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La Démocratie face à ses critiques au XXème siècle


Publié le 30 mai 2022. Mis à jour le 11 octobre 2024.

Au début du XXe siècle, la démocratie libérale est de plus en plus critiquée : elle n’aurait pas tenu ses promesse, celle d’une plus grande liberté économique et politique, et imposerait rationalité, égoïsme et individualisme, favorisant ainsi l’avènement des guerres et des totalitarisme. L’historien et sociologue français Marcel Gauchet, dans son ouvrage intitulé La crise du libéralisme publié en 2007, affirme que, loin de rassembler, la modernité et la démocratie contemporaine « divisent, séparent, opposent, délient et dispersent les individus ».

Mais cette « crise de la démocratie » en est-elle vraiment une ? Ne constitue-t-elle pas une arme politique, destinée à faire tomber nos régimes modernes ?

Qui sont les ennemis de la démocratie ?

 

La critique marxiste de la démocratie libérale

Les marxistes ont sans doute été les premiers à proposer une critique construite de la démocratie. Dans L’État et la Révolution, Lénine affirme que les gouvernements démocratiques libéraux sont des instruments d’oppression, visant à assurer la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat.

La Première Guerre mondiale est à ce titre un bon exemple du débat entre libéraux et marxistes. Pour les premiers, ses causes sont essentiellement idéologiques ; des gouvernements nationalistes se sont opposés violemment dans leurs quêtes respectives d’expansion. En revanche, pour les seconds, la guerre est avant tout liée à des facteurs économique et causée par un capitalisme destructeur, qui appauvri les masses ouvrières. Cette interprétation permet à Lénine de justifier sa propre idéologie, le communisme.

Avant lui, Karl Marx avait déjà théorisé l’antagonisme des classes sous le système de production capitaliste : les prolétaires ne disposent que de leur force de travail et doivent donc se mettre au service des bourgeois, détenteurs des moyens de production, pour assurer leur survie. Le système économique est donc caractérisé par l’exploitation du travail par le capital. Dans cette analyse, la démocratie est un outil aux mains de la classe dirigeante pour pérenniser sa domination. 

« Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations …  Par son exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a rendu cosmopolites la production et la consommation de tous les pays. »
– Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du parti communiste, 1848

« Cette guerre est celle de limpérialisme. Du pillage. Ce nest pas la paix quil nous faut réclamer. Le slogan du prolétariat doit être la transformation de la guerre en guerre civile, pour détruire à jamais le capitalisme. »
– Lénine, L’Etat et la Révolution, 1917

« La guerre de 1914-1918 a été de part et d’autre une guerre impérialiste (c’est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution des colonies, des « zones d’influence » du capital financier, etc. »
– Lénine, L’impérialisme au stade suprême du capitalisme, 1917

Le capitalisme, selon Lénine, exige la guerre : les grandes puissances économiques ont sans cesse besoin de matières premières, et cherchent le monopole. Mais cette interprétation de la réalité, loin de proposer un système pérenne dans lequel chacun et chacune peut participer à la gestion gouvernementale, a finalement servi d’arme politique politique pour imposer une idéologie unique, présentée comme le seul moyen de soigner tous les maux de la société.

 

Rejeter la bureaucratie, un argument pour faire tomber les démocraties parlementaires

Pour de nombreux auteurs et autrices, le XXème siècle est celui de la rationalité : on cherche à ce que politique et économie soient les plus efficaces possible. Les gouvernements se bureaucratisent et gèrent une administration de plus en en plus technique, de moins en moins fondée sur des valeurs communes et (en apparence) déconnectée de tout projet politique. 

Dans Être et Temps, le philosophe allemand Martin Heidegger, proche du national-socialisme nazi, affirme que ce phénomène a contribué à affaiblir les liens sociaux : « l’autre » est devenu anonyme. Enfermés, les individus ne trouvent plus de sens à leur existence. Le philosophe critique notamment « l’espace public démocratique » qu’il définit comme un espace inauthentique où l’individu se perd et se fond dans la masse de la communauté à laquelle il appartient.

