Publié le 17 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.
Démocratie et religion, un couple irréconciliable ?
Hartmut Rosa, Pourquoi la démocratie a besoin de la religion, La Découverte, 2023
Hartmut Rosa est un philosophe, écrivain et sociologue allemand. L’ensemble de ses ouvrages, et notamment Accélération. Une critique sociale du temps, reconnu à l’international, s’attache à repenser le rythme effréné de la société moderne, qui, selon lui, épuise autant les ressources naturelles qu’humaines. Selon lui, le débat public est devenu agressif et inaudible. Seule l’Eglise pourrait nous redonner une direction et une identité communes.
Dans cet ouvrage, Hartmut Rosa affirme que pour parvenir à l’harmonie et au vivre ensemble dans la société, nous avons besoin de résonance. Cela nécessiterait une volonté profonde d’écoute et de considération de l’autre, avec la religion comme sphère clé pour dépasser des clivages fondamentaux.
Cependant, comment parvenir à cet idéal dans une société d’« immobilité fulgurante » — une société frénétique, mais figée (en ignorant où elle va) — à l’heure où la démocratie est menacée de l’intérieur comme de l’extérieur ? Cet essai tente de répondre à cette question d’un point de vue sociologique, en proposant l’Église comme institution primordiale pour reconstruire l’harmonie.
Diagnostic de départ
L’auteur commence par faire un diagnostic de la société moderne, qu’il appelle « stabilisation dynamique ». Cela signifie que notre société moderne tient sa stabilité (préservation des emplois, du système de retraite, de réponse aux besoins énergétiques, etc.) d’une croissance permanente et des innovations. Nous dépensons toujours plus d’énergie (physique, psychique, politique) pour maintenir cette croissance à niveau, afin d’assurer l’état des choses telles qu’elles le sont déjà. Cet épuisement à tous les niveaux aboutit à un burn out collectif et à une agressivité dans notre appréhension du monde et des autres ; d’autant plus qu’avec la crise climatique, croître encore et toujours plus paraît voué à l’échec.
Dans cette perspective, nous sommes aussi de plus en plus défaitistes vis-à-vis de l’avenir : quand les générations précédentes se préoccupaient d’offrir une liberté économique à leurs enfants, aujourd’hui, nous cherchons à empêcher que la vie de nos enfants soit pire que la nôtre.
L’Eglise comme alternative
En réponse à ce portrait plutôt pessimiste de notre « immobilité fulgurante », l’auteur avance que l’Église (en tant qu’institution) est la plus viable des alternatives.
Tout d’abord, l’auteur part du postulat que la démocratie de l’agressivité n’est pas viable. Il ne suffit pas que chacun ait sa propre voix ; il faut que l’on veuille écouter celle des autres et y répondre. L’entente réciproque permettrait la transformation réciproque, c’est-à-dire un nouveau départ. L’Église serait l’institution qui nous exercerait à cette transformation grâce à ses rites, ses enseignements et ses mythes : il ne tiendrait qu’à nous de sortir de nos considérations et de nous laisser appeler.
C’est à partir de cet appel qu’Hartmut Rosa tire la notion de résonance : il s’agit d’un moment qui ne dépend pas de notre volonté, qui s’articule autour d’une rupture avec notre habitus, une connexion avec l’origine de cette rupture et une transformation de notre pensée (c’est-à-dire la naissance d’un nouvel horizon).
Enfin, cet état de pensée serait permis par la capacité à se rendre vulnérable et par un contexte social adéquat. Selon lui, l’une des aspirations de la religion est de proposer de tels espaces (rupture avec le temps et la croissance), en permettant la résonance entre nous et avec un autre monde, via une relation “répondante”. Il avance, par exemple, que dans les moments de prières, ceux qui prient entrent autant en résonance avec eux-mêmes qu’avec l’extérieur ; induisant que l’essence de l’existence est une relation de résonance.
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Selon l’auteur, la religion, à travers l’Église, permettrait ainsi d’entrer en communion avec ce qui a attrait à l’extérieur, en se laissant transformer pour être en résonance les uns avec les autres. Il aborde d’ailleurs positivement notre capacité à nous tourner vers cette résonance, en expliquant que les croyances telles que l’astrologie, la lithothérapie (le pouvoir des pierres), ou l’attachement à la nature traduisent cette volonté.