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Open democracy : reinventing popular rule, par Hélène Landemore


Publié le 20 janvier 2025. Par Cloé Lachaux. 

Ouvrez les portes !

Hélène Landemore, Open Democracy. Reinventing Popular Rule for the Twenty-First Century, Princeton, 2020

Hélène Landemore est professeure de sciences politique à Yale et chercheuse à l’institut d’intelligence artificielle d’Oxford. Son engagement en faveur d’un renouveau démocratique n’est pas réduit à cet ouvrage, puisqu’elle est notamment reconnue pour ses prises de positions en défaveur des métiers du politique et d’alternatives démocratiques aux systèmes actuels. En se basant sur l’expérience islandaise de démocratie directe, elle plaide ici pour plus de participation citoyenne, arguant que celle-ci rendrait la décision politique plus inclusive et efficace. Elle en profite pour déconstruire quelques idées reçues, systématiquement utilisés pour s’opposer à l’inclusion du plus grand nombre dans la gestion de la cité.

 

A partir de l’expérience de Constitution islandaise écrite par 950 citoyens de 2010 à 2013, Hélène Landemore interroge la pratique actuelle de la démocratie. Elle pense que cette expérience est le signe que l’on peut radicalement réinventer les processus de conception des lois et, plus largement, radicalement changer notre approche sur ce que l’on considère être les meilleurs régimes politiques.

Dans ce livre, elle souhaite ainsi introduire un nouveau paradigme, celui de la “démocratie ouverte”, régime idéal ou l’exercice du pouvoir serait accessible aux citoyens via de nouvelles formes de représentation. Elle pense ainsi un régime non électoral, en prenant en compte les erreurs profondes de la démocratie électorale et représentative qui est, selon elle, sous le joug de l’élitisme. Plus largement, elle souhaite exploiter le potentiel de cette “démocratie ouverte” comme une réponse optimiste à la crise démocratique, et ce, en mettant au cœur de son ouvrage le pouvoir du peuple.

 

Echec du système et fausses solutions

Pour Hélène Landemore, la crise démocratique, bien que due à de multiples facteurs endogènes et exogènes, peut aussi être pensée comme une erreur de design du modèle. Ce design pourrait même être à l’origine de certains accélérateurs de cette crise, tels que la montée des inégalités économiques et les effets négatifs de la mondialisation (car la mondialisation a été un objectif des élites libérales au pouvoir). Ce ‘design’ limite notamment la participation citoyenne au vote.

Pour pallier ce manque de participation, des solutions telles que la démocratie directe sont des leurres : les citoyens ont bien le dernier mot, mais ne sont pas engagés dans les processus d’élaboration ni de délibération (car sans représentation, ils seraient trop nombreux), avec de surcroît, l’absence de médiation. De ce fait, l’autrice pense un système d’assemblées où la légitimité citoyenne dépasserait les élections, tout en restant représentatif et délibératif. 

 

Inclure les citoyens en repensant la représentation

Elle envisage plusieurs modes de représentation, telles que « la loterie » (les membres d’une assemblée législative seraient sélectionnés par lots, doublé d’une rotation régulière de nouveaux membres) ; l’auto-sélection (les citoyens volontaires auraient constamment accès aux assemblées) et le « liquide » (représentation des citoyens sur la délégation des votes d’autres citoyens). C’est probablement la combinaison de ces trois modèles qui maximiserait la participation des « citoyens ordinaires » et l’inclusivité de leurs décisions, car tous auraient tendance à défendre les intérêts d’autres groupes. Hélène Landemore appelle ce système « gouverner et être gouverné tour à tour ». Même sans processus électoral, la légitimité des représentants tiendrait à l’autorisation de la majorité à construire ces assemblées selon les modes de sélection précédemment proposés, pour remplacer le consentement actuel (qu’elle pense illusoire) à la représentation nationale. La légitimité tiendrait ensuite à la capacité de délibération, de transparence et à l’efficacité des assemblées.

