Publié le 23 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.
La fin d’un projet alternatif
Anaïs Denet, ZAD. Une histoire de la violence : l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes, Denoël, 2024
Anais Denet est une journaliste et autrice française. ZAD est le livre qui concrétise la rencontre entre ses deux métiers, en transmettant par écrit l’histoire qu’elle a pu couvrir en tant que journaliste en 2018. Elle y retrace l’histoire des affrontements qui ont mis fin à la Zad de Notre-Dame-Des-Landes, et s’interroge sur leur finalité.
Alors que tout menait à croire qu’en 2017, la mobilisation citoyenne – qui avait commencé en 2009 – contre l’implémentation d’un aéroport dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes était une victoire ; 2500 militaires sont envoyés du 09 avril au début juin 2018, – pelleteuses, drones et véhicules blindés compris – afin de “rétablir l’ordre”. Il s’agit de la plus grosse opération jamais menée en métropole, mobilisant 40% de l’effectif disponible en France pour déloger les zadistes. Anaïs Denet écrit l’histoire de cet affrontement hyper médiatisé, à travers le témoignage indirect – excepté celui de l’autrice qui couvrait les affrontements pour RMC/ BFMTV – de multiples “protagonistes” présents au moment des faits (zadistes, militaires, préfète, etc.).
Mise en contexte
Le but de l’opération, pour les militaires, est de détruire les lieux de vies que se sont appropriés des individus sans logement : il y a 97 squats à évacuer. Ces quelques centaines de personnes vivent en quasi-autonomie dans la ZAD depuis 2012 (en signe de contestation au rasage des maisons par les gendarmes) ou plus, et certains produisent leurs propres fruits et légumes, fromages et viande. Ils ne constituent pas l’ensemble des militants, car certains habitants des régions alentour sont des alliés de taille lors des affrontements. Ceux-ci se caractérisent par beaucoup de violence, mais surtout par une alternance incessante entre destruction et reconstruction.
Organisation
La ZAD possède sa propre radio squattée sur une fréquence locale de Vinci autoroutes. Pour l’affrontement avec les forces de l’ordre, les zadistes sont organisés en petites équipes d’une cinquantaine de personnes aux tâches précises : tendre des pièges, bloquer, barricader, charger des munitions et lancer des munitions. En cas d’interpellation par les gendarmes, elles disposent de consignes et de petits livrets avec des numéros d’avocats.
Du côté des zadistes, les armes sont très hétéroclites : catapultes, cocktails Molotov, fils de fer, bouteilles d’acide et de gaz, montagnes de pneus et de foin enflammées, raquettes de tennis (pour renvoyer les projectiles)… Du côté des gendarmes, en revanche, les grands moyens sont déployés : au-delà de leur supériorité numérique, ils sont dotés de véhicules blindés, de pelleteuses, de grenades lacrymogènes et GLI-F4 et de gaz au poivre.
Moments clés de la lutte
La destruction des “Cents Noms”
Le 09 avril, la lutte commence très tôt, vers 6-7h du matin, même si tout le monde est présent dès 4h du matin. Dès le premier jour, les gendarmes détruisent les “Cents Noms”, une ferme qui contient des “projets agricoles aboutis”, qui n’étaient pourtant pas censés être menacés (il s’agissait de la condition déterminée avec la préfète pour ne pas être délogé). C’est une trahison pour les zadistes, qui, en plus de cette ferme à laquelle ils tiennent (pour ses ressources et sa symbolique), s’inquiètent du sort de la faune environnante.
La journée des barricades
Une fake news relayée par Le Journal du Dimanche montre une photo sur laquelle un zadiste est muni d’un fusil de chasse, alors que chaque camp est absolument résolu à éviter les morts (le gouvernement a peur de se mettre à dos l’opinion publique et le combat est trop “joué d’avance” pour se le permettre). La nouvelle se répand comme une traînée de poudre du côté des gendarmes, qui savent que les zadistes, à défaut de tuer, savent blesser.
