Ou comment nos gouvernants ne sont pas plus pertinents que l’intelligence collective des citoyens.
L’épidémie de Covid19 est un révélateur inouï d’une tendance de fond de l’ère digitale : nous avons le même niveau d’information que nos gouvernants, et surtout la même capacité à traiter les informations de façon collective. On le savait de façon théorique, on l’a vécu de façon concrète en 2020.
Regardons simplement les faits.
Le 24 janvier 2020 les premiers cas sont identifiés en France, mais ni le gouvernement ni l’opinion publique ne prennent la mesure du problème avant mars. Quand, le 12 mars, le président de la République prend la parole, une grande partie des citoyens est déjà très inquiète, une autre partie ne l’est pas. Malgré l’annonce d’un confinement à partir du 16, premier jour de fermeture des écoles, les élections du 15 mars sont maintenues.
Ces annonces accompagnent en réalité la prise de conscience des citoyens : l’opinion a évolué en même temps que le gouvernement, voire avec un temps d’avance.
On a beaucoup entendu que notre gouvernement a réagi trop lentement. Mais on l’entend aussi de la plupart des autres gouvernements. On a tous un avis sur le bon moment pour déclencher par exemple un confinement, mais qu‘est-ce qui nous permet de se forger un tel avis ?
La réponse est simple : les informations que nous avons eu sur l’évolution de l’épidémie, presque en temps réel, depuis tout type de sources : la radio, la TV, les sources digitales tels les réseaux sociaux, les journaux en ligne (n’oublions pas que ce sont pour l’essentiel les articles de presse qui sont relayés sur les réseaux), ou les mails. En raison de ce flot massif et continu d’informations, en très peu de temps les citoyens ont un niveau d’information supérieur à celui de nos dirigeants d’il y a 20 ans à peine.
Et surtout, ce niveau d’information est finalement le même que celui de leurs gouvernants actuels. C’est une rupture historique par rapport à tout ce que nous connaissons.
Cela n’a évidemment rien de très logique. A quoi servent donc tous les moyens d’un État, des ambassades, des services dédiés, des experts pointus si les gouvernants n’ont finalement pas plus d’informations mais surtout de capacité à traiter l’information que leur propre opinion publique aidée d’Internet ? Il n’y a rien de plus auquel le gouvernement aurait accès ? C’est absolument révolutionnaire. Les sujets sont aussi bien informés que le roi !
Allons plus loin : c’est même l’opinion publique qui fixe l’agenda de ce qui est important. Cette épidémie au premier semestre 2020 est similaire à l’épidémie de grippe de 1969 qui avait fait 31 000 morts en France sans que les citoyens ne l’aient vraiment su. Mais aujourd’hui, l’opinion est au courant et oblige les gouvernements à réagir.
Un exemple encore plus récent est celui des essais de médicaments, sur lesquels l’opinion compare les experts et se mêle de controverse scientifique. A tel point que c’est elle qui semble imposer au président la prise en compte d’options. Cela continue bien sûr avec les vaccins.
Alors, certes, de fausses informations circulent sur Internet et trompent l’opinion. Mais l’information est-elle plus trafiquée que jadis et surtout des individus seuls font-ils circuler tant de fausses informations ? Ce n’est pas prouvé.
Non, les médias majeurs et le gouvernement n’ont plus le monopole de l’information, vraie ou fausse, c’est évident. D’ailleurs, si on y regarde de près, pendant cette crise du Covid 19, les nouvelles qualifiées de fausses ou manipulatrices viennent largement des puissances publiques (avant d’être relayées ou critiquées) : nombre de morts, nombre de masques, utilité des masques, utilité des tests…
En réalité, il faut bien reconnaître qu’au milieu de quelques fadaises se dégage une intelligence collective et qu’à la fin l’opinion publique relayée sur le digital devient comme une intelligence propre qui n’a rien à envier à son gouvernement. La preuve ? Le gouvernement en période de crise n’agit pas de façon éloignée de ce qui se dégage de cette intelligence collective. Il n’est tout simplement ni mieux informé, ni mieux éclairé.
Cela n’étonnera pas ceux qui s’intéressent à l’intelligence collective. En effet, l’intelligence d’un groupe est souvent meilleure que celle de la moyenne des individus qui la composent.
Lorsque l’on écoutera de nouveau les interventions de 2018 et 2019 des soignants en grève qui dénonçaient la crise de l’hôpital public et qu’on les comparera avec les mesures que le gouvernement sera bien obligé de prendre finalement, on constatera que le gouvernement n’a pas un coup d’avance mais un coup de retard.
Bien sûr, tout cela a de lourdes conséquences sur la légitimité des gouvernants. Comment gouverner dans ce contexte ? Comment parler aux citoyens ? La porte-parole du gouvernement explique début 2020 qu’il n’est pas important de porter un masque à des citoyens qui -sans elle- se sont déjà faits une opinion sur l’utilité ou non de porter un masque et savent que la France n’en a pas assez. Son ton assez professoral est évidemment totalement décalé. C’est le ton d’un porte-parole d’il y a … 20 ans. Ça ne marche plus.
Il est devenu impossible de gouverner à l’ancienne dans ce contexte.
La démocratie représentative repose sur l’idée que quelques-uns, bien choisis, seront beaucoup plus éclairés que l’ensemble des citoyens. C’était probablement vrai à l’ère des journaux papier et de la voiture à cheval. On était beaucoup mieux informé à Paris dans les bons cercles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Repensons aux prémices de débat sur le Référendum d’initiative Citoyenne (‘RIC’). Un contre-argument souvent répété par les opposants de ce système à la Suisse (qui existe aussi dans la moitié des Etats américains et dans les régions allemandes), c’est l’ignorance des citoyens, leur incapacité à traiter des informations complexes face à un gouvernement bien mieux informé et éclairé. Cet argument ne tient pas à l’épreuve des faits.
Le recours plus fréquent à la participation des citoyens va devenir inévitable pour achever de responsabiliser une opinion publique sur-informée en lui accordant son vrai rôle de citoyen : voter sur les sujets qui comptent à ses yeux. Cette tendance de fond (150 ans) dans les démocraties obligera également les enragés et les opposants politiques les plus radicaux à proposer et non seulement critiquer.
Ludovic Bonneton, fondateur de La Revue de la Démocratie