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Condorcet précurseur de la Démocratie Directe


Publié le 30 mai 2022. Mis à jour le 08 octobre 2024.

Grand mathématicien du XVIIIème siècle, Nicolas de Condorcet se passionne très jeune pour la philosophie et la politique. Son père spirituel, l’économiste Turgot, l’introduit en politique. En 1774, Condorcet est nommé conseiller du roi Louis XVI. Il sera par la suite un acteur majeur de la Révolution et l’auteur de la fameuse Constitution dite ‘Girondine’. Il meurt guillotiné en 1793.

Pour ce révolutionnaire, les êtres humains sont naturellement égaux et doués de raison. Tout le monde devrait donc être capable d’agir politique : débattre, voter, décider. Dans cet article, nous nous concentrons sur deux points fondamentaux de sa pensée : le droit d’initiative citoyenne et la réflexion sur le meilleur mode de scrutin.

 

Un précurseur du référendum citoyen

Élu député en 1791, Condorcet intègre le comité chargé de rédiger une nouvelle constitution pour la France. Il y plaide pour que le peuple puisse exercer directement le pouvoir, arguant que la souveraineté populaire ne doit jamais être altérée par des représentants.

« Je n’ai eu depuis quatre ans ni une idée ni un sentiment qui n’ait eu pour objet la liberté de mon pays. Je périrai comme Socrate et Sidney pour l’avoir servi, sans jamais n’avoir été ni l’instrument ni la dupe, sans avoir jamais voulu partager les intrigues ou les fureurs des partis qui l’ont déchiré. J’ai soutenu le droit du peuple de ratifier expressément au moins les lois constitutionnelles et la possibilité qu’il l’exerçât, la nécessité du mode de révision régulier et paisible de réformer ces mêmes lois ; enfin l’unité entière du corps législatif. Vérités qui, alors peu répandues, avaient encore besoin d’être développées ».

Fragments, 1794, Œuvres, t. 1, p. 608

Condorcet souhaite instaurer une véritable démocratie. Il défend donc trois grandes idées :

Le suffrage universel intégral

Tous les êtres humains sont doués de raison et donc apte à participer à l’exercice de la démocratie. Il défend ainsi le suffrage universel, masculin comme féminin – il est alors l’un des seuls à plaider pour le droit de droit de vote des femmes -, peu importe l’origine sociale et le niveau de revenu. 

L’instauration d’un droit d’initiative législatif et constitutionnel

Chaque citoyen et citoyenne doit selon lui pouvoir proposer un projet de loi, qui sera ensuite soumis à l’Assemblée nationale, à condition de réunir la signature de 50 autres citoyens et citoyennes.

La Constitution girondine consacre donc le fonctionnement du droit d’initiative. En voici un extrait :

« Article premier. Lorsqu’un Citoyen croira utile ou nécessaire d’exciter la surveillance des Représentants du Peuple sur des actes de Constitution, de Législation ou d’Administration générale, de provoquer la réforme d’une loi existante ou la promulgation d’une loi nouvelle, il aura le droit de requérir le bureau de son Assemblée primaire, de la convoquer au jour de dimanche le plus prochain, pour délibérer sur sa proposition. »

La démocratisation de l’instruction

Si les citoyens deviennent actifs politiquement, ils doivent être instruits. Condorcet estime donc qu’il faut démocratiser le système éducatif.

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Malheureusement pour lui, l’Abbé Sieyès et Benjamin Constant s’opposent férocement à la démocratie directe et à ses idées. En 1793, le mathématicien est d’ailleurs destitué de ses fonctions au moment de la lutte pour le pouvoir à la Convention entre Girondins et Montagnards.

 

Le système de Condorcet pour identifier le mode de scrutin le plus démocratique

« Si un candidat est préféré à tout autre par une majorité, alors ce candidat doit être élu ».