L’autrice élabore ensuite un modèle de construction de sa « démocratie ouverte » autour de cinq principes, tous facilités par les technologies actuelles : 

  • le droit à la participation (qui assurerait la fonction authentique des institutions en conservant une structure stable et en protégeant les citoyens contre les abus et la concentration de pouvoirs) ;
  • la délibération (institutionnalisé et délimité par des règles pratiques) ;
  • le principe majoritaire (avec les citoyens qui évalueraient et jugeraient collectivement des alternatives disponibles) ;
  • la représentation démocratique (elle pense que le meilleur modèle est celui de la loterie) ;
  • la transparence (en particulier dans les moments de transitions). 

Le référendum, également souvent présenté comme une solution à la crise démocratique, serait conservé, mais pas de façon centrale. Hélène Landemore présume en effet que les lois votées par les assemblées citoyennes seront très efficaces et consensuelles.

 

En outre, selon l’autrice, l’exemple de la solution, mais surtout de la réussite islandaise, donne un souffle d’espoir pour la concrétisation de la « démocratie ouverte ». Après la crise économique et financière de 2008, l’Islande a fait face à de nombreuses protestations et mouvements populaires entre 2008 et 2009. Bien que ne faisant pas partie de leurs revendications, l’une des décisions prises par le gouvernement a été de rédiger une nouvelle constitution. Pour ce faire, 950 citoyens ont été tirés au sort au début du processus de réflexion. Une assemblée amatrice de politiciens (« le Conseil constitutionnel ») a ensuite été élue pour rédiger une première ébauche de la constitution, et a utilisé une méthode de production participative (en ligne). Enfin, le texte a été présenté au Parlement en 2011 et la proposition constitutionnelle a été soumise au référendum en octobre 2012, adopté à 2/3 des votants. Bien que non adoptée par le Parlement, Hélène Landemore pense que cette expérience est très inspirante pour les processus de design des lois, car elle prouve la capacité des citoyens non-experts à rédiger une constitution entière.

 

Faire face aux critiques

Enfin, l’autrice prévoit un argumentaire de réponses aux critiques du modèle qu’elle envisage :

 

« La démocratie représentative est le seul régime viable. »

Ce postulat est historiquement construit, et y préfère un modèle démocratique qui n’est pas basé sur les élections, mais sur le pouvoir du peuple, avec moins de place pour les institutions.

 

« Rien ne garantit que le peuple ait l’envie ou le temps de s’investir. »

Les citoyens n’auraient, d’une part, pas besoin de s’investir tous en même temps grâce au système de rotation, et, d’autre part, toutes les procédures seraient simplifiées (vote en ligne, etc).

 

« La population est trop hétérogène pour décider en unité. »

Pour l’autrice, il est certain que nous avons besoin d’un certain degré d’homogénéité de la population, en particulier sur les questions culturelles, sociales et religieuses. Néanmoins, nous pouvons arriver à un résultat satisfaisant même avec une assemblée divisée (comme l’exemple de la convention citoyenne pour le climat ou sur la fin de vie).

 

« Les citoyens ne sont pas compétents sur des sujets techniques. »

Les citoyens et les experts ont la même capacité de réflexion en ce qui concerne l’incertain. De plus, ces experts seraient toujours présents au sein des institutions, mais joueraient un rôle de consultation plutôt que de décision. L’autrice parle aussi de l’importance de l’intelligence collective pour aboutir à des résultats maximisés.

« Les citoyens choisis seraient facilement manipulés par les experts et groupes d’intérêts. »

Les supports de l’assemblée citoyenne et les groupes exécutifs seraient deux groupes distincts, pour assurer leur indépendance et un maximum de transparence.

 

*

Dans cet ouvrage, Hélène Landemore pense donc les contours larges de la « démocratie ouverte », qu’elle souhaite voir appliquer non seulement dans la sphère publique, mais aussi la sphère privée, et en particulier dans l’économie.

De telles sociétés où le consentement à déléguer le pouvoir serait remplacé par l’accès au pouvoir permettraient, selon elle, d’obtenir des résultats plus égalitaires, inclusifs et efficaces. Ainsi, donner un accès égal à la délibération et à la construction des lois et politiques publiques serait la meilleure méthode pour résoudre les problèmes actuels et les complexités futures.


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