Publié le 8 janvier 2021. Mis à jour le 22 octobre 2024.
Le Référendum d’Initiative Citoyenne (« RIC »), sur le devant de la scène médiatique lors de la crise des Gilets Jaunes en 2018, s’expérimente partout dans le monde depuis une centaine d’années. On en trouve de quatre sortes : le RIC constitutionnel, le RIC abrogatif, le RIC législatif et le RIC révocatif.
Tour d’horizon de cet outil citoyen.
Qu’est ce qu’un RIC ?
La mise en place du RIC ressemble à celle d’autres droits citoyens, comme celui d’élire un Parlement ou même le droit de vote : au terme d’une longue négociation entre corps citoyen et dirigeants, qui se montrent généralement réticents à accorder plus de droits qu’ils savent être des contre-pouvoirs. Ceux-ci sont donc souvent restreints, à la manière des parlementaires nommés par le roi, ou du droit de vote seulement pour les hommes les plus riches. Le RIC n’échappe par à cette logique.
Un RIC est constitué de deux éléments. D’une part, l’initiative, qui doit revenir à une fraction de la population, via une pétition. D’autre part, le référendum, qui doit être contraignant (c’est-à-dire que les décisions qui en découlent sont automatiquement appliquées) et impliquer tout le corps électoral. Dans beaucoup de pays, l’initiative est possible mais pas le référendum.
Observons d’abord ce qui se pratique mais n’est pas un « RIC ».
La proposition signée par un nombre fixé de citoyens est soumise au Parlement pour délibération, mais celui-ci reste maître de la décision finale. Une telle formule existe par exemple en Espagne ou en Autriche, elle est aussi prévue dans l’Union Européenne (UE) par le Traité de Lisbonne ; la Nouvelle-Zélande l’accompagne quant à elle d’un référendum qui reste simplement consultatif. La plupart de ces dispositifs sont généralement peu utilisés car ils exigent une dépense d’énergie considérable pour une résultat risqué, puisque le Parlement peut rejeter la proposition.
Il existe également des référendums sans initiative citoyenne, comme en France, où l’initiative revient au Président de la République ou à une partie des parlementaires appuyés par une pétition portée par les citoyens.
Il y a donc RIC uniquement lorsque la proposition vient des citoyens, et que son acceptation ou son rejet est également le fait des citoyens. C’est seulement ainsi que la législation directe permise par le RIC concurrence la législation produite par le Parlement et permet aux citoyens d’être un contre pouvoir à leurs élus.
Même avec cette définition, les variantes sont nombreuses : pas moins de 36 pays dans le monde disposent d’une sorte de RIC. Nombre d’entre eux l’encadrent de règles assez restrictives, ou de contraintes tellement forte que la moitié n’ont jamais connu de véritable referendum d’initiative citoyenne. Le tour d’horizon proposé ici entend mettre en valeur le type de règles auquel il faut prêter attention pour que le RIC devienne un outil réellement investi par les citoyens [1].
Précisons finalement que le RIC est utilisé au niveau local dans beaucoup de pays. Dans les pays centralisés, le RIC local n’a pas grand intérêt car les compétences régionales sont trop restreintes pour que son impact soit significatif ; les citoyens ne s’y trompent pas et l’utilisent rarement. En revanche, dans les pays fédéraux, il prend un rôle beaucoup plus intéressant.
- En Allemagne, le RIC est fréquemment mobilisé au niveau des Länder (régions). Toutefois, comme celles-ci n’ont qu’un faible contrôle sur la taxation, les sujets sur lesquels une initiative peut être lancée sont réduits.
- Aux États-Unis en revanche, la situation est bien différente. Chaque État collecte une large part de l’impôt et possède une grande autonomie de décision, puisque chacun suit sa propre Constitution. Dans les 24 États qui proposent un RIC, son utilisation est extrêmement fréquente, même sur des sujets d’importance. Ceux de la Californie, l’Oregon ou encore l’Arizona constituent les formules les plus exemplaires au monde, derrière la Suisse qui reste la référence en la matière. Exemplaires, c’est-à-dire que les dispositifs sont couramment utilisés et conduisent les citoyens états-uniens à prendre des décisions capable de marquer l’histoire et la politique de leur État. Cependant, pour la suite de cet article, nous nous centrerons sur les RIC nationaux.
Les RIC constitutionnels
Dans le cas d’un RIC constitutionnel, les citoyens – en cas de conflit avec leurs représentants – ont le dernier mot, et surtout peuvent être à l’initiative de changements constitutionnels, tels que l’introduction des RIC législatif, abrogatif et révocatoire. Par conséquent, les pays où il est possible de changer la constitution par le RIC sont les exemples les plus importants de pratique du RIC.
Seuls 12 pays n’offrent pas de restrictions explicites aux sujets qui peuvent être abordés par le RIC : la Suisse, le Liechtenstein, la Croatie, la Lituanie, la Lettonie, le Kenya, les Philippines, le Venezuela, la Bolivie, ainsi que quelques îles d’Océanie (Iles Marshall, la Micronésie et les Palaos). Ce groupe mélange anciens et nouveaux venus : la Suisse dispose du RIC au niveau fédéral depuis 1848 et a connu, depuis, 215 référendums d’initiative populaire ; le Liechtenstein, lui, a instauré le RIC en 1921 et a déjà à son actif plusieurs dizaines de référendums. Les autres pays l’ont mis en place bien plus tardivement, après la deuxième guerre mondiale.
