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Adventures in Democracy, par Erica Benner


Publié le 17 janvier 2025. Par Cloé Lachaux. 

Autocritique démocratique

Erica Benner, Adventures in Democracy, The Turbulent World of People Power, allen lane, 2024

Erica Benner est une professeure, philosophe politique et écrivaine née au Japon et d’origine britannique, qui a notamment enseigné à Oxford et à travers le monde. Plusieurs de ses livres ont été salués par la critique, dont Adventures in Democracy, notamment choisi dans la rubrique « livre à lire en 2024 » par le Financial Times. Sans ignorer les failles des régimes démocratiques, et sans leur accorder de supériorité morale inerrante, la philosophe plaide pour une réorganisation du pouvoir afin de sortir d’un monopole délétère. 

 

Ce livre s’intéresse particulièrement à la place des gens « ordinaires » dans le jeu démocratique plutôt qu’à celle des institutions ou des élus. Les institutions sont à elles seules insuffisantes pour résoudre les problèmes démocratiques, et ont besoin d’une base populaire. Selon l’autrice, nous devons, en effet, définir une approche plus claire et réaliste des objectifs démocratiques si nous souhaitons conserver la démocratie en tant que telle. Pour ce faire et éviter de répéter nos erreurs, il faut analyser ses forces et ses faiblesses. Elle s’attache ainsi à faire une peinture honnête des histoires démocratiques et l’actualité, afin de mieux prévenir une potentielle chute vers une « dangereuse crise ».

Erica Benner identifie trois thèmes différents et récurrents dans l’histoire et la géographie des démocraties, que sont les enseignements que l’on peut en tirer, les dynamiques constantes et les « dangers mortels ».

 

Tirer des enseignements de l’histoire des démocraties

Dans un premier temps, l’autrice laisse entendre que penser que le système démocratique est au-dessus de la violence et d’excès de pouvoir est une illusion dont il faut sortir. Des forces tyranniques peuvent s’exercer en démocratie alors même que ces deux systèmes sont antinomiques (notamment face à des menaces telles que le Covid 19 ou les attaques terroristes, pour lesquelles nous sommes plus enclins à accepter des mesures autoritaires), et tout le monde, y compris les citoyens, peuvent être attirés par la tyrannie. Son propos est de souligner qu’il faut identifier les zones grises de la démocratie, pour mieux les appréhender.

De surcroît, Erica Benner recherche une prise de conscience de la pluralité des histoires, des mémoires et des erreurs commises par les démocraties, dont les séquelles sont toujours actives (séquelle de mémoires et de violences avec la colonisation, séquelles économiques, politiques et sociales, permanence de privilèges…). Il s’agit, pour elle, de reconnaître la domination masculine hétérosexuelle blanche qui a toujours été le propre des démocraties et qui est paradoxale avec l’idéal d’égalité citoyenne.

Enfin, elle pense qu’en plus de cette fracture historique, il est indispensable de combattre

la fermeture d’esprit, la recherche excessive de sécurité, de contrôle et d’intérêts propres, qui nous guident de plus en plus vers une fracture sociale.

 

Les dynamiques récurrentes en démocratie

Dans un second temps, Erica Benner dresse une analyse de plusieurs dynamiques propres à la démocratie et en tire quelques conseils.

Pour elle, deux approches de la démocratie sont en jeu : le partage du pouvoir (défense des intérêts et opinions pluriels) et le monopole (chaque groupe défend ses intérêts et s’allie avec les autres pour les défendre). Selon elle, c’est le monopole qui prévaut, le premier étant le plus compliqué à défendre et à réaliser, car la peur de domination, de contrôle et le manque de confiance sont trop forts dans nos sociétés pour le permettre.

Dans ce contexte, l’autrice propose de rééquilibrer quelques forces au sein des institutions. Il faudrait ainsi :

  • laisser moins de place aux expert.es dans les grandes institutions ; du moins plus de pouvoir aux citoyens dans leur élection (elle propose, par exemple, un scrutin citoyen pour élire les juges de la Cour suprême aux États-Unis) ;
  • intégrer une pluralité de profils (en nombre, classe sociale, genre, ethnie, origine professionnelle, idées…) au cœur des institutions, afin d’empêcher les leaders ou les partis d’être en situation de monopole ;
  • dans la continuité de la thèse précédente, choisir un leader selon un contexte précis, avec la possibilité de revenir sur ce choix (par exemple, Churchill était adoré en temps de guerre et détesté en temps de paix). Selon elle, la confiance placée devrait être conditionnelle et hésitante ;
  • intégrer un comité spécialisé dans l’analyse et l’amélioration des sociétés au sein desquelles les extrêmes (ploutocratie, populisme, etc) naissent.

Enfin, au-delà des institutions, ce sont les citoyens qui l’intéressent. Erica Benner pense que les angoisses qui les animent sont loin d’être nouvelles, et que sans tomber dans l’anarchie, les incivilités passives comme agressives sont les bienvenues face au monopole des institutions. Elle tient en effet à rappeler qu’il s’agit de formes d’expressions privilégiées en démocratie, et que l’histoire n’étant ni linéaire ni héroïque, elles ont permis son avancée.

 

Les « dangers mortels »

Enfin, selon Erica Benner, il faudrait arrêter d’associer la démocratie au progrès, car la croyance en une société supérieure ne peut que nous éloigner de la réalité et des dangers qu’il faudrait raisonnablement considérer comme menaçants. Elle pense que par-dessus tout, c’est notre capacité d’autocritique qui est indispensable pour faire vivre la démocratie et que nous avons besoin de prendre des risques pour elle. L’idéal serait de ne pas se tourner vers un modèle héroïque ni extraordinaire, mais plutôt modeste et simple.

 

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En somme, Erica Benner est persuadée qu’identifier honnêtement les défauts et les dangers de la démocratie nous aiderait à les résoudre. Elle pense notre lucidité nécessaire pour appréhender au mieux ce pour quoi on se bat et notre rôle dans la défense de la démocratie. Elle s’inscrit ainsi en rupture avec les ouvrages qui proposent usuellement des solutions optimistes et idéalistes, et souhaite que sur la base des analyses qu’elle a tirées, et avec l’aide de la technologie, on puisse penser un système démocratique inédit.


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