Publié le 31 mai 2021. Mis à jour le 01 octobre 2024.
« Effects of referendums on party cohesion and cleavages : Empirical finding from 21 EU countries » par Stefan Vospernik, journaliste autrichien. Il travaille principalement sur l’Union Européenne, les partis politiques et la démocratie directe.
Contribution à The Routledge Handbook to Referendums and Direct Democracy, 2017 (dir. Laurence Morel et Matt Qvortrup).
Stefan Vospernik affirme ici que les référendums, loin de diviser les partis politiques, contribuent en réalité à les consolider.
La démocratie directe, affaiblissement des clivages partisans ?
Dans les démocraties représentatives contemporaines, les partis politiques votent directement la majeure partie des lois. Mais lors d’un référendum, ils ne peuvent plus s’appuyer sur leurs députés au Parlement et doivent s’engager dans le débat public pour convaincre l’électorat. Cette bataille d’idées les mène à affronter d’autres acteurs politiques, plus facilement ignorable lors d’un débat parlementaire ‘classique’ : certains médias, des groupes d’intérêts, des citoyens et citoyennes ordinaires qui en profitent pour les interpeler… D’autre part, le référendum impose un mode binaire de prise de décision, qui contraste fortement avec le travail collaboratif et la délibération des systèmes représentatifs, obligeant les partis politiques à former des alliances inhabituelles.
La bataille se joue également au sein même des partis, puisque les questions référendaires sont généralement clivantes. Il est alors difficile de préserver l’unité du groupe, puisque chacun et chacune est incité.e à suivre son opinion personnelle. Des recherches empiriques aux Etats-Unis ont d’ailleurs tendance à démontrer que, dans les Etats à la démocratie plus directe, les partis politiques tendent à être plus faible.
Les avantages de la démocratie directe pour les partis politiques
S’ils peuvent parfois les affaiblir, les référendums offrent néanmoins aux partis politiques l’occasion de mobiliser leurs partisans, d’attirer l’attention du public sur leurs idées, d’affronter leurs adversaires politiques, de surmonter leurs divisions internes et même de renforcer leur légitimité.
Ils permettent avant tout de mettre en valeur une politique en faisant pression pour telle ou telle décision, que les députés du parti ne sont souvent pas en mesure d’obtenir dans l’arène représentative. Les partis de gouvernements qui rencontreraient des difficultés à faire adopter leurs propositions au Parlement peuvent ainsi se tourner vers le référendum. A l’inverse, ils peuvent servir à bloquer une politique : la fonction ‘veto’ du référendum (il met un point final au débat politique) est généralement utilisée par l’opposition pour empêcher ou ralentir l’entrée en vigueur d’une décision. Le référendum est ainsi une manière (un prétexte ?) de marquer des points contre un adversaire politique.
Comme outil de démocratie directe, le référendum peut aussi, parfois, assurer la survie d’un parti en lui évitant la scission autour d’une question particulièrement clivante. La plupart des référendums gouvernementaux viennent ainsi de partis divisés, à l’image du Labour Party et de la question du Brexit. Mais c’est également une manière de fuir ses responsabilités en évitant de se prononcer sur des sujets ‘à risque’ avant de l’avoir soumis au vote populaire. Ce fut le cas lors du référendum suédois sur l’euro en 2003, ou du référendum sur le plan de sauvetage de la Grèce en 2015 : le vote du peuple a valeur de verdict final.
Les référendums regroupent des partis de l’électorat autour d’opinions facilement identifiables ; les partis mobilisent leurs partisan.nes et accroissent leur soutien en vue des prochaines élections. Ils constituent en ce sens un outil très utile pour les petits partis politiques qui cherchent à mettre un pied sur la scène politique.
On comprend alors mieux pourquoi, au XIXème siècle, la plupart des partis de masse étaient favorables à l’instauration d’outils de démocratie directe : ceux-ci leur permettaient de se doter de dispositifs de repli, employables même dans l’opposition. En Europe, les sociaux-démocrates de nombreux pays, comme l’Allemagne ou l’Irlande, ont largement soutenu l’inscription de l’outil référendaire dans leurs Constitutions, afin de lutter contre le parti dominant. La France est quant à elle l’un des rares pays ou le référendum présidentiel a été imposé contre l’avis des partis lors de la construction de la Ve République.
Référendums et partis : le maintien du statu quo partisan
La capacité des partis politiques à être suivis de leurs électorats dépend bien sûr de leur popularité. Une analyse de presque 200 référendums en Norvège, Suède, Danemark, Grande-Bretagne, Pays-Bas, France, Suisse, Autrice et Italie souligne le fort contrôle que les partis exercent sur les résultats : il y aurait une corrélation moyenne de 84% entre le résultat attendu sur la base des recommandations des partis et le résultat réel.
Par ailleurs, les partis dominants peuvent utiliser le référendum pour lutter contre des partis plus petits, à l’influence moindre, par un déséquilibre énorme entre les deux camps. Généralement sur des questions internes ou constitutionnelles, la proposition est soutenue à la fois par le gouvernement et le principal parti d’opposition.
Il est finalement intéressant de noter que les référendums ne semblent pas avoir d’effet sur la fragmentation du système des partis. Leur nombre est ainsi resté assez assez stable en Suisse, pays au plus grand nombre de référendums entre 1990 et 2016. Loin de diviser, la démocratie directe est en réalité l’un des outils permettant aux partis politiques d’atteindre la stabilité. En Europe, ils dominent le processus de prise de décision ; ils sont de loin les initiateurs les plus importants et possèdent un certain contrôle sur le résultats des votes : pour l’électorat, les partis sont une véritable boussole politique.
Les référendums sont un indicateur de l’affaiblissement des clivages traditionnels et de l’émergence de nouveaux points de tensions : les votes autour des questions européennes ont ensuite contribué à l’institutionnalisation d’un nouveau découpage politique, les partis se définissant désormais comme pro ou anti européens. Ceci ne signifie cependant pas que la division traditionnelle entre gauche et droite ne soit plus pertinente dans les processus de démocratie directe. Stefan Vospernik note ainsi des caractéristiques idéologiques claires dans le positionnement des partis. Le seul glissement se situe peut être dans la manière dont les partis considèrent le référendum en lui-même : alors qu’autrefois, la démocratie directe faisait partie intégrante du programme d’émancipation de la gauche, celle-ci ne semble aujourd’hui pas y être plus encline que la droite. Sur les 217 référendums analysés, 45 étaient de l’initiative de partis de droite et 44 de partis de gauche.
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Alors que de nombreux autres aspects de l’interaction entre les partis et la démocratie directe peuvent encore rester dans l’ombre, une chose est certaine : la démocratie directe est un outil utilisé par les partis pour influencer le processus de prise de décision, pour renforcer leur position institutionnelle et pour repousser les menaces et les défis venant de l’extérieur. Cette analyse est d’autant plus intéressante que les partis politiques français restent encore largement hostiles au référendum qui, selon eux, leur retire du pouvoir.