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Pourquoi les Français sont-ils de plus en plus Révolutionnaires ?


Publié le 10 janvier 2021. Mis à jour le 23 septembre 2024.

Abel François, Raul Magni-Berton et Simon Varaine, « Revolutionary Attitudes in Democratic Regimes » dans Political Studies (disponible en accès conditionnel ici).

 

Les Français.es sont-ils de plus en plus révolutionnaires ?
C’est en tout cas la conclusion d’un sondage Ifop de mars 2019 : 39% des Français.es estiment qu’une révolution serait nécessaire pour réformer le pays, contre 15% en 2008. Une opinion qui croît d’ailleurs dans toute l’Europe (sauf en Suède), puisque la moyenne générale de “révolutionnaires” est passée de 4,5% en 1990 à 8% en 2008.
Ces chiffres paraissent difficilement compréhensibles : le régime démocratique n’est-il justement pas garant de la possibilité de réformes et de changements ? L’exercice de son droit de vote n’est-il pas le moyen de changer les choses, sans pour autant tout remettre à zéro ? Pourquoi de plus en plus de citoyens et de citoyennes se tournent-ils (ou envisagent de le faire) vers la désobéissance, voire la violence ?

Pour répondre à ces questions, trois chercheurs en sciences politiques nous offrent des pistes de réflexions à partir d’une étude particulièrement fouillée, incluant près de 40 000 personnes de 15 pays européens, sur la période 1990-2008.

 

Les raisons d’un désir insurrectionnel

Selon les auteurs, le désir insurrectionnel tient à 3 facteurs principaux :
– L’absence de représentation ;
– La quasi-absence d’alternance ;
– La faiblesse des vrais contre-pouvoirs.

De plus en plus de citoyens et citoyennes votent pour des partis qui n’ont aucune chance d’accéder au gouvernement, engendrant un fort sentiment de frustration et une certaine envie révolutionnaire. Les “remettre sur le chemin de la démocratie” (si tant est qu’il n’en existe qu’un seul) supposerait donc, selon les auteurs, d’amender les institutions pour mieux représenter les perdant.es du système électoral.
L’étude démontre en effet que ce sont bien ceux qui soutiennent les partis d’opposition qui forment la majorité des partisans et partisanes d’un changement par la révolution. Plus leur parti est loin du pouvoir, plus leur désir de révolution est grand, peu importe le niveau de richesse ou la couleur politique. Cette tendance est renforcée dans des pays comme la France, où les institutions offrent une prime de pouvoir au parti majoritaire et ne laissent aucune- ou si peu- place à l’opposition.

 

Les facteurs pacificateurs d’une démocratie

Le philosophe britannique Karl Popper déclarait pourtant que “dans une démocratie, on peut se débarrasser d’un gouvernement sans effusion de sang”. Sans entrer dans un imaginaire forcément sanglant, il est désormais clair que les citoyens et citoyennes se montrent désabusés du système qui les gouverne, et que la possibilité d’influer un changement au sein même des limites qu’il pose paraît de plus en plus illusoire. Comment pourrait-on alors “pacifier” notre démocratie ?

Les auteurs identifient trois éléments de réponse :

  • La règle majoritaire : “si la majorité l’a voulu, nous devrions l’accepter…”
    En réalité, nous sommes naturellement plutôt mauvais perdants. Lorsque nous perdons des élections, nous avons tendance à penser… que les règles du jeu sont mauvaises. Pour contrer cette insatisfaction, il faudrait ‘tout simplement’ réduire le nombre de perdants politiques. Or, nos régimes ont plutôt tendance à faire l’inverse : le nombre de personnes qui ne sont pas représentées au gouvernement est en hausse dans tous les pays. En France, le gouvernement représente 2 fois moins de Françaises et de Français en 30 ans : 70% des Français n’étaient pas
    représentés en 1990, contre 85% en 2017.
  • L’alternance : “j’ai perdu cette fois-ci, mais je gagnerai la prochaine fois”
    Si je pense que mes idées, ou mon parti, n’ont aucune chance d’accéder au pouvoir, alors les probabilités que je sois favorable à une révolution augmentent. En revanche, si j’ai confiance en ce que les institutions favorisent l’alternance, elles diminuent.
  • La division du pouvoir
    Si le pouvoir est partagé au sein des institutions et qu’il existe de véritables
    contre-pouvoirs, les perdants politiques ne perdent pas toute influence sur la décision politique. Il n’est donc pas étonnant que les démocraties dont les élections fonctionnent à la proportionnelle et dont le pouvoir est correctement réparti engendrent moins de volonté révolutionnaire : le Danemark a ainsi le taux le plus faible du panel (1,5%) tandis que le France a le taux le plus élevé. Il faut dire que les élections législatives de 2017 ont attribué 62% des sièges de l’Assemblée nationale à 15% des inscrits. La plupart des partis pour lesquels les Français ont voté ne sont donc pas en position d’influer sur la politique nationale, que ce soit au sein du Parlement ou en dehors (via des systèmes de démocratie directe par exemple).

A noter que le sentiment révolutionnaire est aussi fort chez les abstentionnistes que chez les votant.es et ne correspond donc pas à leur participation effective au jeu politique actuel. Pour améliorer la situation et renforcer l’adhésion démocratique, les auteurs voient comme seule issue l’amélioration de la représentation citoyenne, par l’utilisation d’un système proportionnel et d’outils de démocraties directes, permettant aux citoyens non représentés de gagner quelques batailles politiques.

Il serait toutefois intéressant de mettre ces résultats à la lumière de la relation particulière qu’entretient la France avec l’idée révolutionnaire, profondément ancrée dans son histoire et dans sa mémoire nationale. Il faudrait également, pour être tout à fait complet, questionner la notion même de “révolution”, qui n’est pas forcément synonyme de violence, et qui peut même parfois s’appliquer à certains changements radicaux de paradigme. Ainsi, la mise en place de la Sécurité Sociale en 1946 peut être considérée comme une “révolution” en ce sens qu’elle a profondément modifié la structure même de l’Etat-Providence.
Le passage d’un système représentatif à une démocratie participative ancrée dans la débat citoyen ne pourrait-il pas être envisagé sous le même prisme ?


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