- En Suisse, au niveau fédéral, il n’y a pas de RIC législatif : toute loi initiée par les électeurs prend valeur constitutionnelle. 100 000 signatures sont nécessaires, soit aujourd’hui un peu moins de 2 % de la population totale. Il est intéressant de souligner que si la population a été multipliée par 10, le seuil de signatures nécessaire, lui, n’a été multiplié que par 2 : ainsi, en 1848, le RIC n’était pas une si bonne affaire, car il exigeait des pétitions signées par 10 % du corps électoral. Pendant longtemps, aucun referendum n’a vu le jour. Mais au fur et à mesure de l’augmentation de la population, la démocratie directe a été de plus en plus mobilisée si bien qu’aujourd’hui, les Suisses votent tous les mois, à tous les niveaux de gouvernement. Aucun sujet n’est en principe exclu ; toutefois, les initiatives doivent respecter le droit international qui a valeur contraignante. Cette dernière règle peut elle même être remise en cause par le RIC : les Suisses ont récemment rejeté une initiative demande à ce que « la Constitution fédérale [soit] placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international ». Enfin, la majorité simple des électeurs ne suffit pas pour approuver une initiative, il faut la double majorité des cantons et des électeurs, ce qui signifie que la proposition doit non seulement être majoritaire dans le pays, mais aussi majoritaire dans la majorité des cantons. Cette contrainte reste cependant relativement faible et n’a bloqué le vote que 8 fois dans l’histoire du RIC suisse.
- Juste à côté de le Suisse, le Liechtenstein a lui aussi instauré le RIC depuis longtemps. Cette petite démocratie directe de quelques dizaines de milliers de personnes est en réalité une principauté ; le prince bénéficie même d’un droit de veto sur les décisions prises par référendum. Cette étrange interférence pourrait empêcher le fonctionnement de la démocratie directe, or il n’en est rien. Le seul RIC sur lequel le prince ne peut appliquer son veto est en effet celui qui proposerait l’abolition de la monarchie. C’est un exemple parfait de referendum révocatoire : sans surprise, vu cette clause, le prince n’utilise jamais son droit
de veto. Au Liechtenstein, 1500 signatures sont suffisantes pour lancer un référendum sur un changement de la Constitution (ce qui correspond tout de même à presque 8 % du corps électoral).
A l’opposé de ces deux paradis de démocratie directe, certains pays disposent d’un RIC constitutionnelle qui, dans les faits, ne fonctionne pas du tout.
- Aux Philippines, les changements constitutionnels de 1987 tendaient vers plus d’influence citoyenne directe sur la législation, dont le fameux RIC constitutionnel. Paradoxalement, le dernier referendum qu’ont connu les Philippines remonte à… 1987, pour adopter cette même Constitution. La loi exige en effet une pétition signée par 12 % de l’électorat, avec un minimum de 3 % dans chacune des circonscriptions législatives. Le seuil est donc fixé à près de 6 millions de signatures réparties équitablement sur le territoire, ce qui en fait un des plus exigeant au monde. En 2014, une initiative contre la corruption a failli atteindre ce seuil, mais une série de contrôles sur les signatures ont fini par annuler la pétition malgré les controverses auxquelles ils donnèrent lieu.
- Le Venezuela et la Bolivie sont deux cas similaires. Aucun référendum constitutionnel d’initiative citoyenne n’a été organisé depuis leur instauration. En effet, un changement constitutionnel doit être initié par 15 % de l’électorat au Venezuela (plus de 3 millions d’électeurs) et 20 % en Bolivie (1 200 000 électeurs).
Instaurer une forme de RIC en France suppose donc de fixer un seuil de signatures accessible, sans quoi l’outil devient inutile.
- Pour des raisons légèrement différentes, la Croatie est elle aussi une mauvaise élève du RIC. En 25 ans, un seul referendum d’initiative citoyenne a vu le jour, sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Mais alors, qu’est-ce qui freine à ce point son utilisation ? Réponse : le RIC croate a besoin, pour être déclenché, d’une pétition signée par 10 % de l’électorat… en 15 jours ! Le délai est l’un des plus courts au monde quand le seuil de signatures est l’un des plus élevés. Avec une population deux fois inférieure à la population suisse, la loi croate exige un nombre de pétitionnaires presque quatre fois supérieur.
Pour que le RIC soit mobilisé, il faut donc non seulement un seuil de signature accessible, mais aussi une période de récolte de ces signatures suffisamment longue.
- La Lettonie et la Lituanie peuvent être classée dans une troisième grand catégorie. La Lettonie introduit le RIC en 1922 puis, après plusieurs années passées sous le régime communiste de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), le réintroduit lors de son indépendance en 1991. La Lituanie suit son exemple en 1992. Les deux pays ne posent aucun restriction au RIC, qui permet donc en principe de modifier la Constitution. De plus, si le seuil de signatures est élevé, il reste accessible : 10 % de l’électorat en Lettonie, 300 000 signataires (soit 12 % de la population) sur un délai de 3 mois en Lituanie.
Cependant, en Lituanie, les modalités du RIC prévoient l’examen de la proposition citoyenne par un comité d’experts, qui peut la rejeter si il l’estime contraire à la Constitution, empêchant ainsi un changement constitutionnel. Cela étant dit, la Lituanie a déjà fait l’expérience de 11 referendums d’initiative citoyenne, dont un certain nombre de nature constitutionnelle, et la Lettonie, 7. Problème : aucun d’entre eux n’a été validé.
En effet, la validation des RIC letton et lituanien exige non seulement la majorité, mais aussi que cette majorité corresponde à la majorité du corps électoral. Autrement dit, 50 % des électeurs inscrits sur les listes doivent approuver la proposition, le taux de participation doit donc être d’un minimum de 50 %. Enfin, 100 % des votants doivent l’approuver. C’est ce que l’on appelle un « quorum d’approbation » particulièrement exigeant. En 1996 par exemple, une proposition visait à réduire le nombre de députés à l’Assemblée Nationale lituanienne, la Seimas. Malgré le fait que les votants se soient massivement prononcés favorablement (78 %) et que le taux de participation ait été de 52 % (un taux supérieur à celui des élections législatives françaises de 2017, pour comparaison), la proposition n’a pas été validée. 78 % de 52 % donne un résultat de 41 %, ce qui est loin d’être une majorité du corps électoral. Autre exemple : en 2008 en Lettonie, une proposition visait à introduire un RIC révocatoire dans la Constitution. Bien que 97 % des électeurs se soient exprimés favorablement, ils ne constituaient que 41 % de l’électorat ; le résultat du referendum a donc été invalidé.
