Publié le 20 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.
Y’a du nouveau dans la lutte des classes…
Michael Lind, The new class war, saving democracy from the Metropolitan elite, 2020
Michael Lind est un auteur, éditeur et professeur américain. Il est autant auteur de fictions, de livres pour enfants et de poésie que contributeur régulier pour le New York Times et le Financial Times. Renouvelant la théorie marxiste de lutte des classes, il explique ici comment reconstruire un nouveau pluralisme démocratique, vraiment efficace.
Michael Lind dresse ici l’état des lieux de la lutte de classes, et recherche une alternative viable au dualisme technocrate / populisme.
Il dénonce la polarisation des démocraties occidentales entre des classes supérieures oligarchiques (managers, universitaires, élites diverses que l’auteur appelle les “insiders”) d’un côté, et des classes ouvrières, une majorité dénuée de force d’action (divisées entre un groupe “natif”, et un nouveau groupe “immigré”, les “outsiders”), de l’autre. Les organisations qui les lient (les liaient) s’essoufflent et tendent à disparaître, permettant la centralisation du pouvoir autour du gouvernement, des institutions judiciaires, des médias, des entreprises et des bureaucraties.
Dans ce contexte, les “insiders” et les “outsiders », par leur habilité à détenir et garder le pouvoir, menacent l’équilibre démocratique. Selon Michael Lind, cette pente est dangereuse car elle n’a qu’un horizon : celui d’un monde dans lequel le populisme et la technocratie oscillent.
Trois faces d’un même pouvoir
L’auteur schématise la politique actuelle occidentale par un conflit à trois faces :
- La première est composée du premier segment des classes ouvrières : les travailleurs immigrés et issus de minorités, avec des droits réduits et leur lot de discriminations ;
- La deuxième est composée du deuxième segment de la classe ouvrière : les “nationaux” dont le statut économique, politique et culturel serait menacé à la fois par le premier segment et par les classes supérieures ;
- La troisième : les classes supérieures et élitistes, en majorité blanches, seules bénéficiaires de cette division du travail.
Pour lui, le problème qui lie ces trois faces est le pouvoir. La gouvernance technocratique a eu pour double effet de pérenniser la difficulté d’ascension sociale et d’accumuler des griefs (dû aux effets de la division du marché du travail, de la perte d’influence culturelle, etc.) des classes populaires. Avec le déclin des représentations (syndicats, institutions, églises, partis politiques), cette distance entre un groupe minoritaire et uni, et un groupe majoritaire en compétition (pour le dire grossièrement, la classe immigrée contre la classe nationale) a été le sédiment d’un regain d’intérêt pour le populisme. Il est néanmoins important de souligner que les adhérents au populisme sont présents dans tous les groupes, en particulier parmi la droite populaire, le centre élitiste et la droite élitiste.
Cependant, selon Michael Lind, le populisme est aujourd’hui réactionnaire, inconstant et orienté vers la recherche d’intérêts propres, et c’est précisément ce qui en fait sa faiblesse. Les populistes d’aujourd’hui (à l’exception des grandes figures comme Donald Trump ou Javier Milei) manquent d’un agenda politique positif, et d’une alternative institutionnelle stable. L’auteur résume en affirmant que les populistes sont forts pour faire campagne, mais pas pour gouverner, d’où leur inconstance.
Contrebalancer le pouvoir : vers un nouveau pluralisme démocratique
Selon Michael Lind, une démocratie requiert des négociations institutionnelles constantes avec des groupes sociaux munis d’un argumentaire légitime pour défendre leurs propres valeurs et intérêts. En cela, ni la technocratie néolibérale, ni le populisme démagogique ne sont des formes de démocratie, car ils ne représentent qu’une minorité de citoyens.
La seule résolution entre les clans polarisés serait, dès lors, de reconstruire une représentation sincère et pérenne, plutôt que celle, virtuelle, proposée par les populistes. Pour cela, la classe dominante devrait accepter de partager le pouvoir avec la classe majoritaire, et cela inclurait l’émancipation des travailleur.ses issu.es du groupe national comme du groupe immigré, en restaurant leur pouvoir décisionnel (et ce pour les trois domaines du pouvoir social que sont la politique, l’économie et la culture).
Voici, en ce sens, les propositions concrètes de l’auteur pour reconstruire le lien social et émanciper les classes populaires :
- Dans un premier temps, ne pas considérer que ceux qui votent pour les populistes seraient idiots, manipulables, ou sous le joug de puissances étrangères. Cela ne permet pas d’appréhender correctement les griefs qui motivent ces votes et nourrit les discours populistes ;
- Dans un second temps, construire un modèle allant au-delà des élections pour la participation citoyenne. Le pouvoir gouvernemental serait supplanté par un pouvoir territorial, assisté par une multitude d’organes, de commissions et de comités propres dotés d’une capacité d’impulsions dans les villes (budgets participatifs, etc). La représentation serait alors boostée, car chaque citoyen serait éligible ;
- Redonner du pouvoir d’agir aux petites villes et provinces, grâce à une administration représentative (des citoyens, des cultures et des croyances) qui empêcherait le plein pouvoir des juges et des élites, grâce à des agences indépendantes surveillées par des commissions. Dès lors, la multiplicité des acteurs, des comités, des sujets abordés et des négociations décèlerait plus facilement les tentatives de concentration de pouvoirs et pourraient s’attaquer de façon efficace aux discours démagogues ;
- Enfin, subordonner l’influence internationale au gouvernement national pour les politiques publiques et les lois. Le système européen et international serait ainsi relayé au second plan, au profit d’une marge nationale d’appréciation concernant les politiques publiques (sur des domaines tels que le marché ou l’immigration), pour privilégier la démocratie à l’échelle nationale.
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Depuis la fin du 20ᵉ siècle, les sociétés néolibérales et technocratiques qui nous ont gouvernés ont été destructrices, et ce, particulièrement pour l’ensemble de la classe ouvrière. Selon l’auteur et en conclusion de ce livre, la façon la plus efficace de convaincre les élites dirigeantes d’abandonner ce système technocratique est de démontrer qu’il renforce la menace populiste. Dès lors, le seul moyen de prévenir ce populisme serait une nouvelle démocratie pluraliste et inclusive, qui forcerait les élites à partager le pouvoir avec l’ensemble de la classe ouvrière, et ce dans les domaines économiques, politiques et culturels, afin que chacun devienne un “insider”.