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Democracy for realists, par Christopher Achen et Larry Bartels


Publié le 21 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.

Un peu de pragmatisme

Christopher H. Achen, Larry M. Bartels, Democracy for realists. Why elections do not produce responsive government, Princeton, 2016

Christopher H. Achen est un professeur de sciences politiques à Princeton et écrivain américain. Son co-auteur et ami Larry Bartels est professeur de relations internationales et en politiques publiques, et commentateur régulier du New York Times et du Washington Post. Leur collaboration a été récompensée par plusieurs prix internationaux tels que le PROSE Award in Governement & Politics, le David O. Sears Book Award et le Brian Farell Book Prize. Pour eux, refonder la démocratie, c’est d’abord être réaliste : non, les citoyens et citoyennes « ordinaires » ne sont pas rationnels. En contre-pied des théories participatives et délibératives, ils proposent au contraire de repenser la légitimité des élites, sans pour autant les abolir. 

 

Dans cet ouvrage, Christopher H. Achen et Larry M. Bartels étudient les relations entre idéaux et réalités démocratiques. Malgré l’incapacité de la réalité à correspondre à nos idéaux, nous avons selon eux toujours la capacité morale et physique de renouveler des éléments pour soutenir nos convictions.

Avec l’aide de recherches historiques, de travaux empiriques et d’analyses statistiques pour illustrer leur propos, ils démantèlent des discours qu’ils pensent trop ancrés dans nos imaginaires collectifs et proposent quelques pistes qu’ils pensent être des fondations plus viables pour supporter une reconstruction en profondeur de la démocratie. Ce livre a ainsi pour ambition de sortir d’une vision « romantique » de la démocratie et de nous convaincre d’adopter une approche radicalement différente, en faisant preuve « d’honnêteté intellectuelle » pour la comprendre complètement.

 

Les citoyens ne sont pas raisonnables

L’idéal collectif exige que la démocratie parte des votants, qui élisent et aiguillent un gouvernement. Ce que la majorité veut devient la politique gouvernementale et confère au gouvernement une certaine légitimité. Néanmoins, cet idéal rencontre, dans les faits, le tableau noir d’un désintérêt politique et d’une perte de croyance dans le système représentatif par une majorité de citoyens.

Pour répondre à cette « crise démocratique », deux approches de la démocratie sont régulièrement avancées, mais erronées : l’approche « populiste » (système par élections ou par démocratie directe) et l’approche de sélection par leadership (les citoyens sont dénués d’influence sur les institutions, mais peuvent accepter ou refuser leurs représentants en estimant leurs performances).

Pour les auteurs, ces deux approches sont fondamentalement vouées à l’échec car elles considèrent les citoyens comme « raisonnables ». Il s’agit pour eux du leurre de la démocratie directe. En effet, les citoyens auraient trop de préoccupations pratiques et intimes, et ni le temps ni les informations nécessaires pour correspondre aux idéaux démocratiques que les théoriciens fixent pour eux. De surcroît, une plus grande implication citoyenne peut être contre-productive, d’autant plus si les sujets qui requièrent leur vote sont techniques. Par exemple, plusieurs référendums et initiatives citoyennes menés aux États-Unis ont renforcé le pouvoir d’élites financières religieuses et politiques (qui étaient à l’origine des initiatives et qui ont réussi à convaincre des franges de la population sur leur vote), ou entraîné la dégradation de la vie des citoyens qui avaient voté (par exemple, la population en Illinois a voté en faveur d’une coupe budgétaire pour la protection contre les incendies, incapacitant la protection de 3000 foyers et de 25 personnes lors d’incendies en 1991). Ainsi, la volonté populaire n’est pas forcément représentative ni plus légitime et efficace d’un point de vue démocratique. Les votants seraient également trop subjectifs selon leur loyauté partisane, leur préférence pour le charisme d’un élu, ou leur influence sociale et spatiale.

 

Pas de vérité absolue

Certaines autres propositions telles que le « vote rétrospectif », pour remplacer les élections, seraient également des leurres. Le vote rétrospectif permet de voter pour des élus en fonction de leur performance passée et leurs propositions pour l’avenir, afin de les réélire ou de les remplacer. Ce système ne nécessite pas des connaissances politiques et techniques approfondies, mais la capacité à émettre une appréciation sur l’échec ou la réussite des élus. Cependant, les auteurs insistent sur ses défauts structurels, tels que la tendance des votant.es à tenir systématiquement les élus pour responsables (incapacité à gérer des catastrophes naturelles, etc.), à être aveuglément loyaux aux partis politiques, à absorber de fausses informations et à commettre des erreurs de jugements. Ils appellent ainsi ce système « la rétrospection aveugle ». En ce sens, la croyance en la souveraineté populaire revient pour eux à la croyance d’une puissance monarchique qui serait diseuse de vérité absolue.

 

La théorie du groupe pour une démocratie efficace

Dès lors, ils pensent qu’il est nécessaire d’envisager un troisième modèle démocratique plus réaliste pour expliciter et envisager les comportements électoraux : « la théorie du groupe ». Ce serait un modèle qui intègre les croyances, préférences et comportements politiques des citoyens en démocratie, selon leur attachement social et psychologique à des groupes (loyauté en fonction de leur identité sociale, loyauté à un parti…). A partir de cette nouvelle considération, l’idée serait ainsi de construire des théories politiques plus réalistes que celles qu’ils se sont attachés à déconstruire.

Une démocratie efficace serait réaliste sur ces défauts et demanderait un équilibre entre les préférences populaires et les expertises des élites, en leur « laissant faire leur travail ». Il faudrait alors revaloriser l’étude de la théorie des groupes pour analyser leurs influences sur la création de politiques publiques ; forger des coalitions politiques efficaces et compétentes (qui représenteraient vraiment les intérêts des citoyens) et proposer des réformes concentrées sur l’efficacité plutôt que sur la maximisation de l’influence de ceux qui les portent.

Les auteurs précisent finalement que la démocratie porte des guides pratiques et des impératifs éthiques qu’ils sont déterminés à défendre. Ils trouvent ainsi que les élections ; la justice indépendante ; la liberté d’opinion et d’expression ; la capacité à destituer un parti/ gouvernement au pouvoir ; la compétition et l’opposition politique et la capacité à gouverner à différentes mains sont la santé de la démocratie.

 

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En conclusion de cet ouvrage, les auteurs insistent sur le fait qu’ils ne proposent pas une analyse pessimiste mais réaliste de la démocratie, et que ce réalisme sur la nature humaine et ses limites devrait être le challenge principal des théoriciens de la démocratie.

Nous avons besoin de repenser nos idéaux vis-à-vis de ces nouvelles réalités pour que nos démocraties soient plus démocratiques, et cela devrait commencer par une meilleure égalité sociale et économique pour rééquilibrer les pouvoirs entre les groupes. Conscients d’avoir dressé beaucoup de problèmes pour peu de solutions, ils encouragent enfin leurs collègues et élèves à pousser ces réflexions.


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