Avec de tels quorums, aucune des votations suisses n’auraient pu aboutir. Deux nouveaux enseignements en découlent : d’abord, la capacité à modifier la Constitution doit être explicité dans la Constitution. Ensuite, il faut se méfier des quorums trop exigeants.
Au contraire de ces RIC conçus pour échouer, certains, bien qu’imaginés pour fonctionner, n’ont jamais été utilisé.
- C’est le cas du Kenya qui, en 2010, introduit dans sa Constitution la possibilité d’un amendement constitutionnel avec un RIC. Le seuil de signatures est fixé à un million d’électeurs, soit environ 5 % du corps électoral. Le quorum est de 20 % de participation des inscrits dans au moins 24 comtés du pays. Or, aucune initiative n’a encore eu lieu à ce jour. Certes, les conditions sont plus exigeantes qu’en Suisse et le niveau de pauvreté dans le pays rend plus difficile la participation citoyenne et la récolte de signatures. Enfin, la Constitution est récente et une clause pourrait rendre le processus difficile : une fois les signatures recueillies et vérifiée, la proposition doit être envoyée à l’ensemble des Assemblées des 47 comtés du Kenya. Il suffit qu’une seule l’approuve pour que le processus soit renvoyé vers le Parlement qui peut ou l’approuver ou le soumettre à referendum. Mais est-ce si improbable qu’aucune de ces assemblées ne valide la proposition ? Difficile à dire. Dans tous les cas, on supprime tout risque de désordre si on évite de réintégrer un droit de veto des représentants, une supposition qui reste encore à confirmer.
- En réalité, en dehors de la Suisse et du Liechtenstein, le seul RIC fonctionnel et capable de modifier la Constitution est celui de l’Uruguay. Au vu des conditions assez exigeantes, seuls 5 referendums ont été tenu depuis sa mise en place, dont 2 finalement approuvés. Le seuil de signatures requis est de 10 % (soit environ 300 000 électeurs) et il existe un quorum d’approbation : pour que le référendum soit approuvé, il faut non seulement la majorité simple, mais aussi que cette majorité constitue au moins 35 % de l’ensemble de tous les électeurs du pays. Par conséquent, avec des taux d’abstention élevés, une simple majorité pourrait ne pas suffire. Mais contrairement à certains des cas cités ci-dessus, ces obstacles sont occasionnellement surmontés, même si peu de groupes sont capables de mobiliser suffisamment d’électeurs pour lancer une réforme constitutionnelle. En ce sens, le dispositif est beaucoup plus élitiste qu’en Suisse.
- Il nous reste à parler des petites îles d’Océanie ayant adopté un RIC constitutionnel. Nous nous limiterons au cas de Palaos où les référendums peuvent être tenus uniquement en même temps que les élections. Dès lors, il y en a généralement un grand nombre en même temps (23 en 2008 !). la règle pouvant être modifiée, les citoyens paluans l’ont déjà remise en cause et finalement souhaité la garder. À Palaos, comme dans les autres îles voisines, les seuils de signatures sont extrêmement élevés, mais compte tenu d’une population très faible concentrée dans un petit territoire, des initiatives sont quand même lancées. C’est au niveau des quorums que la situation se complique. Pendant longtemps, la majorité simple ne suffisait pas pour valider un référendum, car il fallait 75 % de votants favorables. Cette exigence n’est pas vraiment un quorum, mais plutôt ce qui s’appelle une « majorité qualifiée », qui doit être plus élevé que la « majorité simple ». C’est ainsi qu’à Palaos, la même proposition d’adhésion à un traité international avec les États-Unis a donné lieu à sept référendums en dix ans, à chaque fois approuvé par des larges majorités, mais sans jamais que les 75 % soient atteints. Finalement, par référendum, la majorité qualifiée de 75 % a été baissé à la majorité simple en 1992, mais avec la contrainte qu’il faut également la majorité dans trois-quarts des Etats de l’île. Le traité international fut enfin ratifié, et les citoyens enfin encouragés à lancer des RIC !
Finalement, les dispositifs de changements constitutionnels sont généralement trop exigeants pour être utilisés par les citoyens. Cette exigence se situe à deux niveaux. Soit à la récolte de signatures, avec des seuils trop élevés ou des délais de récolte trop courts. Soit à la validation des référendums, avec des quorums trop élevés qui produisent quasi-systématiquement l’annulation du scrutin. Pour comparaison, si le quorum lituanien était appliqué aux élections législatives françaises, seuls 17 députés auraient été élus en 2017, les 560 sièges restants de l’Assemblée Nationale restant vacants. Il est curieux que les quorums – qu’ils soient faibles comme dans le cas kényan ou élevés comme dans le cas lituanien – ne soient utilisés que pour les référendums alors qu’il n’en est jamais question pour l’élection de représentants. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, seuls la Suisse et le Liechtenstein réunissent des conditions optimales. Mais, comme nous l’avons vu, il s’agit en Suisse d’une heureuse évolution, car, au départ, le seuil de signatures était également prohibitif. Si en 1848, au lieu d’exiger 50 000 signatures, ils avaient exigé 10 % de l’électorat – ce qui à l’époque était équivalent – la Suisse ne serait pas devenue un exemple de démocratie directe dans le monde. Les seuils faibles sont finalement devenus une évidence en Suisse, condition première de l’accessibilité du dispositif pour tous les citoyens. Monter ce seuil serait perçu comme politiquement incorrect, si bien que personne ne l’a même jamais proposé.
