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Peuple, par Déborah Cohen


Publié le 23 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.

Toc toc… C’est le peuple à la porte

Déborah Cohen, Peuple, Anamosa, 2019

Déborah Cohen est maîtresse de conférence, écrivaine et historienne, spécialiste des mouvements de résistance populaires et des révolutions. Dans l’ensemble de ses ouvrages, elle s’intéresse aux discours des élites face au peuple, qui de tout temps ont essayé d’en réduire la portée politique. L’historienne s’interroge ici sur les usages du mot « peuple » et plaide pour le sortir de la symbolique dans laquelle les discours politiques et médiatiques l’ont enfermé.

 

Dans cet ouvrage, Déborah Cohen cherche à reconquérir l’essence « du peuple », un mot repopularisé par Marine Le Pen et désormais omniprésent dans les discours politiques et médiatiques. Mais bien qu’il soit aujourd’hui sur-utilisé, il est souvent réduit au populisme, ce qui nous éloigne à la fois de son sens premier et des explications de son retour dans le langage courant. 

 

Le peuple unificateur

Le peuple ne désigne rien ni personne en particulier, et à la fois tout le monde. La composition des cortèges des “gilets jaunes” en est symptomatique : ils réunissaient tous les âge, toutes les professions, toutes les catégorie sociale, toutes les origines… Dans ce cas – et comme dans de nombreux autres – le peuple a été défini par une opposition à un groupe dominant (réciproquement non-homogène). L’autrice décrit alors le peuple comme une hydre à plusieurs têtes, dont le corps représente la domination subie et dont la voix représente un discours. Ce discours permet, d’une part, de s’identifier en tant que tel, et, d’autre part, d’être identifiable en se présentant comme un (indignation face au mépris, sentiment d’injustice, de précarité…). 

 

Utilisation politique

Dès lors, ceux qui se représentent comme leaders de ce peuple offrent une incarnation ou un lien entre cette masse et sa capacité à agir concrètement – face à la conscience d’une force d’action négligée et donc négligeable – en politique. Ces leaders ont compris qu’au-delà de sa définition, c’est la raison de la pérennité du « peuple » qui compte. Il s’agit à la fois d’une force identitaire, de production (de revendications, d’influence, de connaissances…), de légitimité (pour ces leaders) et de contre-pouvoir pour les dominants. Ce peuple est à la fois inclus dans les discours politiques (élites et gouvernants prétendent faire au nom du peuple) et exclu (ses paroles, ses membres et ses décisions sont négligées).

 

Pour une réappropriation populaire

Toutefois, pour Déborah Cohen, le peuple est avant tout une arme de la critique, dont les masses doivent absolument se réapproprier. Le peuple, avant d’être un discours, est une collection de profils, de croyances, d’expériences et de lutte. Il s’agit d’un corps reconnaissable et visible, dont l’existence tient à sa capacité à agir et à affecter le monde qui l’entoure, sans considérer le point de vue de ses oppresseurs (elle cite, par exemple, la visite de Melania Trump dans un camp de réfugiés disant “ I really don’t care. Do you ?”). 

Il ne s’agit pas de les convaincre de la puissance du peuple, mais de sortir de cette définition apposée en faisant différemment. Il s’agit de se réapproprier en construisant autre chose, et en déconstruisant la fatalité prophétique attribuée au « peuple ». Selon elle, c’est par l’activisme que cet engagement passe.

 

*

Selon Déborah Cohen, les réflexions, les actions et les mobilisations collectives peuvent à la fois s’autoproclamer peuple comme ne pas se proclamer du tout. Il s’agit seulement pour les individus qui se reconnaissent sous cette appellation, de s’y identifier et de se mettre d’accord sur le commencement d’une nouvelle société, avec chacun sa propre manière d’y contribuer. Elle conclut que « nous n’avons pas forcément besoin de mot pour nous retrouver ».


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