Publié le 18 février 2023. Mis à jour le 18 octobre 2024.
« Les nouvelles formes de participation peuvent-elles renouveler la démocratie ? » par Marion Paoletti dans Cahier Français (2021/2 n°420-421)
Article disponible en accès conditionnel ici.
Marion Paoletti est professeure à la faculté de droit et de science politique de Bordeaux. Ses principaux thèmes de recherche sont la décentralisation, la démocratie participative, le genre et la politique, la parité et la professionnalisation politique. Elle expose ici le concept de démocratie participative, pour mieux en saisir la plus-value sans en taire les limites.
Emergence et définition
Dans les années 1960 et 1970, la demande de participation citoyenne est alimentée par les mouvements sociaux pour l’environnement et la qualité de vie. Cependant, c’est dans les années 1980 que le philosophe Habermas entame un ‘tournant délibératif’ en philosophie politique, remettant en question la légitimité démocratique qui ne doit plus être tournée vers l’élection mais sur le processus décisionnel.
Au cours de la décennie suivante, la défiance monte à l’égard de la représentation politique. Elle a pour causes la globalisation, la progression des valeurs libertaires ou encore le morcellement de la société. La pratique du vote décline, les comportements protestataires augmentent, de même que les votes dits « hors système ». Alors,
« de nouvelles formes de participation démocratique sont proposées dont la portée et la capacité à réenchanter le lien représentatif demeure incertaines. »
Pour Marion Paoletti, la démocratie participative a un caractère variable, influencé tant par les changements sociaux que par les principes démocratiques, mais peut se définir ainsi :
« l’ensemble des dispositifs institutionnels, officiellement mis en œuvre par les autorités publiques, à toutes les échelles, dans le but d’associer tout ou une partie d’un public à un échange de la meilleure qualité possible, afin d’en faire des parties prenantes du processus décisionnel dans un secteur déterminé d’action publique. »
Quelles formes de participation pour la démocratie délibérative ?
Un panel de dispositifs participatifs existent sur le modèle délibératif : des commissions, des conseils et des réunions publiques, s’adressant à un public large et indifférencié. Mais aussi les référendums et les pétitions, utiles pour être déployés au niveau local, national, européen voire international.
En France, les budgets participatifs et le tirage au sort sont déjà utilisés au niveau local et national, bien que trop peu. Venus du Brésil pour le premier et d’Europe du Nord pour le deuxième, illustrent la circulation internationale des outils participatifs.
Deux exemples de démocratie participative et délibérative au niveau national
Le Grand Débat
En 2018-2019, le mouvement des Gilets Jaunes demande l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC), aux domaines d’application extensifs : constitutionnel, législatif, abrogation de lois, révocation de mandats… En réponse, le gouvernement organise le « Grand Débat », auquel ont contribué près de deux millions de personnes. Il prend forme dans des assemblées en présence, des cahiers de doléances, des conférences thématiques et une plateforme électronique à questions ouvertes et fermées.
Vous pouvez en apprendre plus sur le site officiel du Grand Débat.
La Convention citoyenne pour le climat
Constituée en octobre 2019, la Convention citoyenne pour le climat réunit 150 citoyens et citoyennes par tirage au sort (sur des listes d’abonnés au téléphone), assurant ainsi une vraie diversité sociale. Elle a défini 149 mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Ces mesures n’ont finalement été que très peu retenues par le gouvernement, provoquant une grande déception.
Vous pouvez retrouver l’ensemble des mesures sur le site officiel de la Convention.
L’autrice croit en l’importance de ces mouvements, même contrariés, car ils « expriment une demande de démocratie politique définie par la capacité collective des citoyens à s’organiser pour contrôler les représentants, voire prendre des décisions, et une demande de démocratie sociale, avec la nécessité de prendre en compte les plus démunis. »
Un risque de « démocratie furtive » ?
Cependant, la démocratie participative ou délibérative ne doit pas être perçue comme la solution ultime à tous nos problèmes démocratiques. La crise actuelle peut certes s’expliquer par la faible confiance envers les institutions, mais aussi par une volonté de repli sur la vie privée et de ne pas s’engager politiquement. La seule mise en place de dispositifs participatifs n’y pourraient rien. Le danger serait de dériver vers une « démocratie furtive », ou au risque de la limitation des libertés publiques, puisque les affaires publiques seraient remises à des experts.
Il ne faut cependant pas négliger la vive expression démocratique qui traverse le pays mais également le monde, où de nouvelles formes de représentation, de citoyenneté et des modes de gestion des communs s’inventent et se réinventent.
« L’histoire à venir de la démocratie politique est sans doute celle d’une meilleure articulation et hybridation de ces formes, plutôt que d’une coexistence hiérarchisée qui peine à susciter de la confiance. »
Les différentes formes que peut prendre la démocratie, qu’elles soient représentatives, délibératives, participative, ou directe, sont souvent perçues comme détachées les unes des autres. Pour Marion Paoletti, il nous faut en réalité les combiner, pour espérer un véritable renouveau.