyens à l’élaboration des politiques, par le biais d’un référendum par exemple, on peut estimer que l’on parviendra à stimuler l’engagement et l’intérêt des citoyens pour la politique.

Le référendum, parce qu’il permet aux citoyens de voter sur des questions spécifiques, parce qu’il prend peu de temps et qu’il est peu couteux, favoriserait donc en théorie la participation politique.

D’ailleurs ces dernières années, les citoyens ont montré leur appétence pour la démocratie directe. Au niveau local, les processus de prise de décision politique qui incluent des éléments de démocratie directe gagnent aussi en popularité, une popularité liée sans doute au fait que le niveau local permet aux citoyens de s’exprimer sur des questions qui touchent généralement leur vie quotidienne.

 

Nombreux sont les chercheurs qui ont affirmé que l’introduction d’une dose de démocratie directe dans nos systèmes représentatifs permettrait de mobiliser les citoyens et ainsi de contrecarrer le déclin de la participation politique. D’après eux, théoriquement, la démocratie directe favoriserait la participation politique des citoyens car ces derniers apprécient le fait de pouvoir s’exprimer et d’avoir une véritable influence sur les processus de décision politique.

 

Des preuves empiriques rapportées par S. Marien et A. Kern

Sofie Marien et Anna Kern ont cherché à démontrer empiriquement cet effet. Afin d’étayer leur étude et d’y apporter des chiffres concrets, elles se sont intéressées à Malines, une ville de taille moyenne située dans la partie néerlandophone de la Belgique.

Au printemps 2015, un problème majeur s’est posé dans cette ville : de nombreux automobilistes venant de la périphérie de la ville traversaient le centre-ville pour se rendre à l’aéroport, ce qui générait des embouteillages importants. Les décideurs politiques ont donc cherché à réduire le trafic des automobilistes qui ne se rendaient pas dans le centre-ville.

En consultation avec ses habitants, l’administration de la ville a donc élaboré un nouveau plan de circulation visant à réduire considérablement la circulation dans le centre-ville. Cependant, peu après la présentation des plans au public, une forte résistance s’est manifestée parmi certains habitants, principalement parce qu’ils craignaient que le nouveau plan de circulation ne rende la circulation plus difficile dans leur quartier. L’administration de la ville a donc accepté qu’un groupe de citoyens opposés au plan de circulation rédige un scénario alternatif et qu’un référendum soit  organisé : tous les habitants du quartier âgés de plus de 16 ans pouvaient choisir entre le plan de circulation initialement élaboré (scénario A) et le scénario alternatif de circulation (scénario B).

 

Le référendum a donc eu lieu le 26 avril 2015 et environ 2 000 des 7 700 habitants éligibles ont voté (environ 26 %). Avec 63 pour cent des votants qui ont choisi l’alternative, c’est-à-dire le plan de circulation moins perturbateur (scénario B), le vote a été clair.  Le résultat a ensuite été annoncé le soir même et le nouveau plan de circulation a été mis en œuvre dans les semaines qui ont suivi le référendum.

Le référendum a attiré l’attention de nombreux habitants dans le quartier. Dans les semaines précédant le référendum, seuls 7 % environ des habitants ayant participé à l’enquête ont indiqué qu’ils n’en avaient pas encore entendu parler.  En outre, environ 57% des habitants ont supposé qu’un changement du plan de circulation aurait un effet important sur le quartier. Enfin, 50 % des habitants ont considéré que le plan de circulation aurait un effet important sur leur mobilité quotidienne. On peut donc supposer que, pour les citoyens vivant dans ce quartier, le référendum était un sujet saillant, susceptible d’affecter leurs opinions politiques.

 

Sofie Marien et Anna Kern en ont tiré deux conclusions majeures :

  1. L’instauration d’une dose de démocratie directe renforce la participation politique des citoyens à court terme et le niveau d’information de ceux-ci.
  2. Le référendum stimule la participation politique des citoyens qui ont participé au référendum et qui l’ont gagné. Autrement dit, dès lors que l’issue du référendum va dans le sens de mon vote, alors ma participation politique sera renforcée.

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La démocratie directe favorise donc bien la participation des citoyens à la vie politique. Après un référendum dont l’issue lui est favorable, le citoyen sent que sa voix peut compter et qu’il participe concrètement à l’élaboration des politiques publiques. Ainsi, on peut estimer que le référendum permet de lutter contre la démobilisation des citoyens.

 

« The Winner Takes it All: Revisiting the Effect of Direct Democracy on Citizens’ Political Support » par Sofie Marien et Anna Kern in Political Behaviour, 2017, vol 40

Professeur de Sciences politiques à l’Université de Louvain, Sofie Marien a publié de nombreux articles sur la démocratie, la communication et la psychologie en politique.

Docteur en Sciences politiques, Anna Kern a étudié tout particulièrement la participation citoyenne et les attitudes politiques.


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