« Lhomme est homme en tant quil est celui qui parle … La technique englobe tous les domaines de l’étant : la nature objectivée, la culture maintenue en mouvement, la politique dirigée, les idéaux exagérés. La technique est la métaphysique achevée. »
– Martin Heidegger, Être et Temps, 1927

La démocratie de l’urgence

Pour le juriste et philosophe allemand Carl Schmitt, lui aussi rallié à l’idéologie nazie, l’État de droit fixe des procédures rationnelles, et rend la force physique illégale, bien qu’il ait lui-même a vu le jour par la force (coup d’État, soulèvement, révolution). Au fondement de la démocratie, il y a donc une violence contingente et arbitraire qui a suspendu la légalité en place et en a instauré une nouvelle.

« Toute grande impulsion nouvelle, toute révolution et toute réforme, toute élite nouvelle est le fruit d’une ascèse et de la pauvreté volontaire ou imposée, celle-ci étant avant tout renoncement à la sécurité du statu quo. »
– Carl Schmitt, La Notion de politique, 1933

De plus, « l’état d’exception » permet au gouvernement, lorsqu’une situation exceptionnelle se présente, de suspendre totalement ou partiellement la légalité. Par définition, il est donc rare, inhabituel, un simple moyen de sauvegarder le droit dans une situation qui le met en péril. Mais pour certains et certaines, derrière la normalité de l’état de droit, se cache en réalité la permanence de l’état d’exception.

Pour Schmitt, l’État libéral et le parlementarisme produisent l’illusion que c’est la loi qui décide des règles. Dans sa Théologie Politique, il avance que seul le pouvoir exécutif est souverain pour dicter la marche à suivre en situation de crise et décider en dernière instance. C’est la conception décisionniste du politique et du juridique : l’État d’exception serait donc au fondement même de l’État de droit. 

« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle. »
– Carl Schmitt

En France, les états d’exception se sont multipliés ces dernières années, posant la question de la place de l’Etat de droit et de la démocratie dans une « société du risque » (B. Manin).

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Tout n’est certainement pas bon à prendre dans ces critiques de la démocratie libérale. Ses trois penseurs ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à la mise en place de systèmes politiques totalitaires et meurtriers. Mais elles ont au moins le mérite de pointer de vraies problématiques, auxquelles il devient de plus en plus urgent de répondre.

 

Bibliographie

  • L’État et la Révolution (1917), Vladimir Ilitch Lénine
    Né le 22 avril 1870 et mort le 21 janvier 1924 , Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, est le fondateur et le chef du parti bolchevique qui dirigea la Russie à partir de 1917. Dans L’État et la Révolution, Lénine décrit l’État démocratique comme un instrument d’oppression visant à assurer la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat.
  • Être et Temps (1927), Martin Heidegger
    Élevé dans une famille catholique, Martin Heidegger se destine, sans conviction, à la prêtrise avant d’abandonner la foi. Après la Première Guerre mondiale, le philosophe allemand devient l’assistant personnel du philosophe Husserl. A partir de 1932, Heidegger adhère au parti national-socialiste. Dans Être et Temps, Martin Heidegger critique profondément la démocratie et notamment l’espace public démocratique qu’il définit comme un espace inauthentique où l’individu se perd et se fond dans la masse de la communauté à laquelle il appartient.
  • La Notion de politique (1932), Carl Schmitt
    Carl Schmitt (1888-1985) était considéré comme l’un des grands constitutionnalistes et théoricien du droit de la période de la République de Weimar, juste avant l’avènement du régime nazi. À partir de 1933, Carl Schmitt se rallie à Hitler devenu chancelier et s’emploie alors à justifier les pires aspects de la législation nazie. Dans La notion de politique, le philosophe allemand s’oppose aux démocraties libérales et pointe les contradictions de l’Etat de droit.

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