Autrement dit, le ou la vainqueur de l’élection doit être celui ou celle qui, après un duel avec tout.es les autres, s’avère à chaque fois être le ou la candidat.e préféré.e. Condorcet cherche donc à établir un mode de scrutin qui respecterait ce principe. Chaque élection doit se dérouler en deux étapes :

  1. Au départ, chaque électeur et électrice doit classer l’ensemble des candidats par ordre de préférence.
  2. Puis, on simule l’ensemble des duels possibles : un à un on fait s’affronter tous les candidats et candidates en duel.
Exemple théorique proposé par Condorcet

Dans son Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, Condorcet met en évidence le fait qu’une élection ordinaire peut très bien ne pas représenter les désirs des électeurs.
Il se base pour cela sur une assemblée composée de 60 votants pouvant choisir entre un.e candidat.e A, un.e candidat.e B et un.e candidat.e C. Les préférences exprimées se répartissent ainsi :

  • 23 votants : A > C > B ;
  • 19 votants :  B > C > A;
  • 16 votants : C > B > A
  • 2 votants : C > A > B

Avec un scrutin uninominal majoritaire à un tour, A l’emporte avec 23 voix sur B qui obtient 19 voix et sur C qui obtient 18 voix. D’où A > B > C.

Avec un scrutin uninominal majoritaire à deux tours (celui qui est pratiqué la France en 2022) : A et B remportent le premier tour avec respectivement 23 voix et 19 voix. Les 16 votants préférant C reportent leur voix sur leur deuxième préférence, B. B remporte donc le second tour et l’élection avec 35 voix. D’où, cette fois, B > A > C .

Avec la méthode de Condorcet où l’on compare deux à deux tout.es les candidat.es, on obtient les résultats suivants :

  • si l’on oppose A et B, B l’emporte avec 35 voix contre 25 pour A
  • si l’on s’oppose B et C, C l’emporte avec 41 voix contre 19 pour B
  • si l’on oppose C et A, C l’emporte avec 37 voix contre 23 voix pour A

Ce qui conduit à la préférence majoritaire C > B > A.  C est l’alternative préférée à toutes les autres par une majorité de l’électorat.

Ainsi, le scrutin uninominal majoritaire à un tour, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours et le mode de scrutin de Condorcet donnent des vainqueurs tout à fait différents.

 

Les défauts de notre mode de scrutin actuel « uninominal majoritaire à deux tours »

Dans les démocraties occidentales contemporaines, le peuple exerce sa souveraineté de façon principalement indirecte, en élisant des représentant.es pour une durée limitée : c’est la démocratie représentative. En France, le représentant le plus important est le Président de la République qui est élu au suffrage universel direct, selon un mode de scrutin « uninominal majoritaire à deux tours ».

Au premier tour, l’électorat doit faire choisir l’une de toutes les candidatures qui lui sont proposées. Les voix sont ensuite comptées, et si un.e candidat.e recueille la majorité absolue (plus de 50 % des suffrages exprimés et au moins le quart du nombre des électeurs et électrices inscrit.es), cette personne est élue. Sinon, on organise un second tour. Au second tour, est élu celui ou celle qui recueille le plus de voix (majorité relative) parmi les suffrages exprimés.

Le vainqueur n’est pas toujours celui que préfèrent les Français

Le problème principal de ce mode de scrutin réside dans le fait qu’il ne représente pas toujours les préférences réelles de l’électorat. Nicolas Sarkozy remporte par exemple l’élection présidentielle française de 2007 ; alors même que de nombreux sondages indiquaient qu’une majorité de la population lui préférait François Bayrou. Celui-ci aurait probablement été élu si l’on avait utilisé la méthode de Condorcet…

Il est impossible d’exprimer une opinion sur plusieurs candidat.es

En outre, le scrutin « uninominal majoritaire à deux tours » présente de nombreux défauts : vote utile, interférences entre deux candidats idéologiquement proches, impossibilité d’exprimer une opinion sur plusieurs candidats, impossibilité d’exprimer un vote d’adhésion ou de rejet…

Ce système surreprésente la majorité parlementaire et sanctionne les minorités

Par exemple, lors des élections législatives françaises de 2002, l’Union pour un mouvement populaire a obtenu plus de 60 % des sièges en ne rassemblant que 33,3 % des suffrages exprimés, tandis que le Front national, malgré ses 11,3 % au premier tour, n’a pas eu le moindre siège. Depuis, le parti La France Insoumise a été dans la même situation que le Rassemblement National en 2017.

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Les propositions exposées ici pourraient considérablement renforcer notre système politique, dont la légitimité semble aujourd’hui largement fragilisée : taux d’abstention record, franc désintérêt pour les questions politiques, une méfiance accrue à l’égard des gouvernements… Et puis, n’est-ce pas Condorcet qui a inspiré les Suisses au XIXème siècle, lorsqu’ils ont introduit un contrepouvoir aux représentants via la démocratie directe ?


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