Au-delà des difficultés techniques, il est frappant de constater la taille réduite des pays détenteurs d’un RIC constitutionnel. Les Philippines, douzième pays le plus peuplé au monde, sont une importante exception. Ne s’agit-il pas d’un obstacle à l’utilisation du RIC constitutionnel ? En fait, il s’agit là d’une erreur de causalité. Il y a d’ailleurs des contre-exemples : les Californiens utilisent régulièrement et sans complexe leur RIC constitutionnel alors qu’ils sont plus de quarante millions. Deux raisons peuvent expliquer le lien entre taille du pays et existence d’un tel dispositif. Premièrement, un mouvement populaire exige de grands efforts de coordination, qui augmentent avec la taille de l’électorat. Deuxièmement, dans l’histoire, les élites ont concédé des droits à leurs sujets lorsqu’ils étaient menacés par une puissance extérieure. Pour s’assurer que les sujets défendront le pays, il faut les motiver en les rendant citoyens. Cette configuration s’adapte bien aux démocraties historiques, telles qu’Athènes ou les cantons helvètes. Mais ceci ne vaut que lorsque la population est faible et qu’on a besoin de tout le monde pour défendre le pays. Pour cette raison, dans les grands pays, les élites n’ont jamais été menacées au point de concéder des droits de changements institutionnels trop importants à leurs populations.
Les RIC abrogatifs
Les RIC abrogatifs visent à permettre aux citoyens d’annuler (ou « abroger ») une loi que le Parlement a votée. Les citoyens n’ont donc pas l’initiative de la loi, mais ils peuvent s’y opposer par veto. Ces RIC peuvent être constitutionnels, mais la plupart du temps, une modification de cet ordre induit plutôt un referendum obligatoire, sans qu’il y ait besoin d’une initiative citoyenne. C’est le cas, par exemple, en Suisse, en Irlande, en Arménie, à Andorre et, sur certains sujets constitutionnels, au Danemark ou au Portugal. La plupart du temps, un RIC en matière constitutionnelle donne la possibilité de tout faire, incluant un amendement constitutionnel qui conduit à créer ou abroger une loi. Mais parfois, comme c’est le cas en Suisse, une procédure spécifique d’abrogation est prévue ; le seuil de signatures est réduit de moitié par rapport aux RIC constitutionnels (ici, 50 000 électeurs) et la majorité simple des électeurs suffit pour le ratifier. Les referendums législatifs (par lesquels les citoyens peuvent proposer une loi) sont également abrogatifs, car produire une nouvelle loi permet parfois d’en annuler une ancienne [3]. Par conséquent, les RIC dit « abrogatifs » se définissent par le fait d’être « uniquement » abrogatifs. Neuf pays le pratiquent. Les cas les plus connus sont ceux de l’Italie et de l’Uruguay, instaurés respectivement en 1946 et 1966.
- En Italie, le RIC abrogatif fut instauré après la période fasciste pour protéger la nouvelle démocratie. Il ne peut cependant pas porter ni sur des sujets constitutionnels, ni sur des lois relatives à la fiscalité, au budget, à l’amnistie, aux remises de peine et à la ratification des traités internationaux, ce qui constituent d’importantes limites. En outre, comme il s’agit de simples lois, elles peuvent repasser par la voie parlementaire même après avoir été rejetées : bien que la cour constitutionnelle italienne ait décidé en 1987 qu’il n’était pas permis de reproduire une loi abrogée par referendum, ses éléments peuvent être réintroduits dans
d’autres textes législatifs.
Le seuil de signatures requis est de 500 000 électeurs, équivalent à presque 2 % du corps électoral en 1946 et 1 % aujourd’hui. Si le seuil de signatures est donc très faible, le « quorum de participation » est très élevé et exige que 50 % de la population ait pris part aux votations.
Les premiers referendums ont été tenus dans les années soixante-dix, après la loi de détail de la procédure de 1970, et ont facilement atteint le quorum exigé dû à l’enthousiasme de la population. Mais au fur et à mesure des années, le quorum italien a prouvé son inefficacité. Les pratiques référendaires se sont multipliées dans les années 1990 et 2000, réduisant leur caractère exceptionnel et donc la motivation à aller voter. De plus, si les Italiens ont joué le jeu jusqu’au début des années 1990 en allant voter quelle que soit leur position, la situation s’est progressivement transformée en des référendums où ceux qui étaient « contre » évitaient de voter afin de diminuer les chances que le quorum soit atteint. Les partis partisans du « non » en parlaient le moins possible pour que les électeurs en oublient la date même. L’enjeu pour les partisans du « oui » devint donc d’atteindre le quorum puisque, désormais, le pourcentage des « oui » se situait régulièrement autour des 90 %. En plus d’entamer la participation, ce quorum a donc également réduit le débat citoyen. Il faut enfin noter que les référendums non-constitutionnels sont soumis à de nombreux contrôles de constitutionnalité et sont susceptibles d’être restreints de plusieurs manières. En conséquence, sur 100 référendums demandés, un tiers a été annulé pour vice de forme.
Le référendum abrogatif italien a néanmoins servi de modèle à ceux de l’Albanie, Malte, Saint Marin et la Slovénie.
- L’Albanie valide en 1998 un RIC abrogatif similaire, assouplissement néanmoins le quorum de participation pour le transformer en « quorum d’approbation » : le nombre de votes favorables doit être au moins égal au tiers de l’électorat. Ce type de quorum évite en partie l’effet pervers du modèle italien. Malgré cette légère amélioration, le pays n’a encore jamais connu de RIC. Comme aux Philippines, le changement de Constitution de 1998 introduisant le RIC fut le dernier référendum auquel les Albanais ont voté.
- Malte introduit le RIC « italien » en 1964, avec des restrictions et quorum similaires. Le seuil de signatures est néanmoins considérablement augmenté, à 10 % de l’électorat (35 000 électeurs). Seuls deux RIC ont vu le jour.
