Accueil > Analyses et Enjeux > Pour en finir avec la démocratie participative

Pour en finir avec la démocratie participative


Publié le 15 janvier 2025. Par Cloé Lachaux. 

Contrer l’essoufflement démocratique

Manon Loisel, Nicolas Rio, Pour en finir avec la démocratie participative, Editions textuel, 2024.

Manon Loisel est enseignante à Sciences Po, chroniqueuse pour Alternatives Économiques, et chercheuse-consultante en politiques publiques territoriales, et Nicolas Rio chercheur en sciences politiques et consultant en stratégies territoriales. Ils sont tous les deux collaborateurs au sein de Partie Prenante, une boite de conseils en coopérations territoriales. 

Fort de leur expérience en gouvernance locale aux côtés d’acteurs publics, cet ouvrage décrypte la fabrique de l’action publique, et propose des pistes de réflexion pour remettre les citoyens en son sein. 

 

Dans cet ouvrage, Manon Loisel et Nicolas Rio affirment que la participation citoyenne accentue les limites de la démocratie représentative. En partant de l’échec du Grand Débat et de la Convention Citoyenne pour le Climat, et de la frustration engendrée, les coauteurs présentent quelques pistes de réflexion pour répondre aux problèmes identifiés après avoir travaillé auprès d’élus. Leur livre postule que la démocratie participative ne souffre pas seulement d’un défaut d’application, mais surtout d’une défaillance structurelle.

 

Depuis la crise des Gilets Jaunes en 2018, non seulement les institutions peinent à transformer les propositions citoyennes en mesures d’action publique, mais un système pyramidal tout sauf délibératif (notamment avec le covid-19) s’est remis en place. Pour Manon Loisel et Nicolas Rio, la désillusion est accentuée par l’inertie de nos institutions et le sentiment que nos voix ne comptent pas. On peut résumer ainsi les problèmes décelés : 

  • Les efforts des politiques publiques se concentrent sur le format des dispositifs de participation citoyenne plutôt que sur leurs effets ;
  • Il y a un manque de continuité au sein des institutions, car ceux qui recueillent les témoignages citoyens n’ont pas la capacité de produire des politiques publiques (en résulte un sentiment d’inutilité pour les organisateurs, et de perte de confiance en la démocratie pour les participants) ;
  • Les innovations démocratiques se succèdent au lieu de considérer les échecs précédents ;
  • La participation est toujours organisée – et donc, contrôlée – par des institutions et ne résulte pas de l’initiative citoyenne ;
  • Le processus de participation citoyenne accentue une asymétrie entre citoyens, car ce sont les mêmes qui participent et qui votent, (c’est la « présentocratie »), laissant en marge ceux qui ne sont ni représentés par les élus, ni par les mesures.

 

Pour contribuer à la résolution de ces problèmes structurels, Manon Loisel et Nicolas Rio pensent, dans un premier temps, la démocratie participative comme un moyen de compléter la démocratie représentative (et réciproquement). Par exemple, la participation citoyenne devrait être envisagée en priorité par l’accès aux débats et aux institutions, en ciblant ceux qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer (les groupes les plus absents sont souvent les plus précaires). Cela tendrait à l’idéal de la souveraineté du peuple et à l’enrichissement du débat, avec la possibilité pour chaque personne d’avoir une voix qui pèse. Il incomberait, dès lors, aux représentants de redistribuer et rééquilibrer le pouvoir en construisant le dialogue à partir des « inaudibles » (cela impliquerait la perte de pouvoir sur la vie des autres pour ceux qui s’expriment déjà). 

 

Il s’agirait, dans un second temps, d’inverser la tendance de la participation citoyenne, car “à quoi bon laisser les citoyens s’exprimer si personne ne les écoute” ? Cette résolution devrait être le fait des institutions en repensant leur capacité d’écoute, de dialogue et de prise en compte de chaque voix. Dans cette perspective, Manon Loisel et Nicolas Rio avancent la possibilité d’introduire des contre pouvoirs (des formats d’expression citoyenne échappant aux dispositifs formels institutionnels) et des contre-expertises dans la fabrique des politiques publiques, afin de sortir du contrôle des institutions. Il s’agirait, par exemple, de remplacer les réunions publiques par l’audition directe de citoyens, au même titre et modalités que les experts, pour fabriquer l’action publique et se représenter leur vécu (exemple de l’efficacité de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église paru en 2021). Cela servirait l’incarnation, sans intermédiaire, et serait un élément clé de l’expérience démocratique pour toutes les parties. 

 

Enfin, Manon Loisel et Nicolas Rio proposent de replacer la délibération au cœur des institutions, et ce, à chaque échelle (locale comme nationale), pour en faire autant des lieux de débats que de décisions. Actuellement, des décisions unilatérales résultent de l’absence de délibération politique collective lors de la fabrique de l’action publique. La délibération collective permettrait une meilleure représentativité, une orientation effective de l’action publique et un cadre efficace de négociations pour l’engagement des parties prenantes (et éviter l’inaction). 

 

*

Selon Manon Loisel et Nicolas Rio, la démocratie participative “accentue la crise qu’elle prétend résoudre”. Il s’agirait d’une fausse piste, qui séparerait le “eux” et le “nous” en accentuant une défiance mutuelle. Ce serait au contraire, le partage du pouvoir qui prévaudrait dans une démocratie idéale, avec des populations intégrées aux assemblées et s’exprimant en leur nom propre. 

Les coauteurs concluent cet ouvrage en arguant que l’idéal d’incarnation serait un système de tirage au sort, et insistent sur la nécessité d’élaborer collectivement et efficacement des politiques publiques, plutôt que de s’essouffler – élus comme citoyens – à repenser la démocratie participative.


Retour en haut