La journée est également particulièrement marquée par deux situations : le recul d’un char blindé enflammé face aux zadistes, et le lancement d’une fusée anti-grêle qui loupe de peu l’hélicoptère des militaires. Le gouvernement souhaite, en réponse, détruire le phare de la Rolandière, qui est à la fois un symbole important dans la lutte contre l’aéroport et un point central pour l’organisation des zadistes (il y a notamment des bureaux et du matériel informatique qui permet de nourrir leur site internet). Néanmoins, la préfète parvient à convaincre ses interlocuteurs (notamment le ministre de l’Intérieur) d’abandonner cette idée.
“L’assaut final”
Le troisième jour, une cinquantaine de véhicules de la gendarmerie se dirigent vers les “Fausses noires”. L’assaut se passe en temps de “pause”, car les militaires ont perdu trop de terrain la veille, et doivent remplir des “objectifs chiffrés”.
La trêve
La trêve est déclarée le vendredi 13 avril, mais elle est seulement synonyme d’un arrêt des expulsions : la préfète annonce le maintien des forces de l’ordre pour trois semaines. Cette trêve intervient dans un contexte dans lequel 29 des 97 squats prévus ont été délogés, et où la mobilisation nationale et locale en faveur des zadistes se renforce (manifestation prévue, routes barrées [dont une nationale], renfort pour la lutte et la reconstruction…). Les négociations avec le gouvernement se terminent par la réintroduction de la capacité à rester si un “projet agricole” (cette fois-ci avec des démarches facilitées) est déclaré sous 10 jours.
Mauvais présage pour les zadistes
Courant avril, la “barricade des lascars”, imprenable depuis le début des combats, tombe. Le lendemain, c’est la charpente (un symbole de la reconstruction incessante qui sert aussi de lieu de réunion) qui est détruite.
Avec la fatigue et le départ des soutiens, à la date du 20 avril, la majorité de zadistes cèdent et remplissent les formulaires de projets agricoles ou artisanaux, notamment en construisant des projets solides pour ceux qui n’en avaient pas. Les zadistes se divisent alors entre “les bons”, ceux qui se sont “soumis” à la légalité, et les “mauvais”, ceux qui n’obéiront jamais à l’État.
Nouvelle trêve
Pour laisser du temps aux occupants qui n’ont pas déposé de projets, une nouvelle trêve (encore une fois qui concerne les expulsions) est annoncée entre le 26 avril et le 14 mai. Les expulsions reprennent le 17 mai.
Nouvelle phase d’expulsion
Le gouvernement requiert que le travail des gendarmes soit fait en trois jours pour une dizaine de squats. Leur destruction est une réussite, car les zadistes dont les projets agricoles ou artisanaux ont été fraîchement validés ne prennent pas le risque de se battre.
Les jours suivants, le Carrefour de la Saulce, point clé des affrontements, est repris par les gendarmes. Les expulsions restantes se terminent en une matinée le jeudi 17 mai, avec l’évacuation totale de 39 squats. Elles continueront, de même que de petits affrontements, après cette date, mais il n’y aura plus beaucoup de résistance (désertion ou abandon).
Enfin, le 04 juin, quinze zadistes viennent faire signer leur convention d’occupation précaire à la préfecture : c’est un événement fort qui marque symboliquement la fin de l’affaire.
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L’autrice conclut que cette expérience, à la fois en tant qu’être humain et que journaliste, l’a profondément bouleversé. Elle termine son ouvrage en posant une multitude de questions, qu’elle laisse sans réponse (induisant que c’est aussi au lecteur ou à la lectrice de se les poser) : la violence de l’État était-elle légitime ? Est-ce que le respect de l’État de droit nécessitait d’expulser aussi violemment des zadistes ? L’État réalise-t-il qu’il s’agit seulement du début des luttes écologiques ? Qui a vraiment gagné dans cet affrontement ?