- Saint-Marin améliore le modèle en supprimant le quorum et en introduisant un RIC législatif avec quorum d’approbation. 19 referendums ont été tenus depuis 1982. Enfin, à l’instar de l’Albanie, la Slovénie assouplit le modèle italien en instaurant en 1991 un RIC abrogatif d’un quorum de participation fixé à 20 % de l’électorat. 11 référendums ont eu lieu depuis le premier en 1996.
Tous ces RIC d’Europe du Sud se caractérisent donc par des restrictions en matière fiscale et internationale, des initiatives uniquement abrogatives (sauf à Saint-Marin) et des seuils de signature faibles (sauf à Malte). Bien qu’inspirés du modèle Italien, presque tous ont changé la formule concernant le quorum, en l’abaissant, le supprimant ou en changeant sa nature. Les effets pervers du quorum italien étaient alors déjà connus. Pourtant, comme on le verra, ce type de quorum reste largement utilisé dans le monde, notamment dans les référendums locaux en France. Si un quorum « italien » était utilisé aux élections législatives françaises, 116 sièges sur 577 serait restés non pourvus[4].
- En Europe, un seul RIC abrogatif diffère du modèle italien : en Lettonie, le dispositif possède des caractéristiques semblables au niveau de ses restrictions et de son quorum (la participation doit être au moins similaire à celle des dernières élections législatives). Cependant, ce RIC abrogatif s’étend également à la Constitution.
- L’Uruguay a quant à elle servi de précurseur en Amérique Latine. Bien que les restrictions soient similaires à celles pratiquées en Europe (essentiellement portant sur la fiscalité et la politique extérieure), il diffère de ceux-ci sur la procédure. Là où le modèle italien se base sur un faible seuil de signatures et un quorum exigeant, le modèle uruguayen, lui, repose sur un seuil de signature très élevé (25 % de l’électorat) tout en se contentant de la majorité simple pour valider le référendum. De fait, très peu de referendums abrogatifs ont été lancés en Uruguay (3), mais tous ont été approuvés. Les signatures sont recueillies de façon singulière : d’abord, une pétition doit être signée par 2 % de l’électorat, 0,5 % avant l’année 2000. Si la pétition est validée, l’État procède à un pré-référendum visant à mettre à disposition des citoyens la pétition pour éventuelle signature. C’est lors de ce pré-référendum (aux frais de l’État) que 25 % des signatures sont requises.
Le modèle uruguayen n’a pas été vraiment copié, même si la Colombie et le Venezuela s’en sont inspirés. Les mêmes restrictions en matière de politique fiscale et de politique internationale y sont appliquées. Dans les deux cas, un seuil de signature de 10 % est nécessaire. Au Venezuela, 5 % de l’électorat peut également initier l’abrogation d’un décret présidentiel. Mais contrairement à l’Uruguay, des quorums de participation ont été introduits. En Colombie, la participation électorale doit être d’au moins 25 % et au Venezuela de 40 %. Dans les deux cas, cependant, aucune initiative abrogative n’a été prise en compte à ce jour, pour les mêmes raisons que celles citées au paragraphe précédent. En particulier, en Colombie, aucune loi ne précise qui a l’obligation de vérifier les signatures et d’organiser un référendum après leur collecte. Dès lors, l’article constitutionnel est resté lettre morte.
Ce tour d’horizon des RIC abrogatifs mène à plusieurs conclusions. La Suisse reste le seul pays où le seuil de signature est très faible, il n’y a pas de quorum et toute loi peut être abrogée, hormis les lois constitutionnelles pour lesquelles il y a une autre procédure (le référendum obligatoire). Tous les autres pays présentent des restrictions importantes, notamment sur les questions budgétaires et fiscales et en politique extérieure. Il faut noter que ces restrictions ratent leur objectif car nous savons que le RIC a des effets positifs précisément sur les déficits et la coopération internationale.
Les RIC législatifs
Les RIC législatifs existent partout (ou presque) où l’on trouve des RIC constitutionnels. Mais la plupart du temps, les électeurs préfèrent utiliser la voie constitutionnelle, pour protéger le résultat de leur décision d’éventuels amendements de la part de leurs représentants. Par conséquent, nous traiterons dans cette section uniquement des RIC législatif, sans pour autant qu’il y ait la possibilité d’un référendum constitutionnel d’initiative citoyenne. Lorsque les RIC peuvent modifier la loi, mais pas la Constitution, il y a toujours des clauses constitutionnelles qui indiquent sur quelles matières le RIC ne peut pas être lancé. Nous considèrerons les pays qui ont de telles restrictions à leurs RIC législatifs, même lorsqu’un RIC constitutionnel est permis sur certains aspects de la Constitution.
Ce type de RIC caractérise une grande partie des pays issus de l’ancienne URSS (Biélorussie, Géorgie, Kirghizistan, Russie, Ukraine) et cinq pays anciennement communistes d’Europe de l’Est (Bulgarie, Hongrie, Macédoine, Serbie et Slovaquie). Dans presque tous ces pays, trois restrictions principales sont apportées au RIC législatif : un RIC ne peut être tenu sur des questions fiscales ou budgétaires. Il ne peut non plus l’être sur les traités internationaux et sur certaines questions de politique extérieure. Enfin, il ne peut affecter l’organisation des pouvoirs publics, notamment concernant les élus et les fonctionnaires, ainsi que la question des amnisties. Seule la Constitution géorgienne n’inclut pas de restrictions sur les questions fiscales et budgétaires. En Slovaquie, l’organisation des pouvoirs peut être affectée, avec la possibilité d’anticiper la date des élections à travers un RIC. L’Ukraine a également des mesures révocatoires très encadrées.
