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Démocratie ! Manifeste


Publié le 15 janvier 2025. Par Cloé Lachaux. 

Eh oui, toutes les opinions se valent !

Barbara Stiegler, Christophe Pébarthe, “Démocratie ! Manifeste”, Editions Le bord de l’eau, 2023

Barbara Stiegler est autrice, professeure de philosophie et conférencière, et Christophe Pébarthe historien et maître de conférence. Tous deux réunis une première fois en 2022 pour l’écriture du livre Athènes, l’autre démocratie. V siècle avant J-C., ils expliquent que la motivation pour écrire ce manifeste vient d’une volonté commune “d’aller plus loin” en faveur de la démocratie, en retraçant les théories dont ils ont l’un et l’autre hérité.

 

Le parti pris de Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe a été de faire, dans ce manifeste, “une philosophie démocratique de la démocratie”. Le paradoxe démocratique a été, et demeure, que de la démocratie ne reste que le nom, puisque le peuple souverain a constamment remis l’exercice de son pouvoir à ceux qui sauraient l’exercer mieux que lui, pour lui. Cet ouvrage tente de conjurer ce paradoxe, en proposant non pas des solutions, mais des pistes de réflexion.

 

En retraçant l’histoire du « dêmos » (le peuple), des questions apparaissent, fondamentales pour appréhender les problèmes de la démocratie. « Qu’est-ce que le peuple ?« , « Quel est réellement son pouvoir, d’autant plus s’il est absent lors des prises de décision de ses porte-paroles ?« , ou « L’intelligence collective est-elle réellement plus légitime que l’intelligence individuelle dans les prises de décision ? » sont ainsi des questions posées par l’ouvrage.

 

À travers des points de vue aussi philosophiques qu’historiques, Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe dénoncent, par exemple, un gouvernement d’élites appartenant et correspondant à une classe sociale et intellectuelle supérieure, et dont la mainmise sur « les sujets des idées » desservirait la démocratie. Dans une perspective similaire, les coauteurs remettent en question la démocratie dans notre monde de science moderne, en arguant que la prise pour argent comptant des résultats scientifiques annihilerait la délibération démocratique (par exemple, avec le Covid-19), en faveur d’une gouvernance par l’expertise. Enfin, si, selon le principe d’égalité démocratique, toutes les opinions se valent, alors la prise de décision par la majorité des représentants n’a aucune valeur, car elle ne correspond en général qu’à une minorité de la population. 

 

De plus, le système représentatif actuel ne laisserait pas de place aux délibérations collectives (par exemple, les votes sont individuels). Une rupture de l’ordre social actuel serait ainsi nécessaire pour contrer cet individualisme, au service d’un sentiment de légitimité à éprouver et donner son opinion. Se former à prendre la parole, mais également à se mettre en contact avec l’ensemble des argumentations et contre argumentations passerait par le système éducatif, avec pour clé de voûte l’école et l’Université. En effet, l’Université s’impose comme un lieu de réflexivité indispensable à la démocratie afin que les citoyens forment de façon autonome leurs propres opinions. Elle serait refondée sur le triptyque science – éducation – démocratie, et deviendrait une “organisation systématique des savoirs” pour tous, sans inégalité d’accès.

 

Une fois le peuple sorti de l’Université, les processus de décisions fonctionneraient selon la logique des laboratoires, c’est-à-dire sans direction ni équipe exécutante (en formant un collectif qui s’auto-gouvernerait) : tout le monde coopèrerait pour une fin commune, car personne ne serait capable d’y parvenir seul. Les décisions se prendraient en assemblées, calquées sur le système athénien, où les réunions en ecclésia prévoyaient des votes mais aussi des tirages au sort de spécialistes et des systèmes de délibération, alors même que le niveau général d’éducation était faible. La conscience de ces disparités n’autorisait pourtant personne à prétendre savoir mieux que les autres la bonne décision. Pour que ce système fonctionne aujourd’hui, il faudrait reconnaître la capacité individuelle à faire valoir ses arguments pour l’intérêt général, et aux autres de déterminer la justesse des propositions.

 

Si l’assemblée détermine qu’une personne cherche à faire valoir ses intérêts personnels, alors elle serait disqualifiée. L’assemblée déciderait ainsi si la décision est motivée par la prise en compte de l’intérêt général. Les décisions de cette assemblée ne prétendraient pas faire office de vérité, mais de déterminer une opinion majoritaire sur ce qu’il convient de faire.

Dès lors, il paraît inévitable de prévoir de longues délibérations à la majorité qualifiée pour faire accepter une décision à une minorité, et d’être en mesure de revenir sur ce processus de décision après coup. La réflexion se termine sur la précision que la citoyenneté ne serait pas cantonnée au seul suffrage, mais qu’il inclurait aussi la réflexion préalable et postérieure à l’application d’une décision.

 

Enfin, Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe s’intéressent à la définition même de ce qui fait de nous un « peuple », en préférant le terme de « public », en démocratie (des groupes institués sur la base de sentiments communs).

Comme ces publics se renouvellent, notre stabilité tiendrait à la perspective de nouveaux horizons – c’est-à-dire au penser après soi – qui permettraient les évolutions collectives de la démocratie. Ces évolutions seraient encadrées par un tiers, l’État, divisé en institutions (notamment celles du savoir) qui assureraient cette stabilité tout en étant capable de se reformer. 

 

*

Au moment où la démocratie est considérée comme un luxe “inutile en temps de paix et dangereux en temps de guerre”, Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe prennent parti en faveur de son essence. Ils nous invitent à nous réunir pour nous organiser, nous exprimer et délibérer autant que possible avec nos moyens actuels (assemblée de quartiers, réunions d’entreprises…), et suggèrent de nous intéresser, en tant que citoyens, aux raisons pour lesquelles elle s’impose comme une évidence.


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