Tous ces RIC sont associés à un seuil de signatures requis en termes absolus (et non en pourcentage des inscrits). Rapportés aux inscrits, les pays qui ont les pourcentages les plus faibles – autour de 1,5 ou 2 % – sont la Hongrie, la Russie et la Serbie. Il faut noter, cependant, qu’en Russie le seuil reste difficilement atteignable, puisque deux millions de signatures sont nécessaires, avec un minimum requis pour chaque région de la fédération. Une contrainte similaire existe également en Ukraine et en Biélorussie. À l’inverse, les seuils de signatures les plus élevés se situent autour de 10 % de l’électorat, en Ukraine et au Kirghizistan notamment.
En dépit de ces seuils relativement peu élevés, aucun référendum d’initiative citoyenne n’a vu le jour dans les pays qui appartenaient à l’ancienne URSS. Indépendamment des seuils, ces pays connaissent une démocratisation difficile et un faible respect des droits individuels. Seuls les Présidents ont pu convoquer, à ce jour, des référendums. La Serbie et la Macédoine se trouvent dans une situation similaire, toujours sans aucune expérience du RIC. En revanche, dans les pays d’Europe de l’Est, le RIC a été utilisé 5 fois en Hongrie, 5 fois en Bulgarie et pas moins de 11 fois en Slovaquie, cette dernière ayant pourtant un seuil de signatures relativement élevé (un peu moins de 8 % d’électeurs sont nécessaires). Cependant, dans des pays suffisamment petits des seuils de signatures conséquents peuvent être plus facilement atteints.
Au sujet des conditions de validité d’un référendum, presque tous les pays ont un quorum de participation à l’italienne (50 % d’électeurs inscrits doivent prendre part au vote). Les exceptions sont la Bulgarie et la Hongrie.
- En Bulgarie, la participation doit être au moins aussi élevée qu’à la dernière élection de l’Assemblée nationale et jamais inférieure à 20 % de l’ensemble des électeurs inscrits. Il faut remarquer que ce type de quorum, faisant référence à la participation aux élections législatives, peut pousser les électeurs à ne pas voter aux élections législatives pour avoir une meilleure main sur la validation des référendums au cours du mandat. Ce quorum n’a pas empêché la Bulgarie de se voir annuler les cinq référendums d’initiative citoyenne malgré leur approbation par une large majorité d’électeurs.
- En Hongrie, depuis 1997, le quorum d’approbation est de 25 % ; il faut donc l’accord d’au moins un quart de l’électorat pour que la proposition soit validée. Ce type de quorum est beaucoup plus accessible. D’ailleurs, sur 5 RIC hongrois, 3 ont dépassé ce quorum, conduisant à chaque fois à l’approbation de la proposition.
- Enfin, en Slovaquie le quorum de participation à l’italienne a été fatal aux 11 référendums d’initiative citoyenne qui y ont été tenus, bien que, dans tous les cas, les électeurs se soient prononcés favorablement. Seul le référendum d’entrée dans l’UE, d’initiative gouvernementale, a pu dépasser ce seuil. Finalement, sur les 21 référendums d’initiative citoyenne tenus dans ces pays, 18 ont été annulés à cause d’un quorum non atteint et seulement 3 ont été validés.
Des configurations similaires ont émergé en Amérique Latine, avec des RIC législatifs au Costa Rica, en Équateur, au Mexique et au Pérou. Ici également les restrictions portent principalement sur les questions fiscales et budgétaires. La structure politique et administrative du pays, les droits individuels ainsi que les traités internationaux en vigueur sont parfois également mentionnés. Les seuils de signatures sont assez faibles : ils vont de 2 % au Mexique à 10 % au Pérou. Aussi, hormis en Équateur, les quorums existent mais ne sont pas très élevés : 30 % de participation au Costa Rica, 40 % au Mexique et 30 % d’approbation au Pérou. Pourtant, malgré une augmentation importante du nombre de référendums depuis les années 1990, la quasi-totalité sont d’initiative présidentielle. Un seul référendum d’initiative citoyenne a vu le jour, paradoxalement dans le pays où il est le plus difficile à mettre en œuvre : au Pérou. En 2010, le procès de l’ex-président Fujimori battait son plein. Entre autres accusations, il avait illégalement dissous un fond public, le FONAVI, pour payer la dette. Un mouvement d’une grande importance nationale s’est alors mobilisé pour organiser un référendum sur la restitution des fonds aux citoyens péruviens. Dans un premier temps annulé par la Commission Nationale des élections, il a été finalement validé par le conseil constitutionnel et a obtenu deux tiers de voix favorables, avec un taux de participation de 84 %. Il faut noter qu’avant cela, plusieurs tentatives de lancer des référendums par initiative avaient été annulés par la Commission Nationale des Élections. En somme, dans ces pays, le référendum reste encore largement un outil dans les mains des présidents à défaut d’être, comme au Costa-Rica, largement inutilisé.
Finissons par les trois autres Constitutions qui prévoient le RIC législatif. Au Togo et en Ouganda de tels dispositifs existent mais n’ont jamais été utilisés. La législation n’a d’ailleurs pas encore précisé les procédures par lesquelles ils peuvent avoir lieu.
- En revanche, à Taïwan, le dispositif a commencé à fonctionner depuis que la réforme de décembre 2017 a baissé le seuil de signatures de 5 % à 1,5 %. Plus précisément, le dispositif taïwanais prévoit deux phases. Dans un premier temps, une proposition signée par 0,01 % du nombre total d’électeurs lors des dernières élections présidentielles est soumise à la Commission électorale centrale. Après vérification de la validité de la question référendaire posée, la Commission autorise la deuxième phase, où 1,5 % du nombre total d’électeurs doit soutenir la pétition pour qu’elle entraîne un référendum. Ce changement a porté ses fruits puisqu’en 2018 dix questions ont été soumises à référendum. À noter que, pour que les résultats de ce dernier soient validés, il faut 25 % de voix majoritaires. Ce quorum d’approbation n’est pas très exigeant. Pour preuve, des dix référendums, aucun n’a été invalidé à cause de quorum. Néanmoins, le dispositif reste uniquement législatif, et des restrictions du RIC taïwanais existent en matières fiscales et budgétaires.
Ce petit tout d’horizon permet de voir que le RIC législatif, seul, a tendance à ne pas fonctionner. Notamment parce qu’entre seuils de signature et quorums élevés et restrictions des sujets traités, peu d’entre eux parviennent à être lancés et une petite minorité sera ensuite validée si la majorité des votants les soutiennent.
Les RIC révocatoires
Les RIC révocatoires, comme nous l’avons précisé, offrent aux citoyens la possibilité de choisir la date d’une élection, notamment lorsque ceux-ci ne sont plus satisfaits de leurs représentants. Ce type de RIC existe depuis plus d’un siècle dans beaucoup d’États aux États-Unis – où 53 représentants ont été révoqués depuis 1911 – ainsi que dans 6 cantons suisses depuis le XIXe siècle. Il en existe deux versions – sans ou avec référendum – elles-mêmes divisibles en deux autres versions – une qui révoque une assemblée dans son ensemble, et une qui révoque élu par élu.
Dans la première version, une pétition suffit pour provoquer des nouvelles élections. Il s’agit de la procédure la plus simple, utilisée dans certains États américains [5]. Une procédure de ce type a été mise en place au Royaume-Uni en 2014 visant les députés nationaux qui se sont rendus coupables d’infractions à la loi, aux normes parlementaires, ou qui, pour d’autres raisons, sont suspendus par le Parlement. Les conditions qui permettent de lancer une procédure de révocation sont donc assez restrictives. De plus, un député ciblé peut se présenter à nouveau dans l’élection partielle qui est déclenchée par la pétition des électeurs.
Dans la deuxième version, une pétition entraîne un référendum à l’issue duquel la décision de révocation est prise ou non. Il en existe deux variantes. Selon une première variante, toute l’assemblée est démise, puisque les élections parlementaires sont anticipées suite à une pétition et un référendum. En somme, il s’agit d’une procédure pour avancer la date des élections.
- Cette version est surtout présente dans les systèmes proportionnels européens, tels que la Lettonie, la Slovaquie et les cantons suisses cités précédemment. En effet, il est difficile de révoquer et de réélire un élu individuellement s’il a été élu sur des listes nationales dans le cadre d’un mode de scrutin proportionnel. Cela nécessiterait de lancer une élection au niveau national pour un seul député. En revanche, les citoyens peuvent être insatisfaits du fonctionnement général de leur Parlement, et convoquer ainsi, via une pétition et un référendum, des élections nationales. Pour lancer la procédure, la Lettonie et Slovaquie ont des seuils de signatures fixés à 10 % de l’électorat, ce qui, compte tenu de leur taille, est assez accessible. Mais pour valider les référendums, les quorums sont plutôt élevés. En Lettonie, il faut la participation d’au moins 2/3 des votants aux élections législatives précédentes. En Slovaquie, il faut un seuil de participation de 50 % des électeurs. Par deux fois, les citoyens slovaques ont essayé d’anticiper les élections – en 2000 et en 2004 – mais n’ont jamais pas réussi faute d’avoir atteint le quorum. En Lettonie, un référendum de dissolution du Parlement a eu lieu en 2011. Cependant, ce référendum n’était pas d’initiative citoyenne mais présidentielle.
La seconde variante – dite « américaine » – est en revanche utilisée dans les systèmes à mode de scrutin uninominal, c’est-à-dire où chaque député est élu dans une petite circonscription, de sorte qu’il y a autant de circonscriptions que de députés. Ces derniers peuvent alors être révoqués individuellement. Le referendum permet donc de révoquer un élu en particulier, maire ou député.
- Cette procédure se pratique, en outre qu’aux États-Unis au niveau des États fédérés, au Pérou, en Bolivie, en Colombie, en Équateur ou au Venezuela. Au Pérou, les citoyens peuvent révoquer un élu au niveau national ou local s’ils sont un quart de l’électorat à le demander et, lors du référendum, une majorité est atteinte avec au moins 50 % de participation. Curieusement, bien que les conditions de révocation soient ardues, le Pérou détient le record mondial d’élus ayant subi une procédure de révocation, soit presque la moitié d’entre eux[6]. Il faut dire qu’il s’agit du seul pays qui ne fixe pas de limite au temps de collecte de signatures. En Équateur, le seuil de signatures est de 10 % sans qu’il ait besoin de quorum. La seule exception concerne le Président de la République pour qui une pétition de 15 % de l’électorat est nécessaire et un quorum d’approbation fixé à la majorité absolue de l’électorat. Au Venezuela, il est possible de révoquer tous les représentants élus. La procédure se déclenche si la pétition recueille, en 3 jours seulement, un nombre de signatures égales ou supérieures à 20 % de l’électorat. La révocation est validée si la majorité y est favorable, qu’elle est au moins égale au nombre d’électeurs ayant élu le représentant et que la participation au référendum atteint au moins 25 %. Cette procédure a conduit à un référendum en 2004 visant à révoquer Hugo Chavez, finalement soutenu par 59 % des votants. En Bolivie, le seuil de signature est élevé – 25 % – et le quorum de participation est à 50 %. Enfin, en Colombie, le seuil de signatures est de 40 % de l’électorat, identique au quorum de participation pour le référendum.
La possibilité de révoquer les élus et de déclencher de nouvelles élections est une pratique un peu différente des autres formes de RIC. Il ne s’agit pas de décider des lois, mais de contrôler l’activité des représentants en introduisant leur révocabilité permanente. Il est donc raisonnable de penser que, plus l’intervention dans la législation (par les autres formes de RIC) est pratiquée, et moins les citoyens vont faire appel aux procédures révocatoires. En effet, avec un RIC qui marche bien, les représentants n’auront pas le loisir de trop s’éloigner des opinions de la majorité. Cela peut s’observer au niveau national comme infranational. Aux États-Unis, par exemple, les procédures de révocation sont plus utilisées dans les États où il n’est pas possible de légiférer directement.
- L’exemple le plus visible est le Wisconsin, qui a une procédure de révocation très développée, mais pas d’initiative citoyenne sur la législation. En conséquence, l’État est à l’origine de 22 % des procédures de révocation aux États-Unis. Au Pérou, où les RIC législatifs n’aboutissent pas, les procédures révocatoires sont extrêmement nombreuses. En Slovaquie, l’échec de tous les RIC législatifs à cause du quorum, pousse les citoyens à vouloir dissoudre souvent l’Assemblée. Le même schéma se retrouve à des niveaux plus locaux. En Suisse par exemple – où les autres formes de RIC fonctionnent très bien – la procédure de révocation, là où elle existe, est utilisée très rarement. En Pologne en revanche, où il n’y a pas de RIC législatif au niveau local, les procédures de révocation des élus sont très utilisées.
De manière générale donc, le RIC révocatoire est une bonne mesure de l’accès aux autres formes de RIC. Il est utile d’en posséder un, car cela peut être une menace potentielle face à des dysfonctionnements démocratiques. Néanmoins si la démocratie fonctionne bien, le RIC révocatoire s’avère dans, les faits, peu utile.
Un résumé général
Ce tour du monde des RIC permet de tirer quelques leçons, notamment sur la question de ses restrictions, des seuils de signatures, des quorums, ainsi que du dispositif qui précise chaque étape de la mise en application. Il va sans dire que l’intervention des élus dans le processus est également dommageable, même s’il existe des formes d’intervention qui ne semblent pas porter préjudice à la procédure telle que la possibilité de faire des contre-propositions, comme cela arrive en Suisse et dans d’autres pays. En effet, en temps normal, si le Parlement n’adopte pas la proposition des pétitionnaires directement, il doit la soumettre à référendum. Or, parfois, il y a une troisième possibilité. Le Parlement peut faire une contre-proposition ; le référendum portera alors sur le choix entre la proposition des pétitionnaires et la contre-proposition du Parlement. Il s’agit donc bien d’une intervention des représentants dans le processus, mais qui ne prive pas les citoyens du droit d’initiative, ni du droit de veto.
Figure 1. Les barres horizontales représentent le nombre de référendums d’initiative citoyenne tenus depuis 1995 dans les pays qui disposent du dispositif.
Pour terminer, la figure 1 permet de voir combien de référendums d’initiative citoyenne ont été tenus depuis 1995 dans les différents pays qui disposent de la possibilité de le faire. Dans la moitié d’entre eux, le dispositif est inopérant. Pour le reste, nous avons compté 306 référendums d’initiative citoyenne au niveau national. Les deux tiers des référendums viennent de pays où le RIC constitutionnel est possible. S’agissant d’une minorité de pays, cela montre que le RIC constitutionnel ouvre la porte à la législation directe. Au niveau du seuil de signatures, aucun des pays ayant connu plus qu’un référendum n’a un seuil de signatures qui dépasse les 500 000 électeurs. Enfin, une chose inobservable sur la figure est que la grande majorité des référendums tenus, si l’on exclut ceux tenus dans les pays qui n’ont pas de quorum prévu (Suisse, Liechtenstein et Palaos), ont été annulés non pas à cause d’un rejet populaire, mais à cause du fait qu’ils n’atteignaient pas le quorum ou la majorité qualifiée requise. On peut penser que cet obstacle décourage les électeurs à utiliser cet outil, si bien que presque la moitié des référendums tenus dans le monde, l’ont été dans les trois pays qui n’ont pas de quorum prévu. Naturellement, en Suisse – ou le RIC est constitutionnel, avec un seuil de pétition faible et sans quorum – il y a eu de loin le plus de référendum depuis 1995 (86).
Extrait du livre : Magni-Berton, R. & Egger, C. (2019). RIC: le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous. Au cœur de la démocratie directe. FYP éditions.
[1] Les sources utilisées ici sont nombreuses et il serait fastidieux de les noter à chaque fois. La quasi-intégralité des constitutions a été obtenue via http://constituteproject.org. D’autres sources sur les référendums, leurs règles et leur tenue se trouvent dans https://www.idea.int, http://c2d.ch, http://direct-democracy-navigator.org, http://aceproject.org. De plus, les pages Wikipédia en français et en anglais sont très bien faites, même si elles comportent des erreurs que nous n’avons pas, à ce jour, corrigé. Compte tenu de la diversité des dispositifs et des nuances présentes selon les pays, nous n’excluons pas que ce panorama puisse également comporter quelques erreurs, malgré notre effort pour les éviter.
[2] Même si la double-majorité des électeurs et des cantons exigée en Suisse est un quorum, le principe majoritaire y est sauvegardé et il n’est exigé aucun seuil de participation ou d’approbation supplémentaire, ni une majorité qualifiée des cantons, comme à Palaos.
[3] Il y a néanmoins des différences techniques. En Suisse, une loi ne peut être appliquée avant 100 jours, précisément pour permettre de lancer un référendum abrogatif.
[4] Ce calcul a été fait sur l’application http://www.derangeonslachambre.fr
[5] Nous ne détaillerons pas la forme ici, puisqu’il ne s’agit pas d’élus nationaux. Cependant, le lecteur peut consulter un très bon descriptif résumé en français ici : Gydge, Aperçu du référendum révocatoire aux États-Unis, https://blogs.mediapart.fr/gygde/blog/230914/apercu-du-référendum-revocatoire-aux-etats-unis. A noter d’autres billets détaillés du même auteur sur les formes de RIC révocatoire.
[6] Welp, Y. (2016). Recall référendums in Peruvian municipalities: a political weapon for bad losers or an instrument of accountability? Democratization, 23(7